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« Que tout le travail soit guidé par l'amour de la musique, l'envie et le besoin de le partager » Elsa Grether répond à nos questions

Après ses deux enregistrements, unanimement salués, et un concert mémorable, Musicologie a choisi de rencontrer une musicienne d'exception, la violoniste Elsa Grether. Elle a bien voulu nous accorder cette interview exclusive, ce dont nous la remercions.

Propos recueillis par eusebius, mars 2016 ——

Elsa Grether.Elsa Grether. Photographie © Jean-Baptiste Millot.

Pourquoi avoir choisi le violon ? Quelques mots de vos premiers essais et souvenirs…

 

Je suis issue d'une famille de mélomanes. Enfant, je m'endormais en musique. J'étais bouleversée par le son du violon, très proche de la voix humaine et offrant d'infinies possibilités d'expression. Le rapport au violon, très personnel, m'a également plu : l'instrument, que l'on peut emmener partout avec soi, devient véritablement un prolongement du corps lorsque l'on joue.

Quel souvenir conservez-vous de l'enseignement de Ruggiero Ricci ? Que vous a-t-il apporté ?

Une grande exigence et un enthousiasme contagieux à la fois : voilà les mots qui me viennent de suite à l'esprit. Exigence, notamment de justesse, pour laquelle il était intraitable- et il avait raison ! J'ai « mangé » des heures de gammes en tierces, quintes et octaves. Son enthousiasme pour la musique et le violon était contagieux et il donnait le sentime nt qu'avec du travail, rien n'était impossible. Cela me motivait beaucoup et je courais travailler après mes cours, dans une sorte de frénésie positive. J'ai découvert beaucoup de répertoire avec lui, que j'ai approfondi par la suite. Je suis reconnaissante à chacun de mes professeurs et notamment, après Ruggiero Ricci, Mauricio Fuks à Bloomington, qui m'a apporté une approche plus analytique, une compréhension plus profonde de la production du son et des gestes instrumentaux, m'a aidée à décortiquer les textes et à organiser mon travail de manière plus efficace. Également à Donald Weilerstein et à Régis Pasquier, qui m'ont beaucoup inspirée et avec lesquels nous avons approfondi la connaissance des différents styles.

Quel instrument jouez-vous ? (jouiez-vous … à Viserny). Utilisez-vous un instrument différent selon les répertoires ?

Je joue depuis cinq ans sur un C.F. Landolfi de 1746, pour lequel j'ai eu un coup de cœur. J'aime sa personnalité bien trempée, sa sonorité chaleureuse et raffinée.

Vous jouez la chaconne de la 2e partita sur fac-similé du manuscrit, pourquoi ce choix plutôt que celui d'une édition dite critique ?

Au-delà de la beauté de l'écriture de J.-S. Bach y transparaît l'architecture de l'œuvre, le dessin des phrases, la courbe des lignes. Sa calligraphie est très claire, vivante, puissante.

À côté des grands classiques, votre très beau parcours illustre principalement la musique française. Pourquoi ce choix ?

Je m'attache à entretenir un répertoire aussi varié que possible. Mes périodes de prédilection sont le romantisme, le 20e siècle. La création contemporaine m'intéresse également beaucoup. De manière générale, je fonctionne à l'instinct : quand une œuvre me parle, je cours la travailler. La musique française me tient particulièrement à cœur.

J'aime son raffinement, sa poésie, ses couleurs, les atmosphères mouvantes qui la traversent, et son frémissement, telle une source d'eau vive jamais tarie. Elle m'inspire et me nourrit. Elle est faite d'air et de lumière. Vivante et pleine d'esprit, elle est chaleureuse telle une langue maternelle. Enfin, ses élans passionnés, mais toujours pudiques me touchent.

Quel répertoire travaillez-vous actuellement ?

Actuellement je travaille divers programmes pour violon seul, répertoire qui me passionne et qui pousse à se dépasser. Je donnerai également en avril un programme « Folklores » en duo avec le guitariste Jérémy Jouve. En sonate je joue régulièrement avec les pianistes David Lively, François Dumont, Marie Vermeulin et Ferenc Vizi, que j'apprécie tous beaucoup.

