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7 juillet 2021 —— Jean-Marc Warszawski.

Stéphanie Moraly et Romain David : sonates et leçon de style

Incandescence, Stéphanie Moraly (violon), Romain David (piano), Johannes Brahms, Ernő Dohnányi, Ottorino Respighi, Karol Szymanowski. Aparté 2020 (AP250).

Enregistré par Little Tribeca du 7 au 10 septembre 2020 à la Salle Colonne, Paris.

Lorsque nous avons mis une oreille dans ce disque, nous nous sommes dit quelque chose comme « Wouhaaaa de la romance sans frontière » et nous avons pensé à Glenn Gould. Cela n’a rien à voir. Justement cela n’a rien à voir, Glenn Gould est le grand représentant d’un temps où le pathos était banni, la forme, la structure, l’architectonique prisées par-dessus tout. Un truc bien foutu, rationnellement construit, auto-justifié dans son immanence était la condition du beau. Avec des limites tout de même, comme les Structures pour deux pianos de Pierre Boulez (1952), tant structurées qu’elles font un effet de musique aléatoire dont il faut aller chercher la structure dans l’analyse sur partition. C’était le grand mot « structure », à en faire la chasse à l’improvisation notée de l’amateurisme… genre Chopin. Derrière ce grand mot il y avait le mirage d’y trouver les éléments les plus simples de l’universalité. Ce qui pourrait transformer le sujet minimum en une fugue des plus prolifères, ou la formule de base permettant de développer en segmentant et recomposant les thèmes. On voulait aussi éviter la personne et l’égo de ces affaires au profit d’une technique collective anonyme. J’ai pensé à Glenn Gould (pour l'anonymat c'est raté) comme à une page qui se tourne, derrière lui, vers un nouveau chapitre sur le style dans l’interprétation.

Le mot « Incandescence » m’évoquerait plutôt des musiques inflammatoires, plutôt sauvages comme certaines pièces de Béla Bartók, ou des passages de bravoure dans celels de Paganini ou autres cadences, le rock, progressif de préférence, l’accordéon swing d’un Gus Viseur ou des formes de jazz « rentre-dedans », du New Orleans au manouche, le flamenco... Nous sommes ici, plutôt dans le monde des grands élans amoureux, du lyrisme déboutonné, du pathétisme débordant, exagéré comme dans les films muets au temps du cinéma muet. « Incandescence » ? Plutôt « indécence » : pour les culs serrés aristocratiques méprisant l’étalage public du pathos existentiel de la populace, aussi pour les modernes voulant eux aussi vider la musique de tout pathos au profit de la forme et de la structure, de la pureté de l’écriture.

Cette musique qu’on dit romantique qu’on ne devrait pas dire romantique est bien une expression de liberté, de la libération de la sentimentalité et des émotions humaines, la liberté de parler fort, une musique qui se libère des codes pincés de la noblesse pour s’épanouir dans les salons bourgeois et à l’opéra. On est là dans des scènes d’opéra sans paroles, il faut entrer dans le jeu, comme dans toute fiction. Stéphanie Moraly et Romain David ont fait un choix que leur permet l’excellente technique et le magnifique équilibre duettiste : l’expression et les élans sentimentaux avant la forme. Les œuvres choisies sont faites pour cela. Comme pour le tango, le jazz ou les musiques populaires, la vie, si on retient ses effets, ça ne marche pas vraiment. Tant pis si parfois le violon ou les lignes du piano disparaissent dans la tourmente, de toute manière, hormis la magnifique romance de Karol Szymanowski, tout est encadré par la forme sonate. Liberté, mais liberté surveillée.

Il y a tout de même des épisodes de bravoure incandescente, notamment au climax de la romance de Szymanowki et dans tous les derniers mouvements, jusqu’à celui si poignant de Brahms, accroché au grand amour impossible de sa vie. Un cédé impressionnant et brillantissime.

Le livret, excellent, montre que les deux savent de quoi ils jouent.

 

plume 7 Jean-Marc Warszawski
7 juillet 2021


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