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22 mars 2014, par Alain Lambert ——

Le Silence d'or des surréalistes, un livre quasi muet sur Silence d'or d'André Breton !

Le silence d'or des surréalistes

Le silence d'or des surréalistes (textes réunis par Sébastien Arfouilloux, préface par Henri Béhar). Ædam musicæ, Château-Gontier 2014 [ 304 p. ; ISBN 978-2-919046-10-2 ; 22 €]

Tout commence dès la première page de présentation du directeur du recueil, Sébastien Arfouillou : « Le "Silence d'or" des surréalistes qui donne son titre à ce volume est une référence à un texte d'André Breton : "Silence d'or", qui justifiait le rejet de la musique. ».

Cette phrase sonne comme une affirmation définitive, malgré quelques pauvres nuances dans les pages suivantes, et la citation d'une lettre inédite de 1941 affirmant que « l'analyse des moyens tendrait bien à prouver que le jazz hot est surréaliste ». Une façon de noyer le « poisson soluble », reprise  par le préfacier ensuite, après quelques mots bien rapides sur le texte de Breton, en revenant à la thèse principale  du précédent livre de  Sébastien Arfouilloux, Le surréalisme et la musique, qui, dans sa deuxième partie, examinait « en détails les motifs du refus de la musique par Breton (surdité musicale, primauté de la peinture...). La poésie doit se suffire à elle-même, elle refuse toute connivence  avec la musique » (p. 22). Sans qu'il y soit question de Silence d'or, et de ses perspectives. Puis, dans la suite du présent ouvrage, plus rien, aucun extrait, aucune référence ni lecture de ce texte de 1944, « qui justifiait le rejet de la musique. »

Et qui nous semble majeur, car s'il explique bien le rejet de la musique dans la première partie, il ne le justifie pas et va au contraire dans les pages suivantes revenir sur son anathème et le dépasser dans les deux parties suivantes [voir notre article]. Qu'on en juge par ces quelques extraits :

M'en tiendrais-je à la hiérarchie proposée par Hegel, la musique, par rang d'aptitude à exprimer les idées et les émotions, viendrait immédiatement après la poésie et devancerait les arts plastiques. Mais surtout, je suis persuadé que l'antagonisme entre la poésie et la musique qui semble avoir atteint son point culminant pour quelques oreilles d'aujourd'hui, ne doit pas être stérilement déplorée mais doit au contraire être interprété comme indice de refonte nécessaire entre certains principes des deux arts [...] La parole intérieure ..est absolument inséparable de la musique intérieure [...] Telle qu'elle est enregistrée par l'écriture automatique, [elle] est assujettie aux mêmes conditions acoustiques de rythme, de hauteur, d'intensité et de timbre que la parole extérieure, quoique à un degré plus faible. En cela elle s'oppose du tout au tout à l'expression de la pensée réfléchie, qui ne garde plus aucun contact organique avec la musique... Mais surtout, l'indépendance de la pensée intérieure par rapport aux obligations sociales et morales aux obligations sociales et morales auxquelles doit s'astreindre le langage parlé et écrit la met dans la seule nécessité de s'accorder avec la musique intérieure qui ne la quitte pas [...] Les grands poètes ont été des «  « auditifs », non des visionnaires. Chez eux la vision, « l'illumination » est, en tout cas, non pas la cause, mais l'effet... selon moi, ces choses n'ont été vues que secondairement, elles ont d'abord été entendues […] Aux musiciens j'aimerais faire observer qu'en dépit d'une grande incompréhension apparente, les poètes se sont portés loin à leur rencontre sur la seule voie qui s'avère grande et sûre par les temps que nous vivons: celle du retour aux principes. Mais peut être avec eux le manque d'un vocabulaire commun m'empêche-t-il de mesurer leurs pas vers ceux qui pour la faire revivre doivent partager avec eux un peu de terre sonore et vierge. [André Breton, par Jean Louis Bedouin Seghers 1970, p. 64-70]

Revenons au recueil. Après l'introduction et la préface, une série d'articles vont décliner cette thématique du silence et du bruitisme Dada ou du minimalisme Fluxus, comme fuite de la musique. Mais déjà le premier texte surprend où il est dit qu'Orphée est absent de l'œuvre poétique de Breton. En oubliant ce très beau passage du Message automatique, (in « Point du Jour ») qui annonce, dès 1933, Silence d'Or :

La musique et la poésie ont tout à perdre à ne plus se reconnaître une souche et une fin communes dans le chant, à permettre que la bouche d'Orphée s'éloigne chaque jour un peu plus de la lyre de Thrace. Le poète et le musicien dégénéreront s'ils persistent à agir comme si ces deux forces ne devraient jamais plus se retrouver... Il faut vouloir unifier, ré-unifier l'audition, au même degré qu'il faut vouloir unifier, ré-unifier la vision.

