Retour à Berratham. Photographie © Maxppp.
Le public caennais a apprécié cette tragédie épique, sifflée à Avignon il y a deux ans, où le phrasé des mots de Laurent Mauvigner est doublé en ombre et en lumière par celui des danseurs, sauf quand la musique surgit, brutale ou lointaine, dans de magnifiques tableaux.
Trois narrateurs donc, dont une morte à la diction prenante, pour raconter ce retour d'un jeune homme au pays dévasté par la guerre à la recherche d'un amour trois fois perdu. Sans doute à l'orient de l'Europe (les parents d'Angelin Preljocaj étaient des réfugiés politiques albanais) comme en témoignent les deux mélopées ajoutées à la remarquable musique électro de 79D.
Le chorégraphe en profite pour se citer au moins deux fois pendant la scène du mariage, avec la mariée mise à nu et s'échappant dans un solo libérateur, rappelant celui de l'élue du Sacre de Stravinsky, et le ballet qui suit, évoquant Noces, du même compositeur. Un prélude à la scène de la nuit de noces, retardée jusqu'à l'inévitable, et quintuplée grâce au décor sobre et efficace — des grillages, une étoile bancale en néons, une carcasse de R5 et des sacs poubelle — d'Adel Abdessemed, qui se déconstruit et évolue au besoin.
Un autre moment superbe, quand une aria d'Haendel s'élève après l'évocation du massacre des femmes dont la douleur lancinante est incarnée par le choeur muet et mouvant des sept danseuses.
Une tentative plutôt réussie de dire le sombre monde en mêlant texte, musique et gestuelle, à la fois prenante et dérangeante, proche de l'opéra-cirque Daral Shaga vu récemment, loin du simple jeu virtuose, visuel et musical traditionnel.
À voir aussi ces jeudi et vendredi au théâtre de Caen, le ballet Preljocaj dans Spectral Evidence/La Sravaganza.
Alain Lambert
4 avril 2017
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