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François Coadou : Le concert de philo : 5 exercices en introductionà une philosophie de la musique (2004)

1. La musique romantique allemande : problèmes de perspective

La musique romantique allemande : quoi de plus connu en apparence ?

Nous y avons tous été bercés depuis l'enfance. En un sens, elle semble, de toutes les musiques savantes, être la musique la plus populaire. Aussi bien en connaissons-nous tous au moins quelques œuvres - presque toujours les mêmes : ses grandes œuvres, ou réputées telles, comme la 5e ou la 9e symphonies de Beethoven. Ou du moins en connaissons-nous tous quelques passages célèbres, presque devenus des parties de nous-mêmes, quelques passages que nous avons depuis longtemps assimilés, tant nous les avons, depuis toujours, trouvés dans notre paysage intime, dans notre paysage sonore - références culturelles incontournables du monde où nous vivons, sans cesse reprises, devenues invisibles à force de visibilité, ou mieux : devenues inaudibles à force de les entendre. La musique romantique allemande, plus que toutes les autres musiques savantes, constitue - dangereuse dignité ! - une partie de notre patrimoine, une partie de notre minimum commun de culture.

Plus encore, nous connaissons tous la légende noire qui la décore. La légende noire : je veux dire les mille histoires, touchantes ou terribles, attachées à la composition de ses œuvres ; les mille épisodes de la vie de ses musiciens, devenus de véritables scènes de genre. Cette légende noire, nous y avons aussi baigné depuis toujours. La musique romantique allemande, en à peine deux siècles, a, plus que tout autre musique, suscité la plume des biographes ; plus que tout autre musique, elle a excité les imaginations des musicographes. La bibliographie de la musique romantique allemande donne le vertige… Mais, répétons-le, parmi cette littérature, on ne trouve guère que quelques études sérieuses, assez isolées, au milieu de quantité de livres moins recommandables - au milieu de toute une littérature un peu plus racoleuse, de toute une littérature qui pousse la réalité à la légende, le tableau à la caricature… Je ne résiste pas aux joies que procure une énumération rapide de quelques-uns de ses titres : Les années de captivité de Beethoven (entendons ici la vie de Beethoven elle-même, véritable prison, un Beethoven génie isolé parmi la vulgarité de ses relations) ; autre titre : La vie tendre & pathétique de Franz Schubert (on en pleure déjà dans les chaumières!) ; Les amours de Schumann ou encore, parce que ça signifie la même chose, La vie douloureuse de Schumann. Nous voilà installés dans la tonalité. - Vous êtes amoureux ? Vous êtes malheureux ? Engagez-vous dans la musique romantique ! - Oui, nous voilà bien installés en terrain connu, terre conquise, depuis longtemps déjà, mais terre de clichés, nous voilà installés dans ces véritables contes musicaux de notre enfance, où, comme dans tous les contes, on trouve un peu de réalité mêlé de beaucoup de fiction (ce qui en explique, sans doute, le succès).

Bref, la musique romantique allemande, en un sens, nous ne la connaissons que trop. Nous ne la connaissons que trop dans le sens où ce que nous connaissons de la sorte, de manière immédiate, ce dans quoi nous avons depuis toujours baigné, nous avons coutume de ne pas le connaître de manière honnête. Connaissance suppose distance. La musique romantique allemande, nous sommes si bien pris dedans, nous sommes si bien aveuglés de son évidence, que nous ne la voyons plus - que nous ne voyons plus rien.

Mais regardons-y un peu de plus près.

Reprenons, à nouveau, notre formule initiale : la musique romantique allemande.

Cette formule, une fois décomposée, pose au moins deux problèmes.

Problème numéro un. Que signifie, ici, musique allemande ? Question toute bête en apparence…

Mais si nous considérons, de façon provisoire, que la musique romantique désigne, de manière chronologique, la musique qui va de la toute fin du XVIIIe siècle au milieu du XIXe - définition des plus larges - nous sommes bien forcés de reconnaître que l'Allemagne, telle que nous la connaissons, se révèle alors introuvable. Elle semble alors privée de toute unité, dénuée de toute structure étatique comparable à celle que trouverions en France à la même époque. Elle se présente comme une mosaïque de principautés, plus ou moins importantes, divisées sinon même opposées les unes aux autres.

Lorsque nous abordons l'étude de l'Allemagne, nous devons prendre garde, sous peine de visions déformantes, à nous extraire de notre perspective française. La transformation historique des deux pays, à l'origine liée dans un même héritage carolingien, semble en un sens opposée. Nous sommes si bien habitués aux schémas de pensée dérivés de la nôtre que nous devons faire attention, à chaque pas dans l'étude de l'Allemagne, aux possibles contre sens où cette habitude nous expose.

Plus longtemps que la France, l'Allemagne a conservé ses structures carolingiennes, où le roi, autoritaire, nomme ou révoque à sa guise ses vassaux, sans que nulle famille ne fasse souche de manière héréditaire dans une terre. Mais une difficulté récurrente dans les successions dynastiques, jointe au principe des élections impériales, a, au cours du temps, de plus en plus exposé la puissance royale aux attaques des princes. Ainsi, à l'orée du XIIIe siècle, tandis que Philippe Auguste pose, en France, en réaction à la féodalité, les bases de la centralisation étatique, en Allemagne, au contraire, la féodalité commence à peine à faire son chemin. Le moyen âge - période carolingienne puis période impériale - restera toujours, dans la représentation de soi de l'Allemagne, une période faste, une période de référence aux yeux des nationalistes : celle de la grande unité perdue… Mais au XIIIe siècle elle a, en ce sens, déjà amorcé son déclin. Si la conception de l'Allemagne impériale restera longtemps encore vivante, elle ne le restera guère que comme une idée. Au XVIIe siècle, la guerre de Trente Ans illustre bien la situation de l'Allemagne moderne. A cause de la Réforme, celle-ci a désormais perdu sa dernière unité - le catholicisme romain. La voici désormais livrée, sous le prétexte de querelles religieuses, aux mains de ses voisins. La guerre finie, elle en restera, de manière durable, désunie, soumise aux influences étrangères.

Que retiendrons-nous, ici, de cette histoire ? Nous en retiendrons que, à l'époque qui nous intéresse, à l'époque qui va de la toute fin du XVIIIe siècle au milieu du XIXe, nous ne trouvons pas, en conséquence, une Allemagne mais bien des Allemagnes. Une Allemagne prussienne comme une Allemagne autrichienne ; une Allemagne rhénane, souabe ou bavaroise (ainsi de suite). Des Allemagnes comme il y a, derrière chacune, depuis plusieurs siècles, des influences différentes, des histoires différentes, des cultures différentes.

Mais quelle signification aura, dès lors, la notion de musique allemande ? Lui accorderons-nous une unité que nous refusons à l'Allemagne ? Certes non. La notion de musique allemande, entendue comme un tout unifié, se révèle dénuée de sens si elle ne se réfère à aucune structure étatique unificatrice, à aucune structure donatrice de cadres (cadres de la création ou cadres de la réception). A moins que privés de ce type de structure, à moins que privés de l'Allemagne, nous ne nous tournions, dans notre quête de sens, vers la nation allemande. Nous entendrions alors, à travers les termes de musique allemande, la musique de la nation allemande, la musique nationale allemande. Mais résoudrons-nous le problème de la sorte ? Pas davantage. A quoi renverrions-nous, alors, la nation allemande elle-même, à quoi renverrions-nous cette notion de musique nationale allemande ? A la langue allemande ? Mais la musique ne la parle pas… A la terre ? Mais la limite géographique de ces pays a tant changé… Aux gens ? Mais en vertu de quoi ?

