Opéra de Reims, 25 et 26 mars 2022. — Frédéric Norac
Les Malins Plaisirs n’ont pas attendu l’Année Molière pour célébrer le grand auteur de comédies français. Il fait largement partie de leur répertoire depuis l’origine de la compagnie. Mais cette année, ils ont décidé de se consacrer particulièrement à ses comédies-ballets, un ensemble de pièces brèves qui correspondent essentiellement aux années fastes de sa collaboration avec Lully, et dont ils ont choisi deux titres plutôt rares, Le Sicilien ou l’amour-peintre et Le Mariage forcé, à côté du célèbre Malade imaginaire, fruit plus tardif de sa collaboration avec Marc-Antoine Charpentier.
Le Sicilien. Photographie © Hélène Aubert.
La première appartient à un de ces grands cycles de divertissements qu’appréciait particulièrement Louis xiv, Le Ballet des Muses, créé en 1667, dont il constitue la quatorzième et dernière entrée, ce qui explique sa brièveté. En à peine une heure, l’intrigue raconte, dans un registre pseudo exotique, les stratagèmes d’un gentilhomme français pour enlever à un barbon jaloux, Don Pèdre, son esclave Isidore (malgré le nom, c’est bien une dame grecque !), avec l’aide du sien, Haly.
On reconnaît le schéma traditionnel tout droit venu de la commedia dell’arte qui fera florès au théâtre comme à l’opéra jusqu’au Barbier de Séville et au-delà encore. Mais ici, c’est sous l’identité d’un peintre que le galant s’introduit chez le vieux et par une ruse inédite qu’il réussit finalement à enlever la belle. Apparemment, pour le xviie siècle, la Sicile était encore une terra incognita, assimilée au monde oriental, d’où une pointe de Turquerie dans un synopsis on ne peut plus classique pour lequel Lully compose plusieurs intermèdes pour trois chanteurs (une sérénade, une bergerie, et une « turquerie »). Quatre comédiens assurent le versant théâtral et deux danseurs animent les intermèdes. Réalisée avec le concours de quatre musiciens du Concert spirituel (hautbois, flûte, basson, théorbe et guitare) sur le plateau et de la compagnie de danse L’Éventail, la production fait flèche de tous bois et mêle habilement les trois registres (théâtral, musical et chorégraphique) dans un ensemble dont le rythme ne faiblit jamais. Conçue pour voyager, elle se limite à une maison à taille d’homme pour toute scénographie et joue essentiellement sur le registre farcesque. Dans une excellente distribution, on remarque particulièrement le Haly d’Olivier Berhault, prototype même du valet de comédie dont il a la prestance et la verve et le barbon bien caractérisé de Quentin-Maya Noyé. La compagnie a eu la bonne idée d’ajouter une traduction en langue des signes française sur certaines représentations qui prend en compte les paysages chantés.
Le Mariage forcé. Photographie © Hélène Aubert.
Avec Le Mariage forcé (1664), deuxième essai de Molière dans le genre et première collaboration avec Lully, on entre dans un théâtre nettement plus sophistiqué. On y retrouve Sganarelle, le valet de théâtre bien connu, qui vieillissant voudrait bien se marier et épouser une jolie donzelle pour en faire sa chose (domestique) mais la prétendue ne l’entend pas de cette oreille et le programme qu’elle lui annonce lève quelques doutes dans son esprit sur le bien-fondé de ce mariage. Théâtralement, la pièce surclasse largement la précédente dans un subtil mélange de comédie et de farce. Surtout, musique et théâtre s’y s’intègrent complètement et nous amènent aux limites de l’opéra, avec un petit orchestre de onze musiciens dans la fosse, une véritable ouverture et des intermèdes qui sont des éléments de l’action et jouent à niveau égal avec les scènes parlées. Citons la scène des Égyptiens (transformée ici en un cirque ambulant) avec ses deux voyantes ou le divertissement final — une fête espagnole — célébrant les noces forcées du pauvre Sganarelle qui, bien que repenti, n’a pu s’en dépêtrer, intégrant le ballet et un savoureux charivari. Les costumes inventifs d’Éric Plaza-Cochet et le décor très graphique de Claire Niquet transposent l’action dans une esthétique hors du temps, pleine de poésie, qui n’est pas sans évoque par moment le surréalisme d’un Magritte. Le jeu d’acteurs donne un relief extraordinaire à l’ensemble des personnages : irrésistibles les deux philosophes de Nicolàs Rivals et de Pierre-Guy Cluzeau, interprétant également les deux frères de Dorimène, excellent Geronimo, l’ami bienveillant, de Quentin-Maya Boyé et bien sûr le Sganarelle truculent, aussi naïf que pleutre; de Laurent Prévôt. Il faut y ajouter la contribution des chorégraphies très originales de Marie-Geneviève Massé qui réinterprète subtilement la gestique baroque, et les interventions des deux chanteurs, la basse Alexandre Baldo et la soprano Lucie Edel.
Si Le Sicilien tenait un peu de la mise en bouche, ce Mariage est un plat piquant, savoureux et coloré dont la richesse visuelle et la joyeuse impertinence célèbrent comme elles le méritent, la vitalité du théâtre de Molière à quatre cents ans de sa naissance et sa complicité avec l’autre Baptiste qui, comme tous les mariages « forcés », ne pouvait hélas durer qu’un temps.
Spectacles en tournée
Le Mariage forcé
• le 1er avril à l’Espace Boris Vian des Ulis
• le 12 avril au Théâtre Olympia Arcachon
• du 23 au 25 avril au Printemps baroque du Touquet-Paris-Plage
• le 13 mai au Théâtre Jean Vilar de Suresnes
• le 3 juin au Festival Jean de La Fontaine de Château-Thierry
• le 24 août au Festival de Sablé
• le 27 novembre au Théâtre de Thionville
Le Sicilien
• du 20 au 22 avril au Théâtre Montansier de Versailles
• les 28 et 29 avril à l’Opéra Grand Avignon
• le 6 mai à La Tessoualle
• le 24 mai à La Barcarolle de Saint-Omer
• le 25 mai au Carré Sam de Boulogne-Sur-Mer
• les 21 juillet à Nieul-sur-l’Autise
• le 27 août à Périgueux
• les 6 et 7 octobre au Théâtre de l’Odéon de Marseille
• les 9 et 10 octobre au Théâtre Alexandre Dumas de St-Germain-en-Laye
• le 25 novembre à Avrillé
Frédéric Norac
25 et 26 mars 2022
« Le ciel peut attendre » : Là-Haut