Rigoletto au TCE, octobre 2018. Photographie © Alfonso Salgueiro.
Verdi a qui l’on demandait lequel de ses opéras il préférait aurait (dit-on) répondu qu'en tant qu’amateur c'était La Traviata, mais comme professionnel il préférait Rigoletto. De fait, même si l’on n’est pas très sensible à l' histoire du bouffon à qui le destin fait la farce de réserver l'humiliation suprême en livrant sa fille adorée au libertin le plus cynique et en la faisant mourir pour lui, il faut reconnaitre que l’opéra s'impose au plan dramaturgique et musical comme un chef d’œuvre.
La virtuosité avec laquelle le compositeur intègre l’ensemble des passages obligés du genre, l’économie et la concision (à peine deux heures vingt de musique), le sens de la « couleur », l’originalité de l’orchestration, tout cela constitue un véritable tour de force et crée dans une grande diversité de moyens un continuum dramatique époustouflant. Ici l'orchestre est tout à la fois moteur, décor, expression des sentiments et la partition totalement « durchkomponiert » se révèle d'une étonnante modernité.
Même privée de mise en scène, l'œuvre ne perd rien de sa puissance théâtrale et fait oublier une certaine grandiloquence du propos qui nous rendrait sûrement insupportable actuellement la pièce de Victor Hugo dont elle est issue. C'est quasiment à nu, mais défendue par un plateau de haut vol et portée par la direction magistrale de Gustavo Gimeno, un chef espagnol encore peu connu en France, à la tête de l'orchestre philharmonique du Luxembourg, qu'elle se présentait le 3 octobre au TCE.
Rigoletto au TCE, octobre 2018. Photographie © Alfonso Salgueiro.
La mise en espace et les lumières de Bernard Couderc suffisent à évoquer les lieux de l'action, prendre en charge son déroulement et offrir aux chanteurs un support à leur incarnation. Simon Keenlyside n’est certes pas un baryton Verdi né, mais fin diseur, interprète intelligent et acteur remarquable, il transcende largement les limites d’une voix peu colorée par une présence scénique de tous les instants, dressant un portrait très convaincant du rôle-titre. En Gilda, Ekaterina Siurina construit habilement son personnage, se métamorphosant vocalement au fil des scènes de la vierge candide du premier acte à la femme passionnée et prête au sacrifice du dernier. Avec les années, Saimir Pirgu semble avoir perdu un peu de facilité dans l'aigu qui, s'il est encore bien présent, s'est un rien durci mais le style et la bravoure sont toujours au rendez-vous et un rien d'âpreté ne nuit pas à la caractérisation de son personnage de Don Juan jouisseur et sans état d'âme. Le solide Sparafucile de Stanislav Trofimov et la sensuelle Maddalena d'Alisa Kolosova complètent une distribution très investie au point de donner l'impression d'être issue d'une véritable production scénique.
Il faut saluer aussi le petit groupe des courtisans, le Monterone un peu trahi par l'acoustique du théâtre de Carlo Cigni et le Choeur Philharmonia de Vienne. Tous donnent le meilleur d'eux-mêmes et offrent au public enthousiaste une grande soirée de théâtre et de bel canto.
Frédéric Norac
3 octobre 2018
Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil, ☎ 06 06 61 73 41.
ISNN 2269-9910.
Mardi 12 Novembre, 2024