Violin Concerto. Ballets de Monte-Carlo. Photographie © Alice Blangero.
« De George Balanchine à Jean-Christophe Maillot » aurait pu s'intituler, dimanche 29 avril, la performance des Ballets de Monte-Carlo au Grimaldi Forum. Et ce, nonobstant les quatre-vingts ans qui séparent les deux œuvres : en première partie le Concerto pour violon et orchestre en ré majeur d'Igor Stravinsky, puis, après la pause, Abstract / Life, la création pour violoncelle et orchestre de Bruno Mantovani. Un très grand écart et pas seulement celui d'au moins deux générations. La similitude d'une histoire d'amitié entre les compositeurs et les chorégraphes de même que la structure musicale (cordes et orchestre) identique dans les deux pièces, n'ôtent pas le doute profond sur la logique thématique, manifeste ou latente, du programme. Le seul trait d'union fut, peut-être, la présence dans la fosse du magnifique orchestre philharmonique de Monte-Carlo placé sous la direction de Pascal Rophé.
Violin Concerto. Ballets de Monte-Carlo. Photographie © Alice Blangero.
Dans le fond comme sur la forme, les deux propositions chorégraphiques ont peu à voir entre elles. Dans la nouvelle version de 1972 écrite en hommage au compositeur russe disparu un an plus tôt, le Violin Concerto de George Balanchine (remontée par Bart Cook et Maria Calegari) épure l'originale en occultant décors et costumes afin de se fixer exclusivement sur la musique. Laquelle détermine avec une précision millimétrée et proche de la virtuosité physique, les déplacements et la gestuelle. En 23 minutes seulement, le génie du fondateur en 1934 de l'École de Ballet Américain, animé par la volonté de « voir la musique et écouter la danse », nous fait redécouvrir l'extraordinaire modernité pour l'époque de figures novatrices tout en respectant les conventionnels « pas de deux ». Outre l'ouverture Toccata où le ludisme moqueur du premier violon de Liza Kerob se joue magnifiquement de l'orchestre pour faire sautiller et gambader les danseurs, les deuxième et troisième mouvements en arias de ce concerto consacrent le classicisme déstructuré si particulier de Balanchine : en témoignent le très énigmatique mouvement à terre de Debora Di Giovanni avec Christian Tworzyanski (mais aussi) ainsi que la pointe du pied subtilement posée sur le cou du partenaire. Le troisième mouvement, encore plus intimiste, dessine lui aussi des enchevêtrements savamment articulés de bras et de jambes entre Victoria Ananyan et Jaeyong An : le contraste entre la fragilité corporelle de la première et le sourire radieux du second est tout simplement fascinant.
Abstract Life. Ballets de Monte-Carlo. Photographie ©Alice Blangero.
Il faut l'écrire franchement : Abstract / Life, pourtant une création-commande du Festival Printemps des Arts de Monte-Carlo, nous déconcerte. Ne serait-ce que par la composition musicale de Bruno Mantovani : les 48 minutes de longueurs nourries d'interminables crescendos, de tonalités plus sombres les unes que les autres, de trios de notes accélérés et inlassablement réitérés du — très méritant — violoncelliste Marc Coppey nous accompagnent inexorablement jusqu'aux portes de la somnolence. Jean-Christophe Maillot, nous dit-on, s'est « approprié » la partition de l'actuel Directeur du Conservatoire national supérieur de la musique et de la danse de Paris et a décidé « de faire bouger les paramètres qui règlent d'ordinaire sa manière de travailler ». Mise à part la scène initiale qui décrit l'évolution de l'humanité, scène déjà repérée dans une chorégraphie du Staatsballet de Berlin en mai 2013, nous pressentons immédiatement la difficulté du chorégraphe qui ne parvient pas à choisir distinctement entre le figuratif et l'abstrait pour se réfugier dans l'exploitation scénique de douteux accessoires. Côté figuratif : des décors sous la forme de rochers radioactifs post-apocalyptiques et des filaments luminescents tressés dans les cheveux des artistes. Le côté abstrait, censé promouvoir « des formes qui ne contiennent pas l'image du monde extérieur » (Dora Vallier, L'Art abstrait, Le Livre de poche, 1967), reste moins discernable : absence d'expressivité des visages, patte pourtant légendaire de celui qui dirige depuis vingt ans la compagnie monégasque, visages relégués cette fois-ci dans la pénombre générale. Quid en outre de cette tribalité primitive — pardon « première » — suggérée par la collectivité des danseurs et au centre desquels la vestale Mimoza Koike paraît terriblement égarée ? En se présentant comme le « sculpteur qui fait apparaître sous ses doigts les formes qui caractérisent son œuvre », tel le « per via di levare » de Freud plus proche de la psychanalyse que le « per via di pore » de la peinture assimilée à la suggestion thérapeutique, le directeur des Ballets de Monte-Carlo confirme finalement — et sans doute malgré lui — l'ancrage dans son répertoire traditionnel. Abstract / Life représente à cet égard le pas de côté de Jean-Christophe Maillot qui consacre son axis mundi chorégraphique.
Abstract Life. Ballets de Monte-Carlo. Photographie ©Alice Blangero.
À signaler : le sondage réalisé à l'entracte par Leart Duraku, ancien danseur des Ballets de Monte-Carlo et actuellement étudiant en BBA à l'Edhec de Nice, pour son mémoire de fin d'année sur les manières de trouver un financement participatif destiné à promouvoir la création de nouvelles chorégraphies.
Monaco, le 30 avril 2018
Jean-Luc Vannier
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Jeudi 24 Octobre, 2024