A dire vrai, la notion de musique allemande, que nous trouvions si évidente dans notre naïveté, se révèle, vue de plus près, à tout le moins problématique. Retenons bien les leçons de cette rapide digression historique ; retenons bien la situation si particulière de la musique allemande : dans les dernières années du XVIIIe siècle la musique allemande semble encore, en un sens, être une chimère… Elle le restera longtemps… Cette situation sera riche de conséquences dans ses destinées futures - au XIXe comme au XXe siècle.

Problème numéro deux. Ce deuxième problème concerne, cette fois-ci, la formule suivante : la musique romantique. Nous nous trouvons ici face à un terme bien connu, le terme romantique, un terme qui évoque en nous mille choses, un terme que nous utilisons tous de manière courante - un peu à tout propos. Nous qualifions de romantique une symphonie de Beethoven. Mais nous qualifions aussi de romantique une chanson de Julio Iglesias, un poème de Lamartine, une comédie sentimentale britannique des années 1990, un paysage étoilé, un repas aux chandelles… Avons-nous bien, je le demande, réfléchi à la signification exacte de ce terme ? Non. Le terme romantique - tout comme, au reste, les termes classique ou baroque - semble être une de ces grandes catégories de pensée qui se révèle, après un examen un peu sérieux, sans définition exacte tant elle a, en fonction du domaine ou de la perspective où on se place, de définitions possibles - une catégorie génitrice de confusion dans la mesure où elle-même confuse ; une catégorie de non-pensée plutôt que de pensée, grâce à quoi nous nous croyons quittes à bon compte, grâce à quoi nous nous croyons dispensés, lorsque nous la prononçons, de faire attention aux choses mêmes que nous recouvrons alors du voile de ses illusions.

Devons-nous, dès lors, mettre le terme romantique de côté, dans cette idée que, débarrassés de lui, nous verrons enfin les choses mêmes ? Sans doute… Mais pouvons-nous le faire ? A dire vrai, ça ne semble pas possible de le faire comme ça, de façon soudaine, comme une bonne résolution prise lorsque commence la nouvelle année, compte non tenu de la force de conviction que donne à ce terme une longue habitude. Sans doute retomberons-nous, alors, sans y prendre garde, dans ses pièges. Certes nous écarterons le terme romantique mais la notion elle-même (le romantisme) reviendra, mutatis mutandis, toujours aussi confuse, toujours aussi trompeuse. Nous nous laisserons séduire… Nous sommes un peu, ici, comme le Descartes de la première méditation métaphysique - Descartes qui a montré le manque de certitude attaché aux connaissances sensibles, au corps, aux mathématiques elles-mêmes mais Descartes qui avoue, en fin de compte, être tenté, malgré toutes ces démonstrations, de reprendre ses anciennes opinions. Tant est grande la force de nos illusions… De même devons-nous, nous qui venons de comprendre, mais si vite, la vanité du terme, de même devons-nous y prendre garde. La seule voie réelle de libération consiste, non pas à le mettre de côté de façon soudaine - comme si nous pouvions le faire ! - mais à le déconstruire, en quelque sorte, à faire la généalogie de nos illusions.

Résumons. Si nous voulons comprendre la musique romantique, nous devons comprendre ce que signifie le terme romantique. Mais si nous voulons comprendre le terme romantique, nous devons comprendre (ce qui certes ne va pas de soi !) en quoi consiste la notion que ce terme qualifie - je veux dire : le romantisme. De confuse nous devons la rendre claire ; ou du moins devons-nous, dans une généalogie de ces termes, rendre compte de cette confusion elle-même.

Ce type de gymnastique me semble être une tâche essentielle de la pensée.

On trouve une première trace du terme romantique au moyen âge sous la forme bas latine romanticus. Le terme qualifie alors tout ce qui rappelle le monde des romans, entendons ces narrations, en vers ou en prose, inventées en France, écrites non pas en latin mais en langue romane (ce qui en explique le nom : roman). Suite à la diffusion rapide du genre - le roman en langue vernaculaire - nous retrouvons, peu après, le terme dans une traduction anglaise. Romantic y conserve toujours le même sens. Au XVIIIe siècle, le terme anglais passe dans la langue allemande sous la forme romantisch. Mais, cette fois-ci, le terme romantisch ne qualifie plus tant ce qui se rapporte au roman que ce qui se rapporte au moyen âge. Sans doute trouvons-nous, dans cette modification de sens, une conséquence de la vogue en Allemagne, au XVIIIe siècle, des romans anglais inspirés du moyen âge, des romans anglais à thématique médiévale. Si bien que le terme attaché à la forme (le roman) se trouve, désormais, attaché au contenu (le moyen âge).

Ainsi, jusque là, nous trouvons bien du romantique - mais certes pas aux sens où nous nous y attendions. Nous en avons en Angleterre, où le terme qualifie ce qui rappelle le monde des romans ; nous en avons aussi en France, dès le XVIIe siècle, mais toujours dans le même sens. Nous en avons, enfin, en Allemagne, au XVIIIe siècle, où nous avons, cette fois, constaté une modification. En Allemagne, le terme qualifie ce qui rappelle le moyen âge.

Voilà, répétons-le, du romantique : mais pas encore du romantisme.

Le terme romantisme, nous en trouvons la première occurrence en Allemagne, dans les toutes premières années du XIXe siècle. Die Romantik : voici le terme que se forge, comme nom appliqué à soi-même, un groupe littéraire aux tendances novatrices mais chez qui la référence médiévale joue aussi un rôle incontournable.

Notre hypothèse consiste à dire que la signification la plus exacte du terme romantique se formule à cette époque, en Allemagne, parmi les écrivains de ce groupe, dans la définition de la notion même de romantisme.

Ainsi, si la forme qualificative, romantique, a précédé, au plan historique, le terme romantisme, celui-ci lui donne, dès lors, une nouvelle signification : sa signification ultérieure.

Nous en voyons un indice dans la soudaine multiplication, en Allemagne, au cours de ces mêmes années, des occurrences des deux termes. Signalons, de même, que le terme nouveau de romantisme se propage, dès lors, de l'Allemagne à toute l'Europe. En France, on en trouve une première occurrence en 1810 dans De l'Allemagne de Mme de Staël. Conséquence de cette importation, on constate, en France toujours, vers la même époque, la spécialisation définitive de deux termes jusque là utilisés de manière indifférente : romantique / romanesque. Le terme romanesque conserve le sens ancien de « qui se rapporte au roman » tandis que le terme romantique qualifie, dès lors, ce qui se rapporte au romantisme. Mais soulignons encore que, chez Mme de Staël, le terme romantisme passe en France en référence à la notion de romantisme telle que définie en Allemagne. Ce passage ne va certes pas sans une déformation certaine de la notion - déformation qui, jointe aux particularités françaises, explique le romantisme français. Mais reste que, chez Mme de Staël, le terme français se réfère bien à la notion allemande.

Que pouvons-nous conclure de tout ceci ?

