Salle Gaveaux, 15 juin 2022 — Jean-Marc Warszawski.
Cyprien Katsaris (piano), Saint-Saëns, Le Carnaval des animaux, Symphonie pour orgue, Danse macabre, Concerto pour piano no 2, L'assassinat du duc de guise (avec le film de 1908), etc. Piano 21 2021 (3 v., P21 064-N).
Le 15 dernier de juin, Salle Gaveau Paris, Cyprien Katsaris fêtait ses soixante-dix ans, c’est-à-dire à plus ou moins peu, ses cinquante ans de scène. Une scène qui est un peu son chez-lui, le bonheur d’y être est visible, tout comme le plaisir de prendre la parole, créant ainsi une certaine complicité avec un public donnant des signes d’enthousiasme avant la première note. Son premier salut est assez solennel, évoquant la souffrance des Ukrainiens, victimes d’une guerre stupide comme le sont toutes les guerres et s’insurgeant contre toute forme de boycott qui pourrait frapper le monde artistique.
Pour bien des mélomanes, Cyprien Katsaris est une légende vivante du piano. Une légende qui a pratiquement commencé sa carrière dans la cour des célébrités, orchestres, dirigeants, partenaires de musique de chambre. Mais il préfère le récital, où il peut donner libre cours à sa liberté et aux libertés d’interprétation que les œuvres bien faites suscitent par leurs richesses et leurs multiples vérités. Il n’y a pas chez Cyprien Katsaris la vanité de l’interprète détenteur de la vérité ultime de l’œuvre, mais l’attitude plus sereine et populaire de l’explorateur des différentes interprétations possibles. C’est pourquoi il est particulièrement attiré par les transcriptions, comme les œuvres d’Alessandro Marcello ou d’Antonio Vivaldi, arrangées par Johann Sebastian Bach, ou les réductions pour le piano des symphonies de Ludwig van Beethoven, de Franz Liszt. Ces transcriptions sont aussi souvent prétexte à débordements virtuoses, ce que le pianiste explore également, y compris dans ses improvisations-variations, avec grande appétance malgré une apparence faussement débonnaire. Il a d’ailleurs complètement intégré les effets de troisième et quatrième mains initiés par Sigismund Thalberg et Franz Liszt, on peut même se demander s’il n’arrive pas à faire des trucs entre les doigts, tant sa virtuosité est vertigineuse. Il n’est pas sans rappeler, Georges Cziffra, simplicité humaine comprise.
Bach, Piano Works, Cyprien Katsaris, Fantaisie et fugue en do mineur, Toccata en ré majeur, Suite en mi majeur, Concertos (arrangements d'œuvres de Marcello, Torelli, Reincken...) etc. Piano 21, 2020 (P21 062-N).
Son programme, chronologique comme il aime le faire, était en apparence assez éclectique, mais on a compris que pour Cyprien Katsaris, l’interprète doit apporter quelque chose, doit avoir une vision personnelle des œuvres, qui au bout donne l’unité au récital.
Le prélude BWV 921 de Johann Sebastian Bach, la 48e sonate de Joseph Haydn, le 2e Klavierstück et la sérénade dans la transcription de Liszt, de Franz Schubert, de Liszt la Czardas obstiné, arrangée par le pianiste, quelques pièces de Chopin : valse opus 64 no 2, fantaisie-impromptu opus 66, polonaise « héroïque ».
La seconde partie était consacrée à Camille Saint-Saëns dont on commémorait le 16 décembre dernier le centenaire de la disparition, avec le Carnaval des animaux, dans une transcription pour piano de Lucien Garban, revue par le pianiste, et la projection de L’assassinat du duc de Guise, un film de 18 minutes réalisé par André Calmettes en 1908, dont la musique fut confiée à Camille Saint-Saëns, lequel avec ce 128e opus, a composé la première musique connue de film. Enfin accompagnant un film.
On ne peut pas ignorer la virtuosité de Cyprien Katsaris, qui doit dégoûter plus d’un pianiste, mais qui risquerait de nous détourner de l’essentiel qui est la maîtrise totale du piano (Bechstein) et du son par une indépendance miraculeuse des mains et des doigts, le contrôle de toutes les voix, de tout ce qui se passe et passe dans la partition, une beauté sonore s'ensemble très particulière, homogène, d’où émerge ce que le pianiste veut, à volonté, faire entendre, parfois non sans surprise pour l’auditeur. Il est un Piano Hero.
Cyprien Katsaris (piano), Papaïoannou, 24 préludes ; Constantinidis, 8 danses des îles grecques ; Levidis, erste Griechische Romantische Sonate. Melism 2022 (MLS-CD-035).
Pour Cyprien Katsaris, le message de l’artiste est un message de beauté. Peut-être cette beauté, comme le proposait Plotin, qui permet de pressentir le Un, l’Idée absolue, l'origine, l’au-delà pour les mystiques, l’espérance de bonheur ou le bonheur d’être, la grandeur humaine pour les plus pieds-sur-terre. De ce fait, la transcendance n’est pas dans les œuvres qui en sont les ambassadrices. Toute œuvre est bonne ambassadrice qui porte de la beauté, ce qui justifierait la boulimie de répertoire du pianiste. Il se pourrait même qu’au fond, tout soit pour lui prétexte à piano et le piano prétexte à beauté.
Cyprien Katsaris, Paris Salle Gaveau, 15 juin 2022.
Jean-Marc Warszawski
15 juin 2022
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Dimanche 19 Juin, 2022 17:10