13 février 2021 —— Jean-Luc Vannier.
Plaisance Guillaume (direction), Penser (à) l'opéra. EME éditions, Bruxelles 2020 [202 p. ; ISBN 978-2-8066-3718-5 ; 20,00 €]
Lors d’une séance au cours de laquelle son patient s’épanchait sur les affres de sa sexualité, un psychanalyste de renom interpréta : « pourquoi faire l’amour quand on l’a ? ». Serait-ce une conséquence de la fermeture des opéras et autres salles culturelles ? Toujours est-il que se multiplient les parutions savantes sur l’univers lyrique.
Sans être à même de rivaliser avec la monumentale « Histoire de l’Opéra français, du Consulat aux débuts de la iiie République », le recueil « Penser (à) l’Opéra », collectif dirigé par Guillaume Plaisance, apporte d’intéressants éclairages mais de valeur inégale. Ces contributions proviennent d’un séminaire « transdisciplinaire » organisé le 17 décembre 2019 à Bordeaux avec les aides conjointes de l’Université et de l’opéra de la ville. Transdisciplinaire est bien le mot puisque se côtoient des réflexions comportementalistes sur les développements cognitifs de l’enfant qui pratique la musique ou sur les effets de cette dernière sur la mémoire. Nous y trouvons aussi un chapitre émoustillant sur « Vin et musique » récapitulant les « chansons à boire » dans les ouvrages lyriques, un autre sur les « comportements du public à l’opéra de Bordeaux » — l’opéra de Marseille tient à notre avis la corde en matière de public réactif ! — ou bien encore, plus inattendues et donc plus captivantes, quelques pages denses de Jérôme Flas sur « L’effet Wagner et l’émancipation à l’opéra pour sortir d’une aporie nietzschéenne » : des réflexions vives et intellectuellement stimulantes sur le rejet — tardif — par Nietzsche de la « passivité » dans l’écoute de Wagner et qui sont probablement à méditer sous l’angle contraire de « l’excitation insensée pour la soumission, ce qu’il y a plus fort en nous tous » écrivait Lou Andrea Salome, amie intime du philosophe. « Penser (à) l’Opéra se clôt sur une « perlaboration » de Jean-Michel Vives qui nous propose une resucée de son opus « La voix sur le divan » paru en 2012.
Il y a donc, oserons-nous dire, à boire et à manger, tout comme les collations servies dans les salons attenants aux loges des grands établissements lyriques…certes autrefois.
Inutile de chercher chez les cognitivistes l’existence de facteurs affectifs en lien avec la musique ou le chant tant ils préfèrent mettre l’accent sur « les modifications fonctionnelles et structurales dans les régions auditives et somato-sensorielles ». « La neuroplasticité » des chanteurs en raison de leurs « années de pratiques vocales » aboutirait en outre à la « maitrise de la voix chantée » : comment alors comprendre les défaillances vocales des chanteurs lyriques les plus expérimentés ? Le professeur de chant Peter Elkus tient celles-ci pour une stratégie inconsciente visant à se réfugier dans la technique vocale afin de mieux dissimuler la peur inspirée par ses propres émotions : « Are we hiding in fear behind our intellects to avoid our fellings ? » (Peter Elkus, The telling of our truths, The magic in great musical performance, Amazon books, 2009, p.95).
Les deux premiers chapitres énumèrent divers « travaux des neurosciences cognitives concernant la musique » et montrant notamment les effets positifs de cette « activation des régions cérébrales impliquées dans le fonctionnement mnésique » sur les mécanismes de la mémoire, voire sur la maladie d’Alzheimer. Mais ils ne nous expliquent pas les raisons sous-jacentes de cette bienheureuse efficience. L’un des fondateurs de la psychologie expérimentale, Théodule Ribot, admettait pourtant le fait que « des représentations qui ont été accompagnées d’un même état affectif, tendent à s’associer ultérieurement : la ressemblance affective réunit et enchaîne des représentations disparates » (Théodule Ribot, Essai sur l’imagination créatrice, 1900, p. 31). Une mélodie devient ainsi la compagne involontaire — mais « tenace » insiste Édouard Claparède (L’association des idées, 1903, pp. 346-348) — d’une scène, d’une émotion, d’un état qu’elle sert à représenter. L’approche comportementale soustrait à l’investigation de la pratique du chant et de la musique ces processus intrapsychiques et surtout les processus primaires, témoignage irréfragable de l’inconscient : « la psychologie musicale, insiste encore un élève de Ribot, doit faire à la vie inconsciente de l’esprit un appel à peu près constant » (Lionel Dauriac, « Le langage musical », Revue philosophique de la France et de l’étranger, 1915, tome LXXIX, p.140).
Nice, le 13 février 2021
Jean-Luc Vannier
Das Lied von der Erde pour un émouvant anniversaire de Jean-Claude Casadesus — Des histoires en une Histoire de l’opéra français, du Consulat aux débuts de la IIIe République — Enea Scala pour une Bohème de fête à l’Opéra de Marseille.
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Samedi 13 Février, 2021 18:26