Nous en pouvons conclure que si nous voulons comprendre, au delà de nos représentations toutes faites de la chose, ce que signifie la musique romantique, nous avons à faire référence à la notion de romantisme telle que celle-ci a été élaborée en Allemagne dans les premières années du XIXe siècle.

Le romantisme ne constitue en aucun cas une catégorie métahistorique. Le romantisme ne constitue pas, opposé au classicisme, une tendance éternelle de la création humaine - tendance plus ou moins récurrente à toutes les époques. Voilà le genre de conception qui mène à la confusion…

Au contraire, le romantisme constitue bien une catégorie historique, assignable au plan chronologique comme au plan géographique. Le romantisme constitue un corps de doctrines à quoi nous rapporterons, dès lors, tout ce que nous appellerons romantique ; un corps de doctrines à quoi nous avons toujours à faire référence si nous voulons faire sens.

Aussi voyons-nous, désormais, les deux problèmes que recèle, lorsque nous la regardons de plus près, notre formule initiale : la musique romantique allemande. Savons-nous bien, lorsque nous invoquons cette formule, ce que signifie musique allemande ? Savons-nous bien ce que signifie romantisme ? Sans doute que non. La représentation courante - hélas si courante ! - que nous nous faisons de la musique romantique allemande recouvre ces questions sous une trompeuse évidence. Comme nous venons de le comprendre, nous avons à nous défaire de ces réponses toutes faites, de ces perspectives erronées où on nous a enfermé, où nous nous sommes enfermés - nous avons, ici, à nous défaire de nos opinions.

Oui. Mais à quoi bon ?

A cette question, je pourrais répondre, de façon toute spinoziste, que la connaissance nous libère dans une joie toute pure - ce qui justifie bien que nous connaissions. Mais on trouvera ça un peu théorique - au sens commun de cette expression…

Aussi répondrai-je encore que cette démarche a, dans le même temps, un certain nombre de vertus pratiques.

La première consiste en ce que nous résoudrons ainsi, de manière philosophique, ou que tout au moins nous essayerons de le faire, quelques questions musicologiques restées en suspens. Je vais prendre un exemple. Depuis plusieurs décennies, le champ des études beethoveniennes ressemble à un champ de bataille. Devons-nous, Beethoven, le mettre dans la musique romantique ou bien dans la musique classique ? Dans Le style classique, Charles Rosen a consacré quelques pages célèbres à la question afin de le mettre de ce côté-ci - le côté classique. Mais Léon Plantinga lui a, peu après, lui aussi consacré quelques pages célèbres afin de le mettre de ce côté là - le côté romantique. En apparence sans issue, au moins au plan musicologique, cette discrète querelle a encore pris une autre envergure sous la baguette de quelques trublions issus de la nouvelle musique baroque. On a changé la sonorité orchestrale, on a changé les tempi - on nous a changé notre Beethoven…

Remarque qui amène à la deuxième vertu pratique de notre démarche. Non plus, cette fois-ci, une vertu musicologique mais bien une vertu musicale. Nous ne jouons pas une œuvre romantique comme nous jouons une œuvre classique. Nous ne les jouons pas de la même manière dans la mesure où nous y trouvons, plus ou moins, une différence de technique de composition ; mais aussi dans la mesure où nous y mettons une différence qui se trouve dans notre tête. Lorsque nous interprétons une œuvre nous mobilisons, dans cette interprétation, un certain nombre de catégories intellectuelles. De là les enjeux musicaux de la clarification philosophique de ces mêmes catégories…

Ajoutons, enfin, que la musique étouffe, sinon, à reprendre toujours les mêmes pensées ; à reprendre toujours les mêmes interprétations (ou presque)… La musique réclame la recherche - elle qui se présente, elle-même, comme une recherche… Elle joue, ici, toute sa noblesse, toute sa capacité à nous surprendre - elle y joue sa dimension artistique, sa dimension de vérité…

Ainsi voyons-nous, désormais, la réelle urgence où nous sommes à mieux résoudre les problèmes que nous avons esquissés.

Nous procéderons de la manière suivante.

Dans une première partie, nous analyserons le contenu de la notion de romantisme telle que celle-ci se forme en Allemagne à la charnière des XVIIIe / XIXe siècles. Au cours de cette analyse, nous ferons une place toute particulière à la théorie romantique de la musique - théorie qui y occupe, comme nous le verrons, une place essentielle.

Puis, dans une deuxième partie, nous essayerons de comprendre de quelle manière ou dans quelle mesure ce romantisme a pris corps chez les musiciens - pris corps dans la musique elle-même.

— I

On distingue, en règle générale, trois périodes dans la formation du romantisme en Allemagne. Mais à ces trois périodes traditionnelles, nous ajouterons, ici, un prélude berlinois.

Un prélude berlinois, puisque le romantisme commence non pas à Iéna, comme le suppose une opinion courante, mais à Berlin. De 1795 à 1798, Wackenroder y compose un ensemble de textes qui pose les fondations de la nouvelle pensée. Né à Berlin, dans les années 1770, Wackenroder y a, à vrai dire, passé la quasi totalité de sa vie (exception faite de quelques voyages entrepris au cours de ses études).

A quoi ressemble Berlin dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle ? Berlin ressemble à une ville nouvelle… Fondée au XIIIe siècle, Berlin reste longtemps une petite ville - une ville sans histoire(s). De la période médiévale, elle ne conserve aucune trace architecturale remarquable. Devenue, sous le règne de Frédéric Ier, capitale du nouveau royaume de Prusse, Berlin ne se développe guère que sous le règne de Frédéric II - vers le milieu du XVIIIe siècle. Un Frédéric II qui aime la France - ou qui, à tout le moins, la jalouse : Berlin se pare alors de nombreux immeubles de style rococo - cette caricature du classicisme français… Mais Frédéric II se rêve, aussi, en despote éclairé : on installe alors Voltaire à Sans Souci ; on propage le rationalisme. Celui-ci, importé de France, trouve un terrain favorable dans la bureaucratie prussienne - héritière de la bureaucratie teutonique. Mais ce terrain, en même temps, le modifie. A Berlin, le rationalisme se développe sous une forme bureaucratique - froide mais consciencieuse... A plus forte raison dans un pays de religion piétiste - un pays où le roi a jadis attiré cette variante du luthéranisme dans la mesure où elle encourage, elle qui prêche une soumission enfantine à Dieu, la discipline. Le rationalisme bureaucratique à la prussienne conserve du piétisme ce côté rigoriste que nous retrouvons dans la philosophie kantienne. Autant dire que, dans cette deuxième moitié du XVIIIe siècle, à Berlin, on ne rigole pas. Rationaliste, bureaucratique, rigoriste, Berlin offre, à tout dire, une ambiance étouffante - une ambiance certes peu propice au « romantisme »…

Encore que… Ce contexte a joué, mais de manière négative, un rôle non négligeable dans la formation de cette pensée.

Toute la pensée de Wackenroder semble, en un sens, se structurer en réaction à tout ceci. Au culte de la raison, il oppose les vérités que révèle la seule imagination ; au matérialisme de ses contemporains, il oppose un mysticisme ; à la modernité triomphante, un moyen âge érigé en modèle ; aux Lumières, une illumination.

