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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte —— La musique instrumentale de Beethoven à Schubert.

La musique instrumentale de Georges Onslow  (1784-1853)

Onslow

Auvergnat, mi-français, mi-anglais (son père, établi en France à partir de 1781, appartenait à une illustre famille aristocratique anglaise), Georges Onslow a longtemps été considéré dans les milieux musicaux comme un « amateur distingué », alors même que, de son vivant, il avait bénéficié d’une haute estime de la part de musiciens tels que Berlioz, Mendelssohn ou Schumann. Il est vrai qu’il débuta en dilettante et que, dans l’ensemble, sa vie se déroula dans la plus grande aisance matérielle, lui épargnant les angoisses ou servitudes qui furent le lot commun de nombreux musiciens. Ainsi eut-il la chance d’être envoyé à Londres pour y recevoir une éducation de haut rang, et d’y apprendre le piano avec des maîtres comme Dussek et Cramer ; puis, sa vocation s’étant affirmée, de séjourner pendant deux ans en Allemagne et en Autriche, période pendant laquelle il commença à composer en autodidacte. Après quoi, en 1808, il entreprit de combler ses lacunes en travaillant un moment la composition à Paris avec Reicha. Par la suite, nanti d’une fortune personnelle assez enviable, il put se consacrer en toute liberté à sa passion pour la musique : il prit l’habitude de ne séjourner à Paris que quelques mois d’hiver et, jusqu’à sa mort, il passa le plus clair de son temps sur ses terres proches de Clermont-Ferrand où il aimait avant tout à s’adonner à de longues séances de musique de chambre. Mais cela ne l’empêcha ni d’être reconnu hors des frontières, de Londres à Leipzig, ni même d’être honoré dans son pays, puisqu’il fut choisi en 1842 pour remplacer Cherubini à l’Institut.

Fortement imprégné des modèles classiques viennois, Onslow a laissé un vaste catalogue qui dénote une personnalité un peu à part dans la France musicale de son temps : seulement trois petites tentatives dans le domaine de l'opéra-comique ; quatre symphonies longtemps jugées trop modestes pour prétendre passer à la postérité, mais qui parfois, comme la deuxième, méritent sans doute un meilleur sort,

George Onslow, Symphonie no 2, I. Allegro vivace ed energico, par le Rundfunkorchester Hannover (Norddeutscher Rundfunk philharmonie), sous la direction de Johannes Goritzki.

des sonates pour piano à quatre mains et de nombreuses pièces pour piano solo ; et surtout une production très abondant, et souvent ambitieuse, de musique de chambre, reflet d’une passion profonde de la part d’un musicien qui était aussi un violoncelliste de talent.

Œuvres pour piano

À deux ou à quatre mains, la production pianistique d’Onslow n’occupe pas le devant de la scène. Elle n’en contient pas moins des œuvres qui méritent bien plus qu’une moue dédaigneuse, à commencer par les deux sonates à quatre mains, opus 7 en mi mineur et opus 22 en fa mineur, des partitions aux climats souvent sombres et orageux dont les qualités de forme honorent la signature d’un « petit maître » qui s’était donné Mozart et Beethoven pour modèles.

George Onslow, Sonate pour piano à 4 mains, no 2, en fa mineur, opus 22, par le duo Danhel-Kolb.

Par ailleurs, parmi les nombreuses pièces, tantôt consistantes, tantôt très brèves, écrites pour piano solo, les bonnes surprises ne manquent pas : parti d’un classicisme de bon aloi, Onslow s’y montre souvent habité par la grâce et, dans les pièces les plus tardives, comme la Fantaisie sur « l’Ange gardien », s’aventure de façon heureuse en terre romantique. À cet égard, deux autres pièces au moins sont à retenir : l’Allegro agitato en si bémol mineur et l’Allegretto moderato en fa dièse mineur. « D’une proximité inouïe avec la poésie du grand Schumann, ces deux pièces exaltent la sensibilité romantique au travers d’un langage totalement émancipé. Et l’on s’aperçoit [par ailleurs] que ce même Schumann s’est inspiré de la Toccata d’Onslow pour composer la sienne… presque vingt ans plus tard ! »1

