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Opéra de Dijon, Auditorium, 28 mai 2015, par Eusebius ——

Finir en beauté : le chœur de l'opéra de Dijon dans un répertoire tchèque

Mihály Menelaos ZekeMihály Menelaos Zeke. Photographie © D.R.

Le chœur de l'opéra, pour son dernier concert de la saison, nous emmène entre Bohême et Moravie, de la fin du xixe siècle à nos jours. Les chanteurs gagnent leurs pupitres, largement espacés et disposés en arc de cercle, sur deux rangs, six par pupitre, voix de femmes devant, les basses derrière les sopranes, côté jardin, et les ténors au-dessus des altos. Le voyage commence avec les Six duos moraves de Dvořák1, arrangés pour chœur et piano par Janáček. Chacun des tableaux est l'occasion pour les chanteurs de donner la mesure de leur talent : plénitude, équilibre, souplesse et dynamique, de belles couleurs, c'est remarquable. Légèreté du second et du cinquième, lyrisme du troisième, le dernier vient couronner le tout, après la belle introduction du piano. Le chant est contenu, avec de superbes phrasés. La qualité d'émission, exceptionnelle, et la fusion des timbres sont telles que chaque partie semble ne comporter qu'une voix.

La cane sauvage, de Janáček, constitue avec la pièce suivante un des sommets de l'écriture chorale. Pièces éminemment lyriques et dramatiques, on les a parfois comparées à de petits opéras, dont elles partagent l'écriture vocale. La trace du loup, que le chasseur suit jusqu'à la fenêtre de sa chambre, où il tue son rival, est une scène intense, avec le thème de la jalousie et de la trahison, cher à Janáček. Comme dans la partition originale, c'est le beau soprano dramatique de Linda Durier qui chante les deux imprécations du chasseur, le vieux Capitaine, le chœur de femmes lui donnant la réplique ou l'accompagnant.

Les madrigaux tchèques de Bohuslav Martinů, écrits près de Compiègne en  1939, nous renvoient aux confins de la Bohême et de la Moravie. Les quatre qui ont été retenus varient les formations a cappella : voix de femmes ou voix mixtes, dans des combinaisons toujours subtiles. Pièces remarquables que découvre le public, même averti. L'interprétation est achevée et constitue certainement une référence.

L'Élégie2 fut écrite par Janáček pour la disparition de sa fille de vingt-et-un ans, Olga, enlevée par la typhoïde. La résignation, une tristesse sereine marquent cette superbe page. Le ténor solo, Stefano Ferrari, dans sa méditation sur la mort, comme le chœur, pleinement investi, n'appellent que des éloges.

Petr Eben, disparu en 2007, nous lègue une œuvre riche, foisonnante, dont seules les pièces pour orgue sont régulièrement jouées en France. Écrites pour chœur de femmes, les deux miniatures offertes (extraites du recueil À propos d'hirondelles et de jeunes filles) témoignent d'une riche écriture contrapuntique et d'une subtilité modale particulièrement appropriées : « L'Aurore » et « Le coucou chante », d'esprit populaire, sont ravissantes.

Le Otčenáš [Notre Père], en morave3 constitue en quelque sorte le brouillon magistral de la Messe glagolitique, de Janáček. Cinq tableaux où le ténor solo, le chœur et le piano4 brossent une fresque dramatique intense, souvent sombre, très slave. Cette ample composition, tour à tour empreinte de douceur, de suavité, puis d'une force insoupçonnée, fervente et révoltée, nous prend à la gorge.

La complicité entre Maurizio Prosperi, fidèle et remarquable accompagnateur, et Mihaly Zeke est manifeste : la fusion avec le chœur est idéale. On chercherait en vain le moindre décalage, la moindre nuance susceptible de troubler le merveilleux équilibre. La direction, inspirée, se caractérise par son exigence, sa finesse, sa respiration, le galbe des phrasés, la vigueur des accents, et – toujours – une intense vie musicale.

Dans un répertoire très circonscrit, seules les meilleures formations chorales, privées d'orchestre, ont capacité à captiver l'attention d'un public non spécialiste durant plus d'une heure et demie. C'est chose faite. Chacun des auditeurs a compris qu'il s'était passé quelque chose d'exceptionnel, sans pour autant en deviner la cause. Ce concert était en effet le dernier que dirigeait Mihály Menelaos Zeke5, et chacun des choristes, engagé plus que jamais, tenait à manifester sa gratitude envers celui qui les avait conduits à un tel niveau et leur avait fait vivre tant de belles rencontres. L'émotion était perceptible et partagée.

Eusebius
29 mai 2015

1. Brahms recommanda Dvořák auprès de son éditeur, Simrock, après avoir apprécié ces duos.

2. sur le texte écrit par une amie de sa fille.

3. alors que l'Empire imposait l'allemand et l'Église le latin.

4. la partition originale comportait un accompagnement d'harmonium (puis de harpe et de piano). Quand rendra-t-on enfin justice à cet instrument, injustement discrédité par son détournement, trop souvent maladroit, à des fins liturgiques ? Si Rossini, Janáček et combien d'autres ont écrit pour lui, ce n'était pas sans raison.

5. le jeune chef gréco-hongrois a pris la direction d'Arsys, succédant à Pierre Cao, à la Cité de la Voix, basée à Vézelay. Le nom de son successeur n'est pas encore connu.


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