Le premier texte publié de Wackenroder, Eloge de Dürer, illustre bien ces positions. Dans ce texte, la référence au peintre de la Renaissance joue, de façon plus profonde, comme critique de la peinture moderne. Que lui reproche Wackenroder ? Wackenroder reproche à la peinture moderne de ramener la peinture à la seule matière. En ce XVIIIe siècle, la peinture représente, aux yeux des gens de qualité, un agréable passe-temps, destiné à plaire aux sens. Réduite à un jeu de formes ou de coloris, elle assume une fonction toute décorative. Elle se résume, aux yeux des peintres eux-mêmes, à un exercice technique plus ou moins réussi. Mais à cette conception moderne, matérialiste, frivole de la peinture, Wackenroder oppose, à travers le personnage de Dürer, une conception ancienne, spiritualiste, sérieuse. A l'œuvre-passe-temps, le poète oppose l'œuvre-prière. Toute œuvre artistique digne de ce nom possède, à ses yeux, une dimension religieuse. Toute grande œuvre nous relie à Dieu. Elle en a reçu inspiration - elle qui présente, sous une forme sensible, un contenu de vérité suprasensible. Sous la matière, à travers elle, se révèle ce qui dépasse la matière. Une vérité spirituelle y a pris corps. Sans cette inspiration, sans le souffle de Dieu, réduite à la seule technique, réduite à la seule matière, une œuvre ne se présente guère que comme un corps sans âme, un corps inanimé, un corps sans vie. Si cette œuvre froide flatte nos sens elle ne nous touche pas. Au contraire, toute grande œuvre nous touche, toute grande œuvre nous élève ; issue de Dieu toute grande œuvre nous ramène à Dieu. Aussi voyons-nous combien l'approche matérialiste, l'approche rationaliste de l'œuvre artistique manque ce qui en constitue toute la dignité. Dans un siècle sans Dieu, dans un siècle où la raison récuse tout ce qui lui échappe, on passe à côté de la dimension religieuse, de la dimension spirituelle, de la dimension de vérité de la peinture. On la ramène à une matérialité vide, forme sans contenu sinon la forme elle-même ; on la ramène à une sensualité qui, à tout dire, manque de sens. Tout au contraire : l'œuvre véritable donne sens à l'insensé. Don de Dieu, miracle de sa grâce, elle présente, dans une intuition, ce qui échappe à la raison. Issue de Dieu, qui parle en elle, l'œuvre véritable élève alors l'artiste à la dignité de prophète - elle le transforme en medium.

Nous trouvons ici, comme en germe, toute la pensée romantique ultérieure. Ou du moins trouvons-nous les fondations depuis lesquelles, ensuite, on bâtira…

Le romantisme se présente, de façon fondamentale, comme une réaction aux Lumières. Une réaction au rationalisme de celles-ci. Une constante de la pensée romantique consiste à dire que la raison échoue à connaître le tout de la réalité. Sans doute elle en explique bien une partie : mais pas le tout. La partie invisible, la partie immatérielle de la réalité lui échappe. Dans sa folle ambition la raison a néanmoins nié cette impuissance ; elle a voulu tout connaître - quitte à réduire le tout à la partie. Le XVIIIe siècle a nié les réalités inaccessibles à la raison. On a amputé la réalité de toute une partie de la réalité. Le romantisme dénonce cette escroquerie. Derrière la réalité appauvrie que montre la raison se trouve encore une réalité irrationnelle aux richesses infinies. Derrière les choses visibles, derrière les choses matérielles on trouve encore les choses invisibles, les choses immatérielles. A la conception étroite de la réalité que prône le rationalisme, le romantisme oppose une conception large.

Mais que la raison ne puisse connaître cette autre partie de la réalité ne signifie pas que cette autre partie de la réalité reste en tout inconnaissable. Elle se révèle à nous grâce à une autre de nos facultés : non pas notre raison mais notre imagination. Notre imagination : voilà bien ce que cache le terme fantaisie - une fantaisie que nous retrouvons sans cesse à lire les textes romantiques en version française. Mais si nous nous référons à la langue allemande, nous y trouverons, à la place, le terme Phantasie. Malgré les apparences, le terme Phantasie ne signifie pas tant notre français fantaisie que notre français imagination. Dans la langue allemande, Phantasie a bien cette signification première : imagination - Phantasie désigne bien cette ancienne catégorie philosophique, cette ancienne faculté de connaître que la tradition rationaliste a méprisé, que la version française elle-même a occulté. Il y a, avouons-le, quelque ruse à dire, en français, non pas imagination mais fantaisie. La fantaisie française renvoie à une bizarrerie aimable mais peu sérieuse. On ôte alors au romantisme - mine de rien - un peu de sa dignité philosophique… Mais, répétons-le, le romantisme se réfère bien à notre imagination comme à une faculté de connaître alternative à notre raison - une faculté de connaître qui nous ouvre à cette autre réalité qui lui échappe.

Le texte de Wackenroder, Eloge de Dürer, se présente lui-même comme une telle fantaisie ou mieux : comme une telle imagination. Dans ce texte, Wackenroder se refuse à mobiliser les ressources de la raison. Wackenroder ne démontre rien. Il montre. Wackenroder ne reconstitue pas quelque vérité historique. Il imagine cette vérité - en poète. Ce qui, à ses yeux, ne constitue certes pas une faiblesse. Tout au contraire : elle constitue sa force. Grâce à cette imagination le poète va plus loin.

Nous comprenons, dès lors, que le romantisme accorde une si grande importance aux Beaux-Arts - les Beaux-Arts conçus comme lieu privilégié où parle l'imagination ; ou encore, parce que ça signifie la même chose, comme lieu privilégié de manifestation de cette autre réalité à laquelle l'imagination nous ouvre… A condition, bien entendu, que nous nous soyons délivrés de la fausse conception que le rationalisme en propage…

Nous comprenons aussi quelle signification profonde le romantisme accorde au rêve. Loin du cliché un peu mièvre de la rêverie romantique, le rêve, élevé à la dignité de modèle, constitue, tout comme les Beaux-Arts, un lieu privilégié où notre imagination se donne libre cours. Dans la pensée romantique, le rêve ne constitue pas, comme le suppose une opinion courante, une fuite face à la réalité mais bien un accès à la réalité elle-même - un accès à cette autre réalité qui échappe à la raison.

Ainsi, dès ce premier texte de Wackenroder, trouvons-nous ces quelques caractéristiques fortes de la pensée romantique : un anti-rationalisme qui exprime une conception large de la réalité - où la réalité ne se limite pas aux choses visibles, aux choses matérielles. Une conception large de la réalité où la réalité se révèle à nous, non pas tant grâce à la raison, que grâce à ces images que nous présente le rêve ou que nous présente une œuvre artistique. Le romantisme nous entraîne alors vers un mysticisme de la création où l'artiste se libère de sa raison, où l'artiste laisse libre cours à ses visions, libre cours à cette imagination qui nous relie à Dieu.

La référence médiévale qui, comme nous avons vu, a nommé le romantisme, trouve ici sa place en toute logique. Aux Lumières, le romantisme oppose un moyen âge illuminé - une époque où on a contenu les ambitions de la raison ; une époque où on a considéré les Beaux-Arts comme une voie vers Dieu… Ce moyen âge rêvé assume ici une fonction polémique - une fonction quasi programmatique.

Mais manque encore, à ce tableau, une autre caractéristique forte de la pensée romantique. Parmi les Beaux-Arts, Wackenroder semble donner la première place, non pas à la peinture, mais à la musique.

