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Monaco, 26 novembre 2016, par Jean-Luc Vannier ——

Petrouchka et L'Enfant et les Sortilèges, la « Féérie » avant Noël de Kazuki Yamada et de l'orchestre philharmonique de Monte-Carlo

Kazuki YamadaKazuki Yamada. Photographie © Marco Borggreve.

« Magnifier la musique…en proposant un thème par concert ». Pour fêter les 160 ans de l'orchestre philharmonique de Monte-Carlo tout en imprimant sa marque comme nouveau Directeur Artistique et Musical depuis septembre 2016, Kazuki Yamada proposait vendredi 25 novembre à l'auditorium Rainier III un programme intitulé « Féérie » avec Petrouchka d'Igor Stravinsky (version de 1947) et, en deuxième partie, L'Enfant et les Sortilèges de Maurice Ravel. Outre la note d'intention du maestro, le programme dont il convient de saluer l'effort de présentation incluant une mise en perspective des compositeurs dans l'histoire de la musique et des documents plus fouillés sur les œuvres, indiquait le soutien apporté à cet événement par l'association « Les amis de l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo ». Entre, d'une part, les « scènes burlesques en quatre tableaux » créées sous forme d'un ballet le 13 juin 1911 au Théâtre du Châtelet et suggérant, selon le compositeur, la « vision d'un pantin subitement déchaîné qui, par ses cascades d'arpèges diaboliques, exaspérait la patience de l'orchestre » et, d'autre part, la « fantaisie lyrique » ravélienne créée quant à elle à l'opéra de Monte-Carlo le 21 mars 1925, c'était bien sur « le monde de l'enfance que l'orchestre ouvrait une porte toute empreinte de féérie ».

Depuis son enregistrement avec le regretté Yakov Kreizberg le 28 février 2010, la philharmonie monégasque n'avait pas interprété cette œuvre réputée difficile, non seulement pour l'auditeur en raison de son détonant « accord Petrouchka » — le diabolique triton de l'écart de trois tons entre deux notes — mais aussi pour la frénésie savamment désarticulée de son rythme et son extrême diversité instrumentale. Deux clarinettistes (Jean-Pascal Post du « Philhar » et Lorenzo Salva-Peralta, madrilène passé par la Hochschule für Musik de Freiburg) remplaçaient d'ailleurs les titulaires souffrants. L'interprétation donnée par le maestro japonais nous séduit sur un point fondamental : la balance méticuleusement respectée qui restitue les authentiques sonorités du moindre instrument solo, jamais noyé sous les pupitres. Cette maîtrise pointilleuse du trafic orchestral dans cette partition, pourtant d'une inhabituelle densité, notamment pour les cordes, accentue pour le mélomane cette agréable impression de relief mais aussi de personnification visuelle des notes. Les sons subreptices, habilement détachés surgissent de toutes parts pour emporter notre imaginaire dans le monde fantastique de Stravinsky. Signalons la présence, rarissime mais repérable, de certains tempi plus aléatoires malgré cet ordonnancement magistral des interventions. Une autre chose nous aura frappé dans cette soirée : les métamorphoses dans la gestuelle conductrice de Kazuki Yamada. Moins sophistiquée dans sa chorégraphie, elle donne le sentiment de s'être « désorientalisée » au profit d'une recherche, plus rationnelle, plus directe aussi, d'une efficience pédagogique. Prise en compte de la complexité particulière de cet opus ? Ou conséquence des premiers mois de collaboration avec la phalange monégasque ? Toujours est-il que les ultimes et subtiles pizzicati de Petrouchka laissent l'audience sur un silence abyssal, témoignage d'un émerveillement pour le voyage onirique qui venait de s'achever.

En deuxième partie, l'orchestre philharmonique de Monte-Carlo tout comme les auditeurs sont en terrain connu. L'opéra de Monte-Carlo avait donné en janvier 2012 L'enfant et les Sortilèges dans une magnifique distribution tandis que les Ballets de Monte-Carlo confiaient en juillet dernier à Jeroen Verbruggen une création chorégraphique réussie de l'œuvre.

Tradition superbement respectée dans cette exécution concertante où la musique (Matthieu Petitjean, Hautbois solo et les « quintes de l'ennui » des toutes premières mesures) se glisse dans cette galerie de personnages les plus improbables, du fox-trot de la Théière aux mélodies pentatoniques de la Tasse chinoise, des coloratures insensées du Feu au pastiche Renaissance des pâtres et pastoures, des miaulements hystéroïdes des Chats à la valse lascive de la Libellule, du tourbillon délirant des Chiffres aux glissandos ténébreux de l'Arbre. Aux côtés de la soprano Camille Poul dans le rôle de l'enfant (Zerlina dans un Don Giovanni à Dijon et une soubrette dans un Don Quichotte à Montpellier), de Jodie Devos (la Chauve-souris, la Chouette, la Pastourelle) attendue en mars 2017 à Dijon dans une Reine de la nuit,  de la mezzo-soprano Julie Pasturaud (la Bergère, la Chatte, l'Écureuil, le Pâtre), d'Élodie Méchain (la Mère, la Tasse, la Libellule), nous avons retrouvé avec un immense plaisir la soprano Annick Massis qui avait déjà interprété ces rôles (le Feu, la Princesse, le Rossignol) dans la version monégasque précitée. Annick Massis que nous entendrons le 11 et 14 décembre prochain à l'opéra de Monte-Carlo dans Maria Stuarda de Donizetti. La même excellence existe du côté masculin : François Piolino (l'Arithmétique, la Théière, le Vieillard, la Reinette), Alexandre Duhamel (l'Horloge comtoise, le Chat) apprécié par un de nos collègues dans  Le roi Arthus à Bastille en 2015 et Patrick Bolleire (le Fauteuil, l'Arbre) qui fut aussi Melcthal dans un Guillaume Tell sur le Rocher en janvier 2015 et Pistola dans un Falstaff itinérant entre Monaco et Marseilleconfirment ensemble la qualité de cette performance. Qualité à laquelle il convient d'associer les Chœurs de l'opéra de Monte-Carlo (Stefano Visconti) et les Chœurs d'enfants de l'Académie de Musique Rainier III (Bruno Habert). Le concept vidéo de Grégoire Pont n'ajoute ni ne retranche rien à l'affaire. Une soirée dont la haute tenue méritait certainement mieux qu'un auditorium loin d'être comble.

Monaco, le 26 novembre 2016
Jean-Luc Vannier

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