La Stravaganza. Photographie © Jean-Claude Carbonne.
Avec cette deuxième soirée composée de deux reprises, une récente de 2013 et une ancienne de 1997, créées par le New York City Ballet, Preljocaj montre qu'il sait aussi questionner sans les mots, et en dire autant que « Le retour à Berratham » vu l'avant veille, juste en jouant des corps, des gestuelles, des musiques, des espaces, des lumières en chorégraphe complet.
Par deux fois, il nous donne à voir et à entendre le choc des cultures et des musiques en explorant et développant un vocabulaire des gestes toujours inventif et surprenant.
Dans la première, sur des musiques de John Cage haletées ou percussives, mais aussi des chants d'homme ou de femmes et un télescopage électro de 79D, le noir et le blanc s'affrontent, se confrontent, se rejettent. Hommes et femmes, puritains et sorcières, il suffit d'un baiser de l'une à l'un pour que s'ouvre le rejet, le procès, le jugement des flammes, les cercueils, d'où elles sortent sans doute, mais terrassées quand même.
Quatre modules en plan incliné assemblés ou espacés transforment le dispositif scénique et lui donnent du sens, que le langage des corps décuple sans qu'il soit besoin de lire le programme et la référence à Salem. Tout se dit dans les gestes des huit danseurs, le désir, l'exclusion, la folie, la douleur. Un très grand moment de danse.
Dans le suivant, le choc est celui des époques. Six danseurs et danseuses, habillés sobres et tout en blanc façon contemporain, dansent le premier mouvement de la Stravaganza de Vivaldi, plutôt classique, mais en tapant des pieds et en décalant les mouvements en boucle, comme une mise en abîme du mouvement.
Puis la musique devient machinique, et six danseurs et danseuses habillés baroque et coloré comme les premiers colons, nous la dansent robotique. Avant de se figer et de laisser les six premiers continuer le concerto titre, d'abord le mouvement lent et bref, suivi du mouvement rapide. Vont s'ensuivre de courts morceaux électros intercalés à des extraits chantés de Vivaldi pendant lesquels les douze vont se croiser, et parfois même danser ensemble, à quatre puis à deux pour le duo final, avec l'Autre, avant que la blanche ballerine ne rejoigne le groupe du début, mais sans s'y adjoindre vraiment, transformée par l'expérience.
Un beau diptyque, plein de gestes sublimés en forme de points d'interrogation, sur le monde, ses cultures, ses musiques, et les relations entre les humains, réelles ou rêvées.
À suivre en danse au théâtre de Caen, Moeder les 3 et 4 mai par Peeping Tom.
Puis Vivaldi encore, avec l'opéra de jeunesse Arsilda les 13 et 15 juin par le Collegium 1704.
Sans oublier la Maîtrise de Caen les 19 et 21 mai, Du choeur à l'ouvrage, sur une musique de Benjamin Dupé et un livret de Marie Desplechin.
Alain Lambert
6 avril 2017
Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil, ☎ 06 06 61 73 41.
ISNN 2269-9910.
Mardi 3 Septembre, 2024