Il y a à cela au moins deux explications.

Première explication : une explication biographique. Wackenroder a toujours voulu exercer le métier de musicien. Il a même, au cours de ses années de gymnase, commencé à prendre quelques leçons de clavecin puis de composition auprès de Fasch (Fasch qui dirige, à cette époque, la Singakademie de Berlin). Mais un père autoritaire, qui le destine à la magistrature, a contrarié cette vocation. En un sens, notre poète semble être devenu poète faute de mieux - empêché de se consacrer tout entier à cette vocation première : la musique. Sa poésie en gardera, au plan stylistique, une grande musicalité. Plus encore, la musique y occupera, au plan thématique, une grande place.

Wackenroder y invente le personnage de Berglinger - musicien mystique en butte à la mesquinerie de ses contemporains. Exalté, incompris, tracassé, ce personnage se présente comme une espèce de prototype de ce stéréotype de musicien romantique que nous connaissons tous. Nous nous trouvons ici à la racine de cette thèse qui proclame que la création réclame la souffrance, que la création réclame la pauvreté… Une thèse qui a, de façon profonde, modelé notre perception de la musique. Avouons que nous trouvons louche un musicien reconnu de ses contemporains, un musicien comblé ; nous nous méfions de sa musique elle-même… elle ne nous semble pas sincère… Mais soulignons ici que ce stéréotype, cette thèse, que nous attribuons au romantisme, se révèle, vue de plus près, un peu plus récente. Aux yeux de Wackenroder, Berglinger ne constitue pas un modèle. Tout au contraire : le poète lui reproche un manque de force créatrice - force créatrice qui tient tout juste à cette capacité à concilier les imaginations célestes aux exigences de la vie terrestre. Aux yeux de Wackenroder, Berglinger ne constitue pas un modèle mais une espèce de porte-parole imaginaire - un porte-parole qui, au travers même de ses faiblesses en tant que musicien, porte au mieux les réflexions de ce poète, lui-même musicien raté, à propos de la musique.

Nous touchons ici à notre deuxième explication : une explication non plus biographique mais théorique. Dans le cadre de la pensée romantique, cadre que nous avons esquissé, la musique occupe, en toute logique, parmi les Beaux-Arts, la première place.

La musique se présente, au même titre que la poésie, comme une forme artistique quasi immatérielle - ce que nous comprenons bien si nous la comparons aux arts plastiques où la matière reste toujours plus prégnante. La matière que travaille la musique, la sonorité, cette matière se révèle invisible, elle se révèle évanescente. Comme telle, elle nous rapproche, plus que les autres matières, toile ou pierre, de cette autre réalité, elle-même invisible, elle-même évanescente, qui préoccupe le romantisme.

Mais la musique a encore un autre avantage - si nous la comparons, cette fois, à la poésie. Dans la poésie, la sonorité renvoie à un sens précis - le sens de chaque terme employé, le sens de la phrase : le sens de la vie courante… Dans la musique, au contraire, la sonorité ne présente pas une telle précision. Mais cette imprécision de la musique, qui nous empêche de mettre un sens sous une sonorité, en constitue aussi toute la force. La musique se révèle, grâce à elle, être une langue plus pure que la langue positive. Une langue plus pure en ceci que nous sommes, grâce à cette imprécision, renvoyés à la complexité de la réalité elle-même - une complexité qui dépasse les possibilités de la langue positive, qui dépasse les possibilités de la langue rationnelle. La musique se présente, en un sens, comme la langue la plus conforme à la réalité telle que celle-ci existe en réalité.

Ce qui explique (ultime avantage de la musique) que, parmi les Beaux-Arts, la musique nous touche, la musique nous ravisse plus que les autres. Plus que les autres, la musique remue notre âme - elle remue notre âme, elle qui ressemble, grâce à cette quasi-immatérialité, à notre âme elle-même. Elle constitue le lien qui relie le mieux cette partie de nous-mêmes au modèle à qui cette partie de nous-mêmes ressemble - à Dieu.

Mais que cette logique, que nous avons ici essayé de mettre en évidence, ne cache pas la nouveauté étonnante que présente la théorie romantique de la musique en cette fin de XVIIIe siècle. Elle se présente une théorie paradoxale - en opposition à la théorie courante, à la théorie classique de la musique.

Dans la théorie classique, rappelons-le, la musique se pense, en termes cartésiens, comme un phénomène physique exprimable en termes mathématiques. Venue de France, cette théorie sensualiste, cette théorie scientifique de la musique a, au XVIIIe siècle, connu une réelle vogue en Allemagne - où elle a comblé les attentes de la bourgeoisie montante. A telle enseigne que, au XVIIIe siècle, en Allemagne, elle semble à tous être la seule possible… La théorie romantique de la musique, au contraire, cette théorie spiritualiste, cette théorie mystique, semble à tous être révolutionnaire.

Une autre chose frappe à lire ces textes consacrés à la musique - à plus forte raison si nous les comparons aux textes consacrés à la peinture. Alors que, dans ceux-ci, Wackenroder cite de nombreux peintres, de nombreux exemples, dans ceux-là, au contraire, Wackenroder ne cite aucun musicien, aucun exemple. Nous y voyons une nouvelle illustration de cette étonnante nouveauté de la théorie romantique de la musique : le poète ne trouve aucun exemple exploitable parmi les musiciens de sa connaissance, parmi les musiciens de cette fin de XVIIIe siècle (puisque nous sommes encore à une époque où toute la connaissance de la musique se limite à la connaissance de la musique contemporaine). Nous sommes en pleine musique classique. Mais parmi les compositions de celle-ci le poète ne trouve nulle œuvre qui remplisse ses attentes.

Retenons bien ceci. La théorie romantique de la musique se constitue, ici, une première fois, sans référence à la musique elle-même telle que celle-ci existe ou a existé. Ce manque constituera, en un sens, sa faute originelle.

La musique romantique se présente comme un rêve de poète ou, pire, de philosophe.

Nous avons, ici, essayé de faire comprendre que la musique romantique découle, en toute logique, de la pensée romantique - où elle occupe une place de première importance. Mais elle en découle non pas tant comme musique que comme théorie de la musique. Une théorie sans exemple. Dans la pensée romantique, la musique se présente comme un phénomène quasi miraculeux - où nous sommes reliés à Dieu. Mais de cette musique miraculeuse nous ne trouvons, en vérité, aucune apparition. Elle se présente comme une vision - une vision certes ravissante - mais une vision tout de même.

La musique romantique reste à écrire… Elle semble être un défi lancé aux musiciens.

Se creuse, ici, en conséquence, un fossé originaire de la théorie romantique de la musique à la musique romantique elle-même. Un fossé qui ne se comblera pas sans peine…

Parce que ce fossé se creuse encore au cours de la période suivante.

En 1798, le centre nerveux de la pensée romantique se déplace de Berlin à Iéna. Le romantisme entre dans la deuxième période de sa formation. Non plus tant une période poétique comme à Berlin (encore que chaque nouvelle période conserve ici les précédentes) que, cette fois-ci, une période philosophique.

