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1er avril 2020 —— Jean-Marc Warszawski.

L’organiste Jean-Baptiste Dupont : de l’improvisation enregistrée

Jean-Baptiste Dupont, Improvisations, orgue de la cathédrale de Saint Albans. Hortus 2019 (HORTUS 174).

Enregistré les 24 et 25 avril 2019, à la cathédrale de Saint Albans, au Royaume-Uni.

Jean-Baptiste Dupont a commencé à improviser, comme beaucoup de musiciens, avant de se mettre au piano et à l’orgue, pur jus toulousain formé à l’Institut de musique sacrée, au Conservatoire, au Centre d’études supérieures de musique et de danse, la ville lui décerne en 2006 son Prix François Vidal.  Il est concertiste et titulaire des grandes orgues de la cathédrale de Bordeaux, pour la reconstruction desquelles il a consacré un cédé « à bénéfices » en 2016. Inauguration prévue en 2023, à la condition de réunir 2 millions d’euros. Il achève chez Hortus l’enregistrement de l’intégrale des œuvres pour orgue de Max Reger.

Il nous offre une curiosité, mais après tout pas tant que cela, avec un disque d’improvisations enregistrées en deux jours. Pour un organiste, l’improvisation fait partie du métier, d’abord pour la pratique d’accompagnement à géométrie variable du culte. La curiosité serait plutôt de vouloir fixer définitivement ce qui devrait être unique et éphémère. Mais en jazz ou en rock alternatif, cela se fait couramment. L’exemple de Keith Jarrett, qui a joué avec une grande délicatesse un jazz raffiné et très écrit ainsi que des œuvres de Bach et Mozart, est étonnant : l’enregistrement de son concert de Cologne en 1975, surtout une longue improvisation, reste un et son enregistrement culte. Alors, pourquoi pas ? Les compositeurs interprètes des temps passés étaient des improvisateurs.

Jean-Baptiste Dupont, qui rédigé le livret d'accompagnement, écrit que l’improvisation est  liberté. Mais la partition qui n’est pas une prison peut aussi être considérée comme une liberté. Surtout qu’à un tel niveau de musicalité la frontière entre l’improvisé et l’écrit est bien mince. On peut le constater chez un organiste compositeur comme Thierry Escaich. Comme l’œuvre écrite, l’improvisation, doit avoir une forme, une cohérence esthétique, un parcours. L’organiste aux manuels d’un instrument complexe doit en maîtriser (et exploiter) les mixtures. La liberté serait peut-être de pouvoir se débarrasser de l’acquis et d’explorer des voix nouvelles, sans aucune technique, ou tout le contraire, car la maîtrise et le connu sont des libertés. Ou bien encore, avoir une technique universelle de l’instrument et se libérer de sa culture musicale. Ce qui n’est pas possible. En musique, la technique purement mécanique est un fantasme du xixe siècle, même si parfois les exercices dits mécaniques, pour surmonter une difficulté digitale, permettent de se soustraire à la charge du morceau à interpréter.

Dans le fond la liberté n’a de sens qu’opposée à la contrainte, il n’y a pas d’œuvre d’art sans contrainte (on dit aussi commande). Nous préférons penser qu’entre musique écrite et musique improvisée, il est question de différence de contraintes.

La liberté devant se comprendre ici comme improvisation libre, c’est-à-dire sans thème ni style donné… Ni livret. Les organistes qui improvisaient sur les films muets avaient recours à des catalogues imprimés d’effets, pour les différentes émotions à exprimer.

On peut alors penser, dans la mesure où l’improvisateur maîtrise son sujet et ne refourgue pas mécaniquement ses recettes de fabrication, qu’on est dans de  la composition spontanée, proche de ses humeurs du moment et les impressions qu’il entend produire sur le public.

L’impression est ici grande et puissante, et même parfois saisissante dans les sonorités inouïes et les effets à grands sons. On pourra penser ici à Debussy, là à Stravinski ou à Max Reger que l’organiste posède en ce moment du bout des doigts jusqu’aux os. Mais en fait, peut-être est-ce là l’intérêt de l’improvisation, Jean-Baptiste Dupont fait feu de tout son et de tout son savoir et savoir-faire, où le pragmatisme et l’urgence prennent le pas sur la méthode et le calcul dans le temps. Un débat qui fait rage en ce moment dans un tout autre domaine.

Jean-Baptiste Dupont, Improvisation, St Albans Cathedral.

1-7. Suite improvisée, 1. Prélude, 2. Agagio, 3. Fileuse, 4. Sicilienne, 5. Choral, 6. Andantino, 7. Postlude.

8-17, Dix improvisations en style libre, 1. Atmosfaere, 2. Coulées, 3. Agitato, 4. Water Drop, 5. Dialogues, 6. Malestrom, 7. Arabesque, 8. Soubressauts, 9. Feux follets, 10. Toccata.

18-18. Deux poèmes, 1. Incantation, 2. Embrasement.

 

plume 4 Jean-Marc Warszawski
1er avril
2020

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Mercredi 1 Avril, 2020 5:01