Defetel Nicolas (éditeur), Liszt Franz, Tout le ciel en musique : pensées intempestives. Le passeur, Paris 2016 [248 p.; ISBN 978-2-36890-347-6 ; 18,50 €].
Franz Liszt était en société comme en son piano, brillant, prompt à la belle répartie virtuose, amateur de bons mots, de belles maximes, d'aphorismes heureux. Sensible à cette singularité du compositeur, Nicolas Dufetel a dépouillé une montagne de documents (souvent en français, Liszt écrivait en français) dont des inédits, certains d'accès difficile, pour en extraire un florilège exemplaire de l'art de l'aphorisme du maître de Weimar.
Il a classé ces — selon lui — pensées intempestives par thèmes : « musique et musiciens », « art et artistes », « religion », etc.
La lecture, qui peut être suivie ou picorée en est fort agréable.
Mais, nous sommes ici à un niveau universitaire, et la bonne lecture distrayante d'entre deux gares n'estompe pas les ambiguïtés et les faiblesses.
La première de celles-ci s'articule sur les divers sens qu'on peut donner à la notion de « pensée », et du rapport qu'on peut établir entre pensée, parole et expression écrite.
On emploie le mot « pensées » au pluriel, pour l'expression d'opinions, d'observations, de sentences sur des sujets divers, mais on ne caractérise pas ainsi la pensée au singulier, le processus intellectuel, mais aussi sentimental, qui conduit à ces opinions particulières. En réalité, contrairement à l'affirmation du sous-titre de ce livre, il n'y a pas de pensées intempestives, même si les propos peuvent l'être.
Lié organiquement à cette question, un autre aspect de ce livre est plus inquiétant, car il illustre comme un retour à un positivisme, que la musicologie, sourde aux évolutions de disciplines qui devraient lui être essentielles (histoire, psychologie, sociologie, etc.) n'a jamais pu se défaire. Ainsi, il suffirait d'exposer judicieusement des documents biens choisis, pour donner sens, ou reconstruire ce qu'on a atomisé, d'un point de vue essentialiste, et faire l'économie des explications opérations idéologiques, jugées « subjectives », qui sont pourtant la connaissance.
Ainsi, on jugera l'exposition d'une multitude de tessons de terre cuite, témoins de l'antiquité, comme une reconstitution objective du passé, alors que les dessins et les explications de l'archéologue quant aux ustensiles de cuisine auxquels ces tessons peuvent faire penser, sont jugés subjectifs. Or, ce sont les explications qui font connaissance, même discutables du fait que la connaissance est perfectible à l'infini.
Kant critiquait à raison les érudits qui accumulaient de quoi « charger cent chameaux », mais qui manquaient de philosophie pour donner un sens à leur chargement.
Le fait d'avoir extirpé des écrits Franz Liszt des sentences souvent savoureuses et de les avoir réorganisées selon un ordonnancement qu'on juge pertinent, ne peut en aucun cas être considéré comme représentance de la pensée du compositeur, tant sur les sujets religieux que sociaux ou artistiques, et ne dispense pas qu'on y disserte et qu'on ose exprimer des idées personnelles (et discutables), afin de donner sens et sujets à réflexion, sur l'homme confronté aux problèmes artistiques, sociaux (il y était sensible), politiques religieux de son temps.
En réalité, il s'agit là d'une exposition raisonnée de l'art du bon mot et de l'aphorisme de Franz Liszt, qu'on aurait pu organiser plus judicieusement selon des thèmes littéraires : polémique, contradictoire, humour, sentences, questionnement, dérision, optimisme, pessimisme, absurdité, etc.
Mais là encore, on ne peut faire l'économie de disserter sur ce qu'est un aphorisme, sa fonction (polémique, mais aussi d'évitement, etc.), sa pertinence, ses usages et ses limites, son autonomie, son dynamisme, ses règles, ses facilités, ce qu'il en était à l'époque et dans le milieu que Liszt fréquentait.
Bref, un très gros travail qui ne sert pas à grand-chose, sinon à quelque plaisir délassant, mais également assez rapidement lassant, qui en dit pas mal sur la décrépitude de la musicologie universitaire actuelle (cet ouvrage est soutenu pas des intitutions universitaires), et la sclérose de la pensée singulière à l'université qui a abandonné ce qui faisait sa grandeur : la pensée critique.
Jean-Marc Warszawski
12 octobre 2016
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