Rameau, Pièces de clavecin en concert : Transcription pour deux clavecins. Mireille Podeur et Orlando Bass. Maguelone 2014 (MAG 111.190)
Enregistré en 2013 sur des clavecins Colesse de Laurent Soumagnac.
On connaissait de longue date ces Pièces de clavecin en concert, si célèbres en leur temps, si souvent enregistrées depuis que Saint-Saëns les transcrivit pour piano. D'autres adaptations avaient déjà eu cours, suggérées par Rameau lui-même, avec deux violons, avec flûte… Elles furent ainsi transcrites en Concerts en sextuor dès le xviiie siècle. On sait qu'elles n'ont plus de réel rapport à la sonate en trio, puisque qu'ici le clavecin est roi, affranchi de son rôle subalterne pour occuper le devant de la scène. Du reste, de scène il est toujours question. En 1741, Rameau n'est plus seulement le claveciniste brillant de ses débuts, 35 ans plus tôt, il a découvert et conquis la scène lyrique, et avec quel génie ! Ses Pièces en portent indéniablement la marque : 10 sur les 16 sont reprises de ses opéras, ou y seront réemployées. Autre élément essentiel : même si ne sont mentionnées explicitement que deux danses (menuet et tambourin), une large part des autres pièces relève de celles-ci (gavotte, sarabande…).
2014 nous a enseigné à lire Rameau… sans ramollir2. La plus belle illustration en est sans doute cet enregistrement, sorti il y a quelques mois, dont l'intérêt ne se dément pas. Mireille Podeur et Orlando Bass ont réalisé une transcription pour deux clavecins que n'eût pas reniée le Dijonnais, d'une fidélité littérale, et surtout musicale, qui nous permet une nouvelle approche de ces chefs-d'œuvre.
Comme de coutume, chacune des suites est construite autour d'une tonalité :
En ut, majesté de La Coulican en guise d'ouverture, La Livri, rondeau gracieux, est ici débarrassé de son caractère funèbre pour une grâce singulière, Le Vésinet et son écriture virtuose sont illustrés avec insouciance.
En sol, La Laborde, simple et enjouée, souriante, d'une rare élégance aussi. La Boucan, méditative sarabande qui s'ignore ; L'Agaçante, dont la séduction ostensible fait sourire ; Les menuets, tout sauf convenus, sachant toujours ménager l'attente de l'auditeur.
En la, La Lapoplinière sûre d'elle, affirmée et distinguée, dont le dynamisme convainc ; La Timide, plus vraie que nature, avec ses hésitations, sa gaucherie attachante ; Les Tambourins nous entraînent dans une danse réelle, toujours animée, dont nous voyons les figures se dessiner sous nos yeux.
En si♭, avec La Pantomime nous voilà au théâtre ; L'Indiscrette fait tourner son moulin à paroles, ses chuchotements, ses médisances, peut-être ; La Rameau, évidemment tonique.
En re, La Forqueray où la fugue se fait fugato dynamique, toujours lisible ; La Cupis, rêveuse, tendre ; La Marais pour conclure nous offre une joyeuse gavotte.
Ça chante, ça respire la bonne humeur, une version épanouie, tonique, colorée, débordante d'énergie, de vitalité, où règnent la fantaisie et la liberté, sans que soient altérées l'élégance et la distinction3. Mireille Podeur et son complice, Orlando Bass, remarquable improvisateur, s'en donnent à cœur joie et font chanter les beaux instruments de Laurent Soumagnac, pour notre plus grande joie.
Eusebius
15 septembre 2015
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