Petite ville de Thuringe, Iéna ne constitue certes pas, en 1798, un centre politique comparable à la capitale prussienne. Mais, ville universitaire depuis 1558, Iéna constitue, au contraire, un centre philosophique sans comparaison en Allemagne. En 1798, on y trouve encore Fichte. Mais, ce qui nous intéresse encore plus, on y trouve aussi Schelling…

A cette date, on en a, au plan philosophique, à peine fini de la querelle du panthéisme.

On désigne ainsi la querelle qui a éclaté en Allemagne, aux environs de 1785, à propos de la compréhension de la philosophie de Lessing. Y trouvons-nous ou pas du spinozisme? Question peu brûlante en apparence. Mais précisons, afin de mieux comprendre en quoi ça brûle tout de même, que cette querelle à propos du spinozisme de Lessing a vite dégénéré en querelle à propos du panthéisme - ce qui certes ne signifie pas la même chose - querelle à propos du panthéisme où se joue, cette fois, une tout autre question : que faire, en Allemagne, de la philosophie rationaliste ? La rejetterons-nous ou pas ?

La cause de cette modification de sens de la querelle, de querelle du spinozisme en querelle du panthéisme, semble être un contre sens, plus ou moins volontaire, de Jacobi (le père de la querelle) à propos de Spinoza. Une thèse célèbre de Spinoza consiste en une assimilation de Dieu à la Nature. Mais ce qui, chez Spinoza, entraîne une extension de la rationalité - puisque le spinozisme se pense comme un cartésianisme décomplexé - entraîne, chez Jacobi, une espèce de mysticisme de la nature qui, à tout dire, ressemble plus à une espèce de néoplatonisme. Alors que Spinoza propage la nature à Dieu, Jacobi, au contraire, propage Dieu à la nature. Le panthéisme, cette invention de Jacobi, se présente comme un animisme. Dans le panthéisme, la nature a une âme - tout a une âme…

Ainsi, nous comprenons que la querelle du panthéisme renouvelle, en Allemagne, toute la problématique de la philosophie. Elle y ouvre une voie nouvelle aux âmes - aux choses invisibles ; aux choses immatérielles…

En 1798 cette querelle agite encore la pensée de Schelling.

De 1798 à 1800, la pensée romantique profite, à travers elle, de cette agitation. Elle y gagnera en cohérence.

Au plan thématique, le romantisme a retenu, de ce contexte, le panthéisme lui-même. Alors que, jusque là, nous y trouvions la seule référence au Dieu de la Bible, cette référence au Dieu de la Bible se double désormais de la référence à un Dieu-Nature. Désormais, le romantisme se présente, aussi, comme une espèce de mysticisme de la nature… Dans ses œuvres, la nature occupera une place essentielle...

Mais le romantisme a aussi retenu de ce contexte philosophique une tendance nouvelle à la systématisation voire même à la spéculation. De 1798 à 1800, le groupe publie la revue Athenäum. Celle-ci se présente, au travers de polémiques nombreuses, comme le lieu de prise de conscience de ce groupe comme groupe - un groupe que rassemble un ensemble précis de théories. De cette époque date la mise en place de la pensée romantique comme pensée philosophique.

Mais si, au cours de cette période, la musique reste une préoccupation majeure au plan philosophique, nous comprenons bien que, en comparaison à la période précédente, on ne rencontre ici pas plus de musiciens…

Ce sera pire, encore, à Heidelberg.

Aux alentours de 1800, le centre nerveux de la pensée romantique se déplace à nouveau. De Iéna à Heidelberg. Le romantisme entre dans la troisième période de sa formation. Une période, non plus poétique, non plus philosophique, mais politique.

Politique à cause de Napoléon.

Au cours de la décennie 1800, Napoléon chamboule tout en Allemagne. Traité de Lunéville… Bataille de Iéna… La politique française achève les restes de la vieille Allemagne impériale. En 1806, on en proclame la dissolution officielle. Mais en Allemagne, cette invasion déclenche, en même temps, une prise de conscience nationale. Au milieu de cette dissolution, la nation allemande se découvre, une première fois, comme nation allemande.

Peu préoccupé, jusque là, de politique, le romantisme participe de cette prise de conscience. Le romantisme va même y prendre une première place.

Comprenons, en ce sens, la signification nouvelle de la référence médiévale au sein de la philosophie romantique. Après 1806, le moyen âge ne joue plus tant, au sein de celle-ci, le rôle de référence religieuse (puisque nous nous sommes, aussi bien, convertis au panthéisme) que le rôle de référence politique. Le romantisme découvre, au moyen âge, une Allemagne puissante. Au moyen âge, le romantisme découvre aussi, ce qui lui semble lié, une littérature florissante. Toute cette littérature populaire - tous ces contes que nous connaissons grâce aux frères Grimm… Des contes politiques! Le romantisme tire de la littérature médiévale le modèle de la nouvelle littérature nationale. Nouvelle littérature nationale qui, à ses yeux, se présente comme une étape clé de la prise de conscience de la nation elle-même.

De manière plus générale, nous comprenons que le romantisme assigne aux Beaux-Arts une tâche essentielle au sein de cette prise de conscience. Le romantisme se pense lui-même comme la nouvelle école, libre de toute influence étrangère, la nouvelle école allemande seule capable de rendre sa puissance à la nation allemande. Une puissance de la nation allemande elle-même nécessaire à une Allemagne nouvelle…

Dans ce contexte, nous comprenons que la musique romantique gagne encore en nécessité mais aussi en difficulté. A la difficulté de faire une musique romantique on ajoute, ici, la difficulté de faire de cette musique romantique une musique nationale - une musique nationale là où, en Allemagne comme en musique, la notion de nation pose, à vrai dire, le plus de problèmes…

La quatrième période enfonce le clou.

Aux alentours de 1814, le romantisme a convaincu la Prusse que le romantisme constitue bien une étape clé de la mise en place de la nouvelle Allemagne. Ainsi, né, en 1796, comme pensée anti-prussienne, le romantisme se transforme, en 1814, en pensée prussienne. Né, à Berlin, comme pensée paradoxale, le romantisme se transforme, à Berlin, en pensée courante, en pensée officielle.

Mais si, à cette date, nous trouvons bien une philosophie romantique, si nous trouvons bien une littérature romantique, nous ne trouvons pas encore, répétons-le, de musique romantique. Ce qui semble bien être un comble vu la place que le romantisme lui prête…

Le fossé que nous avons repéré, de la théorie romantique de la musique à la musique romantique elle-même, se creuse, ici, en gouffre.

Le romantisme réclame une musique miraculeuse. Le romantisme réclame une musique nationale.

Examinons, un peu, de quelle manière la musique elle-même se débrouillera, ou pas, de tout ça.

— II

En 1810, Hoffmann publie, dans la Gazette musicale, un petit texte ensuite repris dans le tome I de ses Fantaisies. Dans ce petit texte, qui se présente comme une analyse, Hoffmann applique — ce qui semble bien être une première — les termes de « musique romantique » à une œuvre précise. Voici le titre de ce petit texte : « La 5e symphonie de Beethoven ».

Application certes peu étonnante. Après tout, la 5e symphonie de Beethoven occupe bien, comme nous avons vu, une première place au sein de notre représentation courante de la musique romantique. Plus encore, Beethoven lui-même occupe cette première place : nous avons tous en commun ce Beethoven chevelu conçu comme le plus romantique de tous les musiciens…

Mais la chose semble tout de même un peu plus étonnante si nous la serrons de plus près.

