Semiramis, Festival d'Ambronay, 5 octobre 2018, Emmanuelle de Negri, Mathias Vidal, Judith van Wanroij. Photographie © Bertrand Pichene.
Après Issé pastorale héroïque de 1697, récréée par l’ensemble Les Surprises au dernier festival de Montpellier, c’était au tour d’Ambronay d’accueillir Sémiramis, tragédie lyrique de 1718 d’André Cardinal Destouches et de nous offrir la possibilité de réévaluer un compositeur dont la postérité n’avait jusqu’ici conservé que le célèbre ballet des Éléments et sa tragédie Callirhoè, ressuscitée par Hervé Niquet en 2005 à l'Arsenal de Metz. Sans surprise, c’est l’élément orchestral et particulièrement les « divertissements » de fin d’actes qui laissent transparaître le plus d’originalité dans le style du compositeur, mais le récitatif traité d’une façon plus musicale et presque mélodique tranche sur la déclamation héritée de Lully et montre une volonté de créer un continuum, avec les airs et les ensembles, qui marque la recherche d’une efficacité dramatique innovante.
À l’instar de la pièce homonyme de Voltaire, bien postérieure, le livret fait débuter l’action au moment où Sémiramis s’apprête à épouser Arsane, son propre fils qu’elle croit avoir éliminé dans sa volonté de s’approprier le pouvoir, après avoir voué Amestris, la seule princesse du sang héritière légitime du trône assyrien, dont Arsane est amoureux, aux autels de Jupiter.
La situation n’est pas sans évoquer Hippolyte et Aricie de Rameau auquel les typologies vocales des protagonistes également font penser ainsi que certaines péripéties. La grande différence tient dans le traitement du rôle de la basse, Zoroastre, l’amant trahi de Sémiramis. Comme son nom l’indique, il s'agit d'un mage et son désir de vengeance est le seul moteur d'une action qui piétine un peu. Le livret peine en effet à échapper au nœud central de la tragédie — l’éventualité de l’inceste — et reproduit deux fois la scène des vœux d’Amestris, évidemment contrariés par les Dieux. Le personnage de Zoroastre permet la mise en œuvre de l’élément fantastique et l'on imagine bien le parti que devait en tirer au plan scénographique le goût contemporain pour les effets spectaculaires, notamment à l’acte III, où il fait apparaître un palais enchanté peuplé de génies et de démons. L'opéra s'achève en douceur, sur la mort de Sémiramis, comme si la musique s'éteignait, une audace formelle qui montre bien la volonté du compositeur d'échapper aux codes formels de son époque.
Semiramis, Festival d'Ambronay, 5 octobre 2018, Chœur du Concert Spirituel, l'ensemble Les Ombres, Sylvain Sartre, Emmanuelle de Negri, Judith van Wanroij. Photographie © Bertrand Pichene.
Il est difficile de juger d’une œuvre de théâtre comme celle-ci sans le support d’une mise en scène d'autant que pour des raisons de longueur elle était de surcroit présentée légèrement écourtée — deux scènes au dernier acte et la totalité du prologue —, mais incontestablement le compositeur possède le sens du théâtre et de la caractérisation. Elle est particulièrement approfondie dans le cas du rôle-titre pour lequel Judith Van Wanroij possède l’étoffe de son personnage royal. La soprano néerlandaise toutefois est un peu handicapée par une articulation qui manque de netteté et réduit un peu la portée de son incarnation. Face à elle, Emmanuelle de Negri compose une Amestris suave et pudique à souhait dont la voix plus claire contraste bien avec celle de sa rivale. Mathias Vidal, se révèle comme toujours expressif et engagé jusqu'à l'urgence, mais son ténor bien timbré souffrirait parfois d’être un peu moins systématiquement poussé, même dans un rôle héroïque et surtout dans une acoustique aussi favorable que celle de l'abbatiale. La basse chaleureuse et de bon format de Joao Fernandes pourrait offrir un peu plus de noirceur à son personnage de mage en contact avec l'Enfer qui parait tout de même un peu trop débonnaire. Superlatif le chœur du Concert Spirituel préparé par Hervé Niquet ainsi que les trois coryphées qui en sont issus.
L'ensemble Les Ombres dirigé par Sylvain Sartre, mais préparé en collaboration avec la violiste Margaux Blanchard fait vivre brillamment cette partition. On attend désormais qu'une scène se lance dans une production d'un opéra d'un compositeur dont l'œuvre d'évidence ne manque pas de potentiel pour produire un spectacle réjouissant.
Concert diffusé par France-Musique le 14 octobre.
Frédéric Norac
5 octobre 2018
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Vendredi 8 Novembre, 2024 15:01