Autre grand absent de ce recueil, y compris et surtout dans l'article consacré aux « rapports possible entre le surréalisme et le jazz », Puissances du Jazz  de Gérard  Legrand (1927-1999), non pas réduit au silence (d'or) comme Breton, mais oublié totalement. Et pourtant, quel grand livre surréaliste sur le jazz il a commis, en 1953, sans se faire excommunier, aux éditions Arcanes [voir notre article]. Poète, philosophe, et critique de cinéma, membre actif du groupe surréaliste de 1948 jusqu'à sa dissolution « officielle » en 1969, proche de Breton, il dirigea la revue « Bief » de 1958 à 1960. Dans le dernier chapitre intitulé Jazz et surréalisme justement, avec en exergue des vers d'André Breton (« ici le musicien a fait merveille ») il explique, et l'on ne peut être plus explicite :

D'où peut venir une pareille rencontre ? La réponse immédiate, la plus simple, c'est : de l'automatisme. Et de fait, il y a bien parenté entre l'improvisation (collective ou non) et certaines manifestations de l'automatisme surréaliste.... L'évolution même de l'image confirme cette manière de voir : l'image surréaliste est en train d'aboutir à la pure désignation de l'objet élu, qui ne se trouve plus le fruit d'une convention poétique préliminaire, mais celui du désir même de l'homme (p. 202-203). Ici, comme dans les phrases musicales du jazz... les images se réduisent à leur propre inflexion : le dernier soupçon d'harmonie imitative a disparu du verbe humain, la métaphore totalement atteste le retour de la poésie à son origine magique, et, paradoxalement, sa maîtrise d'un univers où toute magie semble avoir été annulée. C'est l'intonation qui donne leur prix aux merveilles de Sur la route de San Romano [poème d'André Breton], comme au simple exposé d'un thème par Hawkins ou Gillespie. « Minuit sonne toujours autrement qu'une autre heure », disait Xavier Forneret.

Le surréalisme n'avait pas attendu ce tournant décisif pour réclamer des « mots sans rides ». Et il les avait demandés notamment dans des activités ludiques collectives (jeu des questions, cadavres exquis) dont l'automatisme rejoint les particularités du jazz... J'en dirai autant du jeu du téléphone, que la présence d'un thème et la mémoire orale rendent encore plus proche de l'improvisation du jazz (p. 204-205). Qui dit intonation dit intention, et c'est bien ici l'intention qui renouvelle les schèmes d'expression qu'il s'agisse des mots du poète ou des accords du musicien... Cette intention magique de contact concret avec l'univers, avec tout ce qu'elle sous-entend d'intentions révolutionnaires à l'égard de la figure que l'homme a cru devoir faire prendre à cet univers, est à la source même du surréalisme. Une éthique qui tend à glorifier, et à faire passer en actes les valeurs toujours refoulées de la jeunesse, de l'amour, et j'ajouterai de l'amitié, au moins de la plus large communication humaine, ne peut que s'exalter aux approches du jazz.... S'il est à cet égard, et jusque sur le plan moral, une musique qui témoigne en faveur de la grandeur humaine et en éveille l'écho, c'est en moi indubitablement celles qu'illustrent certaines créations des J.A.T.P., et plus encore les pièces maîtresses d'Armstrong (West End Blues, Wild Man Blues), les incantations de Duke Ellington et de Johnny Hodges, la cruelle idylle de Charlie Parker (Bird of Paradise), avec Stuffy de Hawkins, The Champ de Gillespie et Evidence de Thelonious Monk (p. 207-209).

C'est aux poètes à sauver le monde, et du même coup ce qui du jazz pourra être sauvé, une musique différente des autres qui serve d'auréole à la beauté « magique circonstancielle » et « explosante-fixe » qu'appelait André Breton dès L'amour fou(p. 212).

Donc, des articles sans doute intéressants, sur la chanson par exemple, ou Le traité de piano de Bonnefoy, mais une perspective bien limitée à cause de la phrase d'ouverture qui réduit le titre même du livre, et du texte de Breton éponyme, à la seule justification du rejet de la musique. Il est quand même surprenant que ce soit à nous de donner à lire les extraits des textes surréalistes ci-dessus !

plume Alain Lambert
22 mars 2014


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