Après des sommets comme les sonates « Waldstein » et « Appassionata », ces deux œuvres de 1809 apparaissent bien modestes, et marquent une forme de pause dans la grande trajectoire conduisant aux ultimes sonates du maître. La seconde notamment, l’opus 79 en sol majeur, qui, bien qu’en trois (brefs) mouvements, ne cache pas sa nature de « sonate facile », et n’est sans doute qu’un « délassement entre des œuvres aussi importantes et variées que le cinquième concerto, le quatuor opus 74, la Fantaisie chorale.70 Cela dit, comme on s’en doute venant d’un Beethoven parvenu à la plus haute maturité, il y a beaucoup d’art et de science derrière cette facilité apparente. On le vérifiera dès le Presto alla tedesca initial, d’une écriture pleine d’aisance et de naturel ; c’est une danse plutôt robuste qui sent la campagne, sans toutefois qu’il faille aller y chercher l’appel du coucou qu’on a cru parfois y déceler. Dans le bref Andante, on croit entendre une « romance sans paroles » du premier romantisme, et le finale, qui retrouve une allure populaire, séduit par sa bonne humeur et sa richesse rythmique.
Bien que de proportions tout aussi modestes avec ses deux mouvements, l’opus 78 en fa♯se majeur, parfois surnommée « à Thérèse » par référence à sa dédicataire Thérèse von Brunsvik, est, elle, un parfait petit chef-d’œuvre au langage aussi subtil que dépouillé. Beethoven la chérissait particulièrement, n’hésitant pas à la placer au-dessus de la trop fameuse Clair de lune. « Il est vrai que c’est une œuvre intime, à jouer pour soi, ou alors devant un auditoire choisi, attentif, prêt à la connivence. On y chuchote beaucoup. Tendons l’oreille et pesons chaque note. Dans l’Appassionata, on peut n’écouter que le flux des pages ; l’ensemble y compte plus que le détail. La sonate en fa♯est de matériau fragile : peu d’accords, peu de volume ; même le fortissimo y est délicat. Ajoutons que sa tonalité, si rare, renforce son charme et la rend unique. »71 Sachons apprécier à son vrai prix cette œuvre pleine d’affectueuse tendresse et de poésie, où s’exprime surtout « le divertissement d’un compositeur qui sut à l’occasion goûter l’ineffable plaisir qu’on éprouve à inventer de la musique en toute innocence. »72
Ludwig van Beethoven, Sonate opus 78 (no 24) en fa ♯majeur « à Thérèse », par Alfred Brendel.Michel Rusquet
22 septembre 2019
70. Sacre Guy, La Musique de piano, Robert Laffont, Paris 1998, p. 353.
71. Ibid., p. 352.
72. Tranchefort François-René, Guide de la musique de piano et de clavecin, Fayard, Paris 1998, p. 120.
ISNN 2269-9910.
Mardi 8 Octobre, 2024