Posons-nous, un peu, les questions suivantes. Beethoven a-t-il fréquenté, ou pas, les lieux du romantisme ? Beethoven a-t-il fréquenté, ou pas, les romantiques eux-mêmes ? Beethoven a-t-il revendiqué, ou pas, une filiation ou, à tout le moins, une relation à cette philosophie, à cette théorie de la musique ? A toutes ces questions la réponse semble bien être non.

Né en Rhénanie, Beethoven a ensuite vécu en Autriche. Ce qui signifie que Beethoven semble être resté, toute sa vie, loin de ces centres du romantisme que nous avons repérés. Né en 1770, Beethoven a certes appartenu à la même génération que les romantiques. Mais né ailleurs Beethoven semble, en un sens, être resté ailleurs. Les romantiques, Beethoven ne les a, de sa vie, fréquenté.

En a-t-il, néanmoins, connu la philosophie ? Beethoven a-t-il connu, ce qui nous intéresse ici, la théorie romantique de la musique ? Difficile de répondre à cette question… Soulignons néanmoins que ce que nous connaissons de ses lectures nous le montre plus sensible au classicisme que sensible au romantisme. Si Beethoven a connu le romantisme, ce que nous ne savons pas en toute sûreté, Beethoven ne semble, en tout cas, guère convaincu de ses théories. Nous en avons, en ce qui concerne la théorie de la musique, un témoignage irréfutable. Beethoven a laissé peu de lettres - peu de lettres intéressantes. Excepté celle-ci. Dans une lettre à Bettina Brentano, en date de 1812, Beethoven a exprimé ses réflexions à propos de la musique. A ses yeux, la fin de la musique ne consiste pas à mettre en branle nos émotions (vision basse de la musique que Beethoven laisse aux femmes) mais la fin de la musique consiste, au contraire, à mettre en branle notre intelligence. Nous comprenons bien que, comparé aux critères romantiques, cette proposition a certes toutes les apparences de la proposition hérétique. Dans la théorie romantique, la musique se présente, au contraire, comme un lieu où nous mettons notre intelligence entre parenthèses ; un lieu où nous laissons libre cours à notre imagination… Dans la théorie romantique, la musique ne vise pas notre intelligence mais vise nos émotions. Dans le cas de Beethoven, nous comprenons que nous en sommes loin. Mais en 1824, Beethoven va encore plus loin. Dans une lettre de 1824, le musicien rapproche les Beaux-Arts de la Science - mis à égalité comme moyens proposés à tous ceux que tente une vie plus noble… Opinion toute classique que cette égalité ! Une opinion que nous pourrions croire extraite de ce bon Abbé Batteux (Batteux : le théoricien classique Français le plus connu en Allemagne)… Nous comprenons bien, en conséquence, que Beethoven ne partage certes pas les théories romantiques. A ses yeux, la musique ne se présente pas comme une musique miraculeuse. A ce Viennois convaincu, la musique ne se présente pas, non plus, comme une musique nationale. Beethoven semble bien éloigné de toutes ces préoccupations. Une lecture de ses autres lettres, ainsi que de ses cahiers de conversation, achève de nous en convaincre. Se dégage, de cette lecture, une tout autre image de Beethoven. Un Beethoven moins sérieux. Un Beethoven moins génie isolé. Mais un Beethoven qui aime la compagnie, la bonne chère, les blagues foireuses.

Beethoven romantique ? Allons bon ! Quelle mouche a piqué Hoffmann ?

Afin de le comprendre, mettons-nous un peu à sa place.

Né en 1776, en Prusse, Hoffmann se présente comme un écrivain - un écrivain romantique. Mais Hoffmann se présente aussi comme un musicien. Heureuse coïncidence - au moins en apparence. Comme écrivain romantique, Hoffmann va, en toute logique, reprendre la théorie romantique de la musique. Mais, comme musicien, Hoffmann pourra aussi (au sens propre) la mettre en œuvre.

Du moins, a-t-il essayé de le faire…

Parce que si nous lisons ou écoutons ses œuvres musicales nous sommes, à vrai dire, un peu déçus. Dans celles-ci, sonates ou opéras, Hoffmann musicien semble être resté très en deçà de ce que réclame, dans ses œuvres littéraires, Hoffmann écrivain. Hoffmann ne compose pas une musique miraculeuse - une musique qui nous enflamme, qui nous élève à la contemplation de Dieu. Mais une musique qui nous laisse de glace… Hoffmann ne compose pas une musique nouvelle. Mais une musique dans le style classique ou même, dans le cas de ses sonates, une musique dans le style pré-classique.

Hoffmann lui-même a bien conscience de ce fossé - de ce gouffre…

Hoffmann a vécu, du dedans, tout le drame de la musique romantique.

Vision de poète, ou théorie de philosophe, la musique romantique ne renvoie pas à une évolution de la musique elle-même. La musique romantique ne se présente pas comme une révolution musicale mais bien plutôt comme une révolution philosophique. Elle ne dérive pas de la musique elle-même mais elle lui a été imposée. Elle lui a été imposée en termes philosophiques - termes intraduisibles en termes musicaux.

Hoffmann a vécu, du dedans, cette impossibilité à traduire la théorie romantique de la musique en musique elle-même romantique.

Pris au piège dans cette impasse, Hoffmann se jette, désespéré, dans les bras de Beethoven. La musique de Beethoven, qui lui semble si neuve, qui lui semble si pleine de promesses, Hoffmann va en faire une incarnation exemplaire de la musique romantique tant attendue. Peu lui importe que Beethoven ne se pense pas lui-même comme romantique. Peu lui importe de mettre sens dessus dessous le sens de ses œuvres - peu lui importe, en un sens, de les faire siennes… On a plus le choix.

Mais si nous examinons encore les textes de Hoffmann consacrés à la musique, tous repris dans ses Fantaisies, nous voyons que, dans cette espèce de panique, Hoffmann va même plus loin. Don Giovanni ? Romantique ! Gluck ? Romantique ! Les Variations de Bach ? Romantiques - aussi. Nous trouvons ici la première occurrence de la définition du romantisme comme tendance éternelle de la création humaine. Alors que, jusque là, le romantisme a revendiqué sa paradoxale modernité, le romantisme revendique, désormais, une doxale éternité. De là, répétons-le, les confusions que nous avons évoquées.

Mais revenons à notre Beethoven. Nous comprenons, dès lors, que la 5e symphonie ne semble, en réalité, pas plus romantique que Don Giovanni… Ni Beethoven plus romantique que Gluck ou Bach…

Hoffmann ne se tourne pas vers Beethoven parce que Beethoven est romantique. Mais Beethoven est romantique, ou plutôt nous le semble, parce que Hoffmann se tourne vers lui.

Nous assistons, ici, à la naissance de ce qui semble bien être un « mythe Beethoven ». Un mythe Beethoven ensuite repris, amplifié, au cours de tout le XIXe siècle, tant dans la presse que dans les biographies. Un mythe Beethoven parachevé, enfin, de Wagner à Hitler…

Nous y reviendrons.