Elsa Grether.Elsa Grether en concert à Mulhouse. Photographie © DR.

Bien que vous ayez joué récemment à Mulhouse et à Reims, on ne vous connaît pas encore beaucoup comme soliste jouant avec des orchestres symphoniques. Pourtant vous avez plusieurs dizaines de concertos à votre répertoire. Est-ce délibéré ou de trop rares opportunités ?

 J'ai donné l'Introduction et Rondo Capriccioso de Saint-Saëns à trois reprises avec l'Orchestre symphonique de Mulhouse en janvier dernier puis le Double Concerto de Brahms à Reims. J'adore jouer en soliste avec orchestre et ai donné la plupart des grands concertos en concert, mais les opportunités sont rares et il est difficile d'obtenir des auditions avec les chefs lorsque l'on ne les connaît pas ; ils sont très sollicités. Mais je garde espoir !

Le trio, le quatuor sont-ils compatibles avec une carrière de soliste ?

Bien sûr, le répertoire de la musique de chambre est exceptionnellement riche et il serait triste de s'en priver ! De plus, il est très enrichissant, voire vital, de partager avec d'autres musiciens et de chercher ensemble.

À la différence de beaucoup d'artistes reconnus, il vous arrive de jouer dans des lieux généralement privés de musique (ainsi, un petit village isolé de Côte d'Or), vous avez joué aussi dans des maisons de retraite, chez des particuliers âgés. Pourquoi, et quel enseignement tirez-vous de cette expérience ? 

La musique est faite pour résonner partout. Pourquoi la cantonner aux salles de concert ?

En tant qu'interprète, je mesure la chance de pouvoir côtoyer la beauté au quotidien et j'ai envie de la partager avec un public aussi large que possible. La musique parle d'âme à âme, c'est le langage le plus direct qui soit et qui va au-delà des différences, des contradictions, des barrières, des cultures… la musique réunit, tout simplement.

Des associations comme Pro Musicis et la Hors-Saison Musicale de « Pour que l'Esprit vive » effectuent un important travail en emmenant la musique dans des lieux isolés ou à la rencontre de publics empêchés. Les expériences que j'ai eues ont été fortes et inspirantes.

En particulier avec des publics d'enfants ou d'adultes handicapés mentaux, qui expriment leurs émotions sans aucun masque. Ce sont des publics vierges de toute idée reçue, de tout préjugé et donc souvent incroyablement ouverts, notamment à la création contemporaine. Je me souviens avoir joué il y a quelques années dans une banlieue de New York où avaient eu lieu des émeutes quelque temps auparavant. Avec ma collègue pianiste Delphine Bardin, nous nous sommes retrouvées devant presque 500 lycéens noirs américains, qui assistaient pour la plupart à leur premier concert de musique classique ! Eh bien ! ils ont été très attentifs puis  intarissables de questions !

 Quels conseils donneriez-vous à une jeune violoniste se destinant à une carrière de soliste ?

Que tout le travail soit guidé par l'amour de la musique, l'envie et le besoin de le partager.

Je lui conseillerais d'écouter son intuition, de suivre sa voix intérieure et de ne pas se laisser dévier de sa route, quels que soient les obstacles. De prendre le temps d'acquérir des bases solides, de construire un répertoire et de se cultiver. De faire de la musique de chambre, de jouer en concert aussi souvent que possible. De développer toujours plus d'objectivité face à son jeu. De vivre, d'aller vers les autres, favoriser les contacts et de se constituer un réseau, ce qui prend beaucoup de temps lorsque l'on ne vient pas d'une famille de musiciens.

Enfin, d'être toujours émerveillée, d'avoir un esprit ouvert et curieux !

 

Propos recueillis par Eusebiuis
mars 2016

French Resonance, Elsa Grether (violon), François Dumont (piano), œuvres de Gabriel Pierné, Louis Vierne, Gabriel Fauré. Fuga Libera, distr. Outhere (FUG 728)

Poème Mystique, œuvres d'Ernest Bloch, et d'Arvo Pärt. Elsa Grether (violon), Ferenc Vizi (piano). Fuga Libera 2013 (FUG 711).

 

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Dimanche 10 Avril, 2016 3:39

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