Merveilleux SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg, qui nous fait partager son art pour une ultime saison1 ! Au programme, deux quatrièmes symphonies : la « Tragique » de Schubert2, et celle de Mahler, en sol majeur, de 85 ans sa cadette.
Leopold Hager. Photographie © D.R.
Après l'introduction grave, sombre, adagio molto, où il s'inscrit dans la tradition de Haydn et de Mozart plus que dans la filiation avec Beethoven, Schubert nous entraîne dans un allegro, pris ce soir à la fois retenu et très dynamique, avec des phrasés et une articulation splendides. Malgré ce tempo « sage », ça avance, l'intérêt se renouvelle en permanence. L'andante, intime, chante, le hautbois tout particulièrement. Les équilibres parfaits, une infinie douceur, la légèreté des textures, des bois charnus, le caractère champêtre, pastoral, des cordes ductiles nous ravissent. Les épisodes contrastés, les modulations autorisent un ample développement. La fin est remarquablement conduite. Le bonheur est là, toujours cela respire. Le menuet, véritable scherzo, allegro vivace, avec son articulation singulière et sa dynamique, comme le trio aux bois, legato ont une séduction rare. Le finale, allegro, est pris proche du vivace, ardent, fébrile. La coloration sombre sinon tragique du début sera vite oubliée. On est à l'opéra, avec ses successions de scènes, de climats, de caractère. Un romantisme vrai, avec la force et l'élégance. Un ut mineur, certes, mais ô combien différent de celui de la 5e de Beethoven, que Schubert connaissait.
La direction, magistrale, force l'admiration, par sa clarté et son efficacité : il suffit d'observer le chef pour tout comprendre. Les musiciens sont manifestement heureux de travailler sous sa conduite. Leopold Hager, jeune d'allure, souple, porte allégrement ses 80 ans, il vit intensément ce qu'il dirige avec amour, sa vitalité est débordante. Je ne vois guère que Bernstein comme chef dont la maîtrise et le charisme aient été aussi évidents.
De Schubert, nous basculons dans un univers sensiblement différent, bien que toujours viennois. Der Himmel hängt voller Geigen3, ainsi se nomme le poème du Knaben Wunderhorn, qui constitue le point de départ de la composition. Bruno Walter confie à son sujet : « Après des œuvres graves, Mahler éprouvait le besoin impérieux d'exprimer la joie, ou plutôt la sérénité. Le résultat en fut cette idyllique Quatrième Symphonie, dans laquelle la piété intérieure rêve du Paradis. D'un bout à l'autre de l'œuvre, le climat reste onirique et irréel (…) un mystérieux sourire et un humour fantasque. »
Dès le « Bedächtig, nicht eilen », la perfection est au rendez-vous. Un sommet, tout Mahler est là : Frais, chambriste, flairant la guinguette, avec l'élégance et la distinction dans le jeu d'une thématique somme toute très triviale. Le grotesque y côtoie l'extrême raffinement. Epanchements, joie débridée, spectaculaire, relief 3 D, hyper romantique, avec un sens de la valse qui n'appartient qu'aux Viennois. Durant le deuxième mouvement, « in gemächlicher Bewegung. Ohre Hast », notre admiration se confirme. Un souci constant des modelés, des accents, des équilibres, des polyphonies, avec des bois admirables. C'est construit, toujours lisible, l'évidence même, il se passe toujours quelque chose d'intéressant. Le scherzo, « féérie étrange et inquiétante » (Bruno Walter), est d'un constant lyrisme, les cordes graves splendides, rondes. On atteint à une plénitude extatique, crépusculaire, une douceur qui emportent l'émotion. Le démoniaque solo de violon, une délicieuse douleur, l'incertitude triomphale, puis apaisée. Le dernier souffle du mouvement, quadruple piano, est un enchantement. Le finale, qui fut le point de départ de la symphonie, nous fait passer de la félicité naïve avec son côté humoristique à la joie suprême que nous offre la musique. Quel dommage que les auditeurs aient été privés de la traduction du texte ! Citons-en simplement la conclusion :
Aucune musique sur terre
N'est comparable à la nôtre.
Onze mille jeunes filles
Entrent dans la danse.
Sainte Ursule elle-même en rit.
Aucune musique sur terre
N'est comparable à la nôtre.
Cécile et les siens
Sont de parfaits musiciens de cour !
Les voix angéliques
Réchauffent les sens,
Ainsi tout s'éveille à la joie.
Camilla Tilling. Photographie © D.R.
La grande Camilla Tilling déroule son chant. Elle vit son texte avec tout son sens, de la naïveté fraîche du début à la plénitude finale, avec juste ce qu'il faut d'humour. L'émission est naturellement séduisante, le chant clair, limpide, avec une réelle égalité des registres. L'orchestre est le partenaire idéal de la soliste, magistralement dirigé par Leopold Hager. Enregistré, ce moment unique, captivant, nous sera donc restitué. Que de bonheur en perspective…
Eusebius
24 novembre 2015
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