Louis Vierne, Ballade, Dominique Hofer (violon), Frédérique Troivaux (piano), Ballade, sonate en sol mineur, Suite bourguignonne. Hortus 2018 (HORTUS 167).
Voici deux musiciens qui passent sous les radars du parti médiatique, et qui n’en font pas trop eux-mêmes côté promotion. Mais ils jouent. Quand ils ne sont pas solistes, frère et sœur, ils forment un duo certainement depuis toujours, au moins plusieurs années sur les affiches et concerts publics. Frédérique Troivaux a été remarquée en 2016 pour son enregistrement (Hortus) de trois cycles pour piano de Louis Vierne, douze préludes (opus 36), trois nocturnes (opus 35), Silhouettes d’enfant (opus 43).
De Louis Vierne on connaît les œuvres pour orgue voire les messes majestueuses, les amateurs apprécient le quintette avec piano opus 42, chef d’œuvre de musique et d’émotion, composé avec colère, après le suicide de son fils, au front guerre, à l’âge de dix-sept ans, engagé volontaire en 1917.
Tout de même, orgue et musique liturgique, Louis Vierne est titulaire du grand orgue de Notre-Dame pendant 37 ans, cela connote et préjuge. Or, non seulement à la console de son Cavaillé-Coll il est un maître de l’orgue symphonique, mais encore un compositeur raffiné, dont les œuvres sont chargées d’émotion.
Louis Vierne à profondément souffert de sa quasi-cécité, de la mort de sa jeune sœur, celle de son père alors qu’il est encore un adolescent, de l’infidélité de son épouse, de la mort de ses deux fils, de la classe d’orgue du conservatoire qu’il n’obtient pas, par deux fois, alors qu’il y a été assistant non rémunéré pendant vingt ans.
Il s’emportait contre l’idée si répandue prétendant que la douleur est un facteur de création pour les artistes. Pourtant, dans l’énergie, voire la fougue qui traverse son œuvre, on peut souvent imaginer cette douleur, voire la colère, rivaliser avec la revendication à la sérénité et à l’affection qui semble lui avoir manqué, sinon dans les années 1898 au moment de son mariage, et dans les années 1920, grâce à la présence et à l'assistance de Madeleine Richepin.
La sonate en sol mineur a été créée avec un grand succès Salle Gaveau à Paris par Eugène Ysaÿe (le dédicataire) et Raoul Pugno, 16 mai 1908. Au cours de la composition, Louis Vierne se casse une jambe, puis est victime de la fièvre typhoïde, enfin connaît la crise conjugale qui aboutira en 1909 au divorce. Tel est l’univers du compositeur.
La suite bourguignonne n’a rien de bourguignon. Louis Vierne voulait peut-être en marquer ainsi le caractère populaire. Elle est dédicacée à l’une de ses élèves, Juliette Toutain, qui en assure la création, Salle Érard à Paris, 2 mai 1900, un mois après la naissance de Jacques Vierne et vingt jours avant la nomination du compositeur à la tribune du grand orgue de Notre-Dame de Paris. Période sereine donc. Suite au succès, Louis Vierne a orchestré plusieurs parties de cette suite. Elle est présentée ici dans un arrangement avec violon.
La Ballade, de 1926, composée pour orchestre et violon, est dédicacée à Jacques Thibault qui ne l’a jamais jouée. La partition a d’ailleurs été publiée plusieurs années après la mort du compositeur.
Le livret n’est pas très explicite sur l’arrangement avec violon de la suite bourguignonne et la réduction au piano de la Ballade, en fait un concerto, mais le cédé est un grand bon moment de musique, ou les élans lyriques, la légèreté, l’énergie, la lumière combattent la tourmente.
Louis Vierne soutenait que les tourments en musique étaient en fait des subterfuges (car la création ne peut être que sereine). On peut penser que son cas illustre le contraire.
Louis Vierne, Ballade, premières mesures (plage 10). Jean-Marc Warszawski
17 avril 2019
ISNN 2269-9910.
Mercredi 2 Octobre, 2024