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Vienne, Wiener Konzerthaus, 21 mars 2022 —— Jean-Luc Vannier.

Joyce DiDonato et « la création contre la guerre » au Wiener Konzerthaus

Dans la pénombre de la grosser Saal résonne l’infinie douceur de The Unanswered Question (1908) signée Charles Ives. Puis, surgissant de nulle part, les notes tenues de Joyce DiDonato se font entendre, tandis que la mezzo-soprano évolue, aussi libre que les sons expulsés dans l’air, parmi un public cherchant à parer son angoisse de l’inconnu en se tournant, ici ou là, afin de pouvoir mettre un visage et un corps sur ces mystérieuses vibrations. Ainsi débutait le récital exceptionnel de la mezzo-soprano américaine qui reprenait à cette occasion la plupart des titres de son album Eden récemment paru chez Erato.

Elle est accompagnée sur scène par Il Pomo d’Oro, ensemble formé en 2012 et en référence à l’opéra d’Antonio Cesti (1623-1669) créé à Vienne en 1666 : Phalange d’une vingtaine d’instrumentistes et qui se signale par des interprétations particulièrement rythmées et dynamiques — ce fut le cas lors de ce concert — de l’opéra mais aussi d’œuvres instrumentales issues du baroque, du répertoire classique et même du belcanto. Né en 1988 d’une famille de musiciens à Dzerjinsk, dans le district de Nijni Novgorod, Maxim Emelyanychev en est devenu le chef principal en 2013 tout comme il dirige désormais le Scottish Chamber Orchestra. En mars dernier, après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Maxim Emelyanychev a clairement pris position dans une déclaration : « Je suis un artiste, je ne suis pas une personne politiquement active, et je vis pour la création de musique et d’art, mais maintenant je ne peux pas rester silencieux. Je suis contre la guerre en Ukraine et je trouve si pénible d’être témoin des scènes que nous voyons tous chaque jour. ». Une amie du ministère autrichien des Affaires étrangères nous confiait d’ailleurs son inquiétude devant le mouvement général et systématique de boycott des artistes de Russie « craignant les conséquences pour la carrière de jeunes artistes russes au talent prometteur et souvent en opposition avec Vladimir Poutine ».

Dans sa volonté de considérer « chaque mélodie comme une graine » et ce, en nous rappelant que même pendant le confinement dû à la pandémie de Covid-19, elle avait pu observer le « monde réel », « celui des plantes et des fleurs renaissant au printemps », Joyce DiDonato nous invite dans son récital « Eden » à revenir à nos racines et à nous souvenir. D’où, nourri d’une ligne de chant particulièrement stylisée, voire originale, le surprenant éclectisme vocal de son programme : The first morning of the world de Rachel Portman (1960-), un très intimiste Ich atmet’ einen Linden Duft ! de Gustav Mahler qui évoque sur un poème de Friedrich Rückert (1788-1866) l’ineffable délicatesse du parfum du tilleul auquel le compositeur associe l’amour. Plus enlevé le Con le stelle in ciel che mai de Biagio Marini, puis ponctué de brillantes vocalises, un très exalté Togliero le sponde al mare de Josef Myslivecek. Retour sur sa terre natale — et sans doute en forte résonnance avec ce qu’elle appelle sa « connexion avec la pure essence de notre être » — Nature, the gentlest mother de Aaron Copland.

Relevons, last but not least, l’admirable interprétation instrumentale sous la direction d’un Maxim Emelyanychev littéralement déchaîné, de la Danza degli spettri e delle furie, extrait de Orphée et Eurydice de Christoph Willibald Gluck suivie d’un tout aussi magnifique Misera, dove son ! …Ah ! non son io che parlo, récitatif et aria pour soprano et orchestre K. 369 de W. A. Mozart composé en 1781 sur un livret de Pietro Metastasio. Encore plus inspiré, son As with rosy steps the morn, l’air d’Irène à l’acte I de Theodora (1750) de Georg Friedrich Haendel.

En bis après d’amples acclamations, Joyce DiDonato nous a gratifié d’un déchirant Schmerzen (1857), le quatrième des Wesendonck Lieder de Richard Wagner lequel figure — fort heureusement — aussi dans le CD.

Connue pour sa générosité artistique, Joyce DiDonato avait réservé au public de Vienne une surprise : celle d’interpréter, entourée sur scène des « Wiener Sängerknaben », Seeds of hope composé à l’origine par les « Children of the Canterbury Choir ». Et de rappeler aux enfants autour d’elle son inaltérable credo : « le contraire de la guerre, ce n’est pas la paix mais la création ». L’ovation debout du public viennois devenait inévitable. L’émotion et les larmes de l’artiste aussi.

 

Vienne, le 21 mars 2022.
Jean-Luc Vannier
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