Né à Bilbao, mort à Paris vingt ans plus tard, Arriaga fait figure de météore. « À onze ans, il compose un octuor ; à douze, une ouverture pour orchestre ; à treize, un opéra, Los Esclavos felices, qui remporte dans sa ville natale un succès considérable. En 1821, il s’inscrit au Conservatoire de Paris où il devient l’élève de Bouillot pour le violon, de Fétis pour l’harmonie et le contrepoint ; ses progrès sont d’une incroyable rapidité.
Les dernières années de sa vie sont marquées par ses œuvres les plus importantes : trois quatuors à cordes et la symphonie en ré mineur, empreints d’un sentiment passionné qui n’exclut pas la sûreté de la technique. »1 On est en effet sidéré par le talent et la maturité d’un compositeur de dix-huit ans qui, s’il n’avait été fauché si tôt par la maladie (la tuberculose, semble-t-il), vaudrait sans doute à l’Espagne d’avoir un grand représentant de plus dans l’histoire de la musique.
À dix-sept ans, Arriaga a laissé avec ce « triptyque nourri de Boccherini et Rossini autant que de Haydn un témoignage éblouissant de sa jeune maîtrise. À aucun moment on n’a le sentiment d’être en présence de brouillons de jeunesse scolaires et académiques. Le mélange de gravité et de fraîcheur, de concentration et de liberté, de coupe classique et d’impatience romantique, soutient constamment l’intérêt et dispense, surtout dans le quatuor en mi bémol, un réel bonheur. »2
Ces trois œuvres, respectivement en ré mineur, la majeur et mi bémol majeur, ne proposent pourtant rien de révolutionnaire, surtout si on les compare aux derniers quatuors de Beethoven et de Schubert qui leur sont contemporains : en quatre mouvements, avec le traditionnel menuet en troisième position, ils respectent les schémas formels hérités de Haydn et Mozart. « Si un allegro répondant aux critères classiques ouvre chacun des trois quatuors, le mouvement lent est plus diversifié tant dans l'expression que dans les formes utilisées : un adagio de forme ternaire dans le premier, un thème et variations dans le deuxième, et un andantino très original dans le troisième. Quant aux finales succédant aux minuettos, ils sont précédés dans les deux premiers quatuors par une introduction, adagio-allegretto / andante-allegro, alors que le troisième se termine par un brillant presto agitato »3 Mais le musicien emporte l’adhésion avec une musique d’un naturel inaltérable, aussi expressive que dynamique, riche d’une merveilleuse fertilité mélodique et nourrie d’un lyrisme souvent mélancolique, parfois dramatique. Le talent d’Arriaga s’exprime au plus haut point dans le quatuor no 3 en mi bémol majeur : « L’orage qui traverse son andantino, intitulé "pastorale", sans doute par référence à la "sixième" d’un Beethoven pourtant peu prisé dans la maison du revêche (mais sensible) Cherubini, comme la grâce ébouriffée de son minuetto et de son agitato final ne sont pas seulement originaux : ils font mouche et ne dépareraient pas un programme de quatuors viennois. »4
Juan Crisostomo Arriaga, Quatuor no en mi bémol majeur, par le Quatuor Sine Nomine.À côté de l’ouverture des Esclaves heureux, alerte et pimpante à souhait, très « rossinienne » d’ailleurs, voici l’autre œuvre marquante d’Arriaga. On y retrouve toutes les qualités du jeune musicien et, tout au long de ses quatre mouvements, on est impressionné par la force de la construction et le brio de l’orchestration. Dans l’andante, qui fait une large place au dialogue entre cordes et solos des bois, on retrouve quelque chose de l’insondable émotion schubertienne, et les deux mouvements extrêmes, l’un comme l’autre de ton très passionné, comportent eux-mêmes des accents très schubertiens. Mais chacun des quatre mouvements, y compris le menuetto qui, lui, fait penser aux premiers scherzos beethovéniens, porte bien la marque de la personnalité unique d’un musicien dont on regrettera toujours qu’il n’ait pas vécu plus longtemps.
Juan Crisostomo Arriaga, Symphonie en ré majeur, Le concert des nations, sous la direction de Jordi Savall.Michel Rusquet
21 août 2020
© musicologie.org
1. Parouty Michel, dans Tranchefort François-René (dir.), « Guide de la musique symphonique », Fayard, Paris 2002, p. 12.
2. Cabourg Jean, dans « Diapason (508), novembre 2003.
4. Cabourg Jean, op. cit.
À propos - contact | S'abonner au bulletin | Biographies de musiciens | Encyclopédie musicale | Articles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale | Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.
Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil, ☎ 06 06 61 73 41.
ISNN 2269-9910.
Mercredi 25 Mai, 2022 17:23