Mais voici, en tout cas, au moins, la réponse à une de nos interrogations initiales : Beethoven, nous le rangerons du côté de la musique classique plutôt que du côté de la musique romantique. Lorsque nous interprétons Beethoven à la manière romantique, nous nous laissons prendre au mythe - nous nous laissons prendre au piège de cette tradition qui ne relève pas de Beethoven lui-même mais de ses interprètes - interprètes plus ou moins bien intentionnés. Le mythe déforme toujours le mythifié - le mythe, qui se présente comme une chose toute naturelle, qui se présente comme la réalité, cache, tout au contraire, la réalité. Il y a encore un Beethoven derrière le mythe Beethoven… Un Beethoven certes plus proche du classicisme viennois.

Ainsi, nous avons bien trouvé, ici, en Beethoven, un exemple de musique romantique - mais un exemple involontaire. Pire : un exemple malgré lui.

Pas de quoi nous satisfaire…

Ne trouverons-nous pas, enfin, un vrai musicien qui utilise les théories romantiques comme inspiration de ses compositions - ne trouverons-nous pas, enfin, un vrai musicien qui revendique cette inspiration ?

En 1810, tandis que la Gazette musicale publie le texte consacré à la 5e symphonie de Beethoven, un jeune musicien, âgé de 24 ans, achève un opéra ainsi sous-titré : « opéra romantique ». Je veux, ici, parler de Weber.

Weber semble bien être le premier vrai musicien à composer ses œuvres en référence aux théories romantiques. Outre ce sous-titre (« opéra romantique ») nous en avons encore de nombreuses preuves supplémentaires. Nous avons conservé de Weber nombre de textes littéraires ou théoriques où Weber montre une réelle connaissance de la théorie romantique de la musique. Dans ces textes, entre autres la célèbre Vie de musicien, nous en voyons apparaître, pêle-mêle, tous les thèmes principaux : critique de la définition de la musique comme passe-temps agréable ; référence à Dieu ou à la Nature comme origine de la création ; référence aux forces de notre imagination ; référence, enfin, à une musique nationale. Tous ces thèmes, Weber les a compris - tous ces thèmes, Weber les a repris. La théorie romantique a passé dans sa musique comme inspiration de sa création.

Nous tenons, enfin, notre vrai musicien romantique.

Néanmoins, à examiner de près sa musique, nous sommes frappés de la trouver écrite dans un style si classique. Un style plus classique, en un sens, que le style même de Beethoven.

Alors quoi ? La musique de ce musicien romantique nous semblera classique - tandis que la musique de Beethoven, ce musicien classique, nous semble romantique ? Quelle étrange inversion ! Il y a de quoi perdre la tête !

Mais au milieu de cette apparente confusion, au milieu de cette dissolution de tous nos repères, nous touchons, enfin, à une compréhension plus profonde de la musique romantique allemande dans la première moitié du XIXe siècle.

La musique romantique allemande, en un sens, ça existe pas.

Ça existe pas comme existe une chose - une chose que nous pourrions décrire. La musique romantique allemande ne se présente pas comme une chose mais bien plutôt comme un problème - un problème irrésolu. Le fossé ou plutôt le gouffre que nous avons repéré de la théorie romantique de la musique à la musique romantique elle-même ne se comble pas. La théorie romantique réclame une musique miraculeuse ; la théorie romantique réclame une musique nationale. Mais elle ne donne guère plus de précisions. Face à toutes ces ambitions, le musicien romantique semble, à tout dire, bien démuni - bien démuni à traduire ces ambitions au sein de la musique elle-même : là où tout ça ne semble pas faire sens. Alors on se débrouille…

Sans nécessité intrinsèque à la musique elle-même, la musique romantique allemande est certes devenue romantique ; elle est certes devenue allemande : mais de manière extrinsèque à la musique.

Ce qui signifie que nous trouvons pas, en musique, de style romantique - un style romantique opposé à un style classique. Né comme une école littéraire le romantisme demeure, en un sens, une école littéraire.

Mais si nous ne trouvons pas de style romantique, nous trouvons bien, en revanche, une inspiration romantique - inspiration littéraire de la musique.

Aux musiciens de la génération 1810, la pensée romantique se présente désormais comme une pensée courante. Mais elle ne dicte pas les procédés de la composition. Elle ne dicte guère que ses visions. Prenons le cas de Schumann. Dans ses œuvres, Schumann se réfère, sans cesse, aux visions romantiques. Mais Schumann se réfère, aussi, sans cesse, aux modèles de composition classiques.

Nous comprenons, dès lors, que la musique romantique se présente ici comme un équilibre - un équilibre fragile ; un équilibre en équilibre au dessus du gouffre - un équilibre où une inspiration romantique se mêle aux procédés de composition classiques. Quitte à les distendre…

Nous comprenons, aussi, que cette inspiration romantique de la musique constitue, dès lors, à elle seule, toute la musique romantique.

Sans doute trouvons-nous bien un certain nombre de constantes repérables de la musique romantique allemande en cette première moitié de XIXe siècle : préférences accordées aux formes libres ; aux formes courtes - comme la fantaisie ou la mélodie. Néanmoins, le principe qui engendre, ici, toutes ces formes, le principe qui engendre la musique, se révèle bien être un texte ou un prétexte littéraire. Texte ou prétexte romantique qui élève ainsi au romantisme une musique elle-même toute classique.

Il y a là, sans doute, un paradoxe. Le romantisme, qui place, en théorie, la musique au dessus de la littérature, entraîne, en pratique, une musique où tout se ramène à de la littérature.

Mais, répétons-le, on se débrouille…

Dans une constante tension, sans cesse en équilibre, la musique romantique allemande ressemble à un funambule qui danse au dessus du vide. Elle en tire toute sa richesse ; elle en tire aussi toute sa beauté…

Nous voilà, néanmoins, bien éloignés de notre représentation courante de la musique romantique allemande - si loin que nous nous sentons, au terme de cette première conférence, presque déçus.

Presque déçus parce que nous avons, ici, somme toute, appris peu de chose. Tout au contraire : nous en avons même désappris beaucoup. Nous avons, répétons-le, été obligés de mettre de côté notre représentation courante de la musique romantique allemande. A dire vrai, une distance presque infinie la sépare de la réalité. Une distance presque infinie au creux de laquelle nous ne nous sentons certes pas abrités… Elle nous donne plutôt le vertige…

Quelles causes trouverons-nous, ici, à cette distance ?

Sans doute trouverons-nous comme cause cette espèce de destin qui frappe toute grande pensée lorsque cette pensée, de pensée paradoxale, se change en pensée à la mode. Elle se dilue. Elle se déguise en caricature de soi-même.

Mais, dans le cas de la musique romantique allemande, dans le cas du romantisme, cette première explication ne semble pas suffire - tant la distance se révèle, ici, vertigineuse.

Notre hypothèse consiste à dire que la cause décisive de cette distance de notre représentation courante de la musique romantique allemande à la musique romantique allemande elle-même tient à ce fossé, à ce gouffre, que nous avons repéré de la musique romantique allemande au romantisme lui-même. Fossé ou gouffre qui la constitue comme problème - un problème irrésolu.

Vers le milieu du XIXe siècle, on assiste à une reprise de ce problème. Dans une Allemagne en pleine recomposition, une Allemagne en quête de soi-même, ce problème, on essaie de le résoudre enfin - quitte à en réécrire les termes… On assiste, de Schopenhauer à Wagner, à une espèce de falsification de toute cette histoire - une falsification géniale, sans doute, mais sans doute pas innocente.

Mais, ça, nous le verrons au cours du prochain épisode…

François Coadou
2004


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Mercredi 7 Février, 2024