Œuvres de chambre

Sur un total de quatre-vingt-trois numéros d’opus, l’essentiel de la production d’Onslow est consacré à la musique de chambre, les œuvres pour cordes seules, soixante-dix en tout entre quatuors et quintettes, se taillant la part du lion. Étalée entre 1806 et 1853, cette production, derrière laquelle se devinent des périodes stylistiques assez différenciées, est typique de cette génération charnière entre les grands classiques et les premiers génies du romantisme : les idées ne brillent pas toujours par l’originalité ; la personnalité du musicien y apparaît souvent trop discrète, de plus, comme tant d’autres, Onslow a peut-être été un peu victime de sa facilité car, dans tout cela, le meilleur côtoie trop souvent le « convenable ». Mais, malgré les hauts et les bas, il faut saluer quelques qualités qui font le prix de cette musique : l’élégance, la fluidité, le charme mélodique, la richesse thématique, et une vie rythmique peu commune.

Quatuors et Quintettes à cordes

Puisque l’idée communément admise est que c’est là qu’il faut aller à la rencontre d’Onslow, commençons par évoquer ses trente-quatre quintettes à cordes, un genre auquel il s’est intéressé d’un bout à l’autre de sa carrière de compositeur (le premier est son opus 1, et le dernier son opus 82), avec cette particularité que, selon les cas, la nomenclature retenue comporte soit deux altos et un violoncelle, soit un alto et deux violoncelles, soit un alto, un violoncelle et une contrebasse (auquel cas, chose rare, cette dernière se voit confier un rôle de partenaire à part entière)

Face à une offre surabondante, on se tournera  prioritairement vers les Quintettes de la pleine maturité, ceux écrits à partir de 1826, qui comptent beaucoup de pages admirables. L’un d’eux, l’opus 38 en ut mineur dit « de la balle », bénéficie d’une cote toute spéciale, à la fois pour ses qualités intrinsèques (avec deux mouvements centraux particulièrement réussis) et en raison de son caractère autobiographique. C’est en effet une œuvre à programme dont la trame est fournie par un événement qui faillit bien coûter la vie au compositeur en 1829 : au cours d’une chasse au sanglier en terre auvergnate, Onslow, qui s’était assis à l’écart pour noter une idée musicale, reçut une balle perdue qui lui déchira l’oreille et se logea dans le cou. Il devait s’en sortir au terme d’une longue convalescence qu’il mit à profit pour retracer les évènements dans cette œuvre assez singulière. Ainsi, après un premier mouvement évoquant les péripéties de la chasse, on a tout à tour un menuetto intitulé « la douleur », avec son trio sous-titré « fièvre et délire », puis l’andante sostenuto évoque « la convalescence », et enfin le finale chante « la guérison ».

George Onslow, Quintette no 15, opus 38, en ut mineur, « La balle » par  The Oxford String Quartet et Merry Peckham (violoncelle).

À côté de cette œuvre justement célèbre, quelques autres Quintettes valent d’être cités au tableau d’honneur : les opus 34 et 35, qui illustrent superbement les diverses qualités prêtées à la musique d’Onslow, parmi lesquelles une formidable énergie rythmique ; les opus 39 et 40

George Onslow, Quintette en si mineur; opus 40, I. Allegro risoluto, par L'Archibudelli.

qui, tout autant que le plus célèbre opus 38, aident à comprendre l’estime dont notre « amateur distingué » bénéficiait auprès d’un Schumann ou d’un Mendelssohn ; parmi les opus les plus tardifs, on citera l’opus 67 et surtout le magnifique opus 78 no 1 en ut mineur dont le premier mouvement à lui seul, un allegro patetico plein de grandeur tragique, suffirait presque à l’élever au rang de chef-d’œuvre.

George Onslow, Quintette no 26, en ut mineur, opus 67, II. Scherzo, par le Quinette Elan.


George Onslow, Quintette no 26, en ut mineur, opus 67, IV. Finale, allegretto quasi allegro
George Onslow, Quintette no 32, opus 78 n° 1, en ut mineur, par G. Jarry et Y. Caracilly, (violons), S. Collot et B. Pasquier (altos), M. Tournus (violoncelle.

