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Berlin, 1er janvier 2017, par Jean-Luc Vannier

Joute orchestrale jubilatoire sur le Casse-Noisette de Tchaïkovski entre la Staatskapelle et Till Brönner au Staatsoper de Berlin

Daniel Barenboim. Photographie © Staatsoper Berlin.Daniel Barenboim. Photographie © Staatsoper Berlin.

Entre rires et larmes après l'attentat sur le marché de Noël, Berlin célébrait le passage de la nouvelle année — le fameux Rutsch – par le concert traditionnel du Staatsoper à l'image de celui dont nous avions rendu compte le 1er janvier 2013. Étranglement, défi ou négligence, et nonobstant les menaces, aucun dispositif particulier de sécurité pour entrer au Théâtre Schiller. Comme s'il fallait plus que jamais s'inspirer de l'aphorisme nietzschéen « L'homme qui ne rit pas n'est pas sérieux », deux parties composaient le programme de la Staatskapelle de Berlin dirigée par Daniel Barenboim : au très sérieux Concerto pour violon et orchestre en majeur opus 35 de Piotr Ilitch Tchaïkovski interprété par la soliste Lisa Batiashvili succédait une superbe joute musicale entre l'orchestre de la Staatskapelle et celui du jazziste et trompettiste Till Brönner sur le Casse-Noisette du compositeur russe.

Malgré sa prestigieuse réputation internationale, la violoniste géorgienne Lisa Batiashvili ne nous aura pas pleinement convaincu. Si la soliste n'a jamais démérité en termes de virtuosité technique, son interprétation aura souvent édulcoré, voire manqué cette expressivité dramatique, cette intensité souffrante si spécifique d'une œuvre parmi les plus mélancoliques de Tchaïkovski : une certaine épaisseur du trait musical, voire une forme de raideur dans les sonorités, un monolithisme des intonations dont les effets néfastes s'amenuisent un peu dans les mesures lentes et les passages plus délicats sans toutefois être capable de nous rendre l'enthousiasme sur la Canzonetta du deuxième mouvement. Par contraste, les sonorités des instrumentistes de la Staatskapelle brillent de mille feux, notamment avec les énergiques impulsions de Daniel Barenboim dans l'Allegro vivacissimo du Finale. Une virtuosité sans affect qui conduira un mélomane voisin à exprimer sa « surprise de ne pas avoir été ému par cette exécution comme il s'y attendait ». Nous partageons ce sentiment.

Till Brönner. Photographie © Staatsoper Berlin.Till Brönner. Photographie © Staatsoper Berlin.

Après la pause, changement de registre : vêtus de blanc, les hommes de Till Brönner, le « Chet Baker allemand », prennent place aux côtés des musiciens en fracs de l'orchestre de la Staatskapelle. Singulier clair-obscur du code vestimentaire, mais pas seulement : les mines réjouies et les attitudes boute-en-train de cette bande dévergondée tranchent avec les visages concentrés et la retenue empreinte de sagesse évangélique des musiciens du Staatsoper ! Antagonisme annonciateur d'une tout aussi inhabituelle oscillation orchestrale, hautement jubilatoire pour l'oreille, entre classique et jazz— arrangements pour Duke Ellington et les Studio Album de Billy Strayhorn — sur la suite opus 71 a : la « Danse des mirlitons » devient une « Toot Toot Tootsie Toot » irrésistiblement ludique, la « Danse des fées » dégénère, après les célèbres mesures de célesta jouées par Markus Haase, dans une désopilante « Sugar Rum Cherry », la « Danse russe » une « Volga Vouty », la « Danse chinoise » une — auf Deutsch Bitte — « chinoiserie » où exulte le clarinettiste Rolf von Nordenskjöd, la « Danse arabe » se transforme après le « la » de la flûte piccolo donné par Simone Bodoky-van der Velde en une « Arabesque Cookie » avant que Till Brönner ne se lance lui-même dans une fulgurante improvisation à la trompette sur la « Danse des fleurs » devenue sous ses doigts une « Danse of the Floreadores » !

L'expérience originale, haute en couleurs et débordante d'inventivité, de cette joute musicale suscite en outre une étrange sensation pour l'oreille : à la pureté de la version traditionnelle, scintillante comme les lustres de la scène surgit, l'instant d'après, le plaisir, sans doute d'essence infantile, de la distorsion récréative, de la manipulation divertissante d'une chose qui semblait jusqu'alors inaltérable. La contagion gagne peu à peu les rangs des musiciens de la Staatskapelle qui se mettent – toujours avec retenue – à « swinguer » sur leurs sièges. Standing ovation garantie et un « bis » offert au public dont nous mettons en ligne un court extrait.

Berlin, le 1er janvier 2017
Jean-Luc Vannier


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