On parle moins d’Onslow pour ses trente-six Quatuors à cordes, et pourtant on y compte aussi beaucoup de pages remarquables. L’opus 8 no 1, en ut mineur, doté d’un très beau mouvement lent, frappe par son climat sombre et agité. L’opus 10 no 1, avec son adagio de caractère hymnique, n’est pas sans rappeler l’opus 76 de Haydn. C’est cependant dans les œuvres de haute maturité qu’on cherchera là aussi le meilleur de la production du compositeur. Par exemple dans les trois quatuors opus 46 où, par la science de l’écriture et par une conception très haute de son art, il apparaît comme un digne disciple de Beethoven ; dans l’opus 50, dont l’écriture semble avoir évolué vers davantage de liberté et de complexité, dans un style qui évoque parfois Mendelssohn ; ou dans l’opus 56, où l’on sent plus encore des affinités avec les musiciens de Leipzig ; ou encore dans l’injustement méconnu opus 63, en si bémol mineur.

George Onslow, Quatuor opus 8 no 1, en ut mineur, II. Adagio, par Yvon Caracilly, Serge Collot, Michel Tournus et Gérard Jarry.
George Onslow, Quatuor n° 21, en sol mineur, opus 46 no 3.
George Onslow, Quatuor no 25, en si bémol majeur, opus 50, par le Mandelring Quartet.
George Onslow, Quatuor n° 30,  en ut mineur,  opus 56, I. Allegro maestoso.

Autres œuvres de chambre

En dehors d’une période centrale (1826-1846) où il se consacra presque exclusivement aux œuvres pour cordes seules, Onslow composa pour d’autres types de formations comportant le plus souvent une partie de piano. De sa première période créatrice relèvent neuf Sonates, dont six, aujourd’hui bien oubliées, pour violon et piano, et trois, opus 16, pour violoncelle, ou alto, et piano qui, elles, sont reconnues comme de fort belles partitions. Non seulement les deux instruments sont traités à égalité, mais Onslow « confère une affectivité résolument romantique à un discours usant d’un matériau thématique d’une clarté et d’un galbe encore très classiques. Dans la Sonate opus 16 no 2, la plus développée, il utilise les possibilités dramatiques du mode mineur et s’offre le luxe d’un menuet-scherzo de belle envergure dont l’un des motifs aurait pu être inventé par Beethoven. Les deux autres sonates sont plus légères, plus détendues mais non moins inventives et denses. »2

George Onslow, Sonate pour violoncelle et piano, en ut mineur, opus 16, no 2 (1819) par  Emmanuel Jacques et Maude Gratton, pianoforte Broadwood de 1822.

De la même première période, on a également neuf trios pour violon, violoncelle et piano dont certains (comme ceux de l’opus 20) eurent en leur temps un certain succès, notamment en Allemagne. S’y ajoute un dixième trio avec piano, l’opus 83 en fa mineur ; cet opus ultime, écrit vers 1850, déconcerte quelque peu par son manque d’homogénéité de style, et retient surtout l’attention par l’unité thématique qui y est mise en oeuvre, annonciatrice des futures constructions ouvertement cycliques.

George Onslow, Trio avec piano no 8, en ut mineur, opus 26, par le Trio Bamberg.
George Onslow, Trio avec piano no 10, en fa mineur, opus 83, Scherzo, par leTrio Cascades.

Des années 1846-1849, on a d’une part un grand septuor (opus 79) écrit pour une formation rare réunissant piano, instruments à vent et contrebasse, et de l’autre deux brillants quintettes pour piano et cordes : « le Quintette opus 70 fut destiné à Thalberg ; il est écrit naturellement dans un style très concertant, le piano se taillant la part du lion. Le quintette opus 76 est plus original, l’écriture des archets est très individualisée, la partie de piano rappelle souvent le style de Chopin, et un finale à programme, intitulé « Le coup de vent », présente des effets de sonorités pittoresques. »3 Citons enfin, parmi les derniers numéros d’opus, un élégant quintette à vents (opus 81) qui vient opportunément nous rappeler qu’Onslow avait travaillé avec un certain Reicha.

George Onslow, Grand septuor en si bémol majeur, opus 79, II. Scherzo, par  Jean Hubeau, Marc Marder et le Nielsen Quintet.
George Onslow, Quintette avec piano, en sol majeur, opus 76, par le Nepomuk Fortepiano Quintet.
George Onslow, Quintette à vents en fa majeur opus 81, I. Allegro non troppo, par l'ensemble Initium.

 

plumeMichel Rusquet
2 juin 2020
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Notes

1. Ivineaux I., dans  « Diapason » (513), avril 2004.

2. Dupart Jean, dans  « Diapason » (425), avril 1996.

3. Ménétrier Jean-Alexandre, dans Tranchefort François-René (dir.), « Guide de la musique de chambre », Fayard, Paris 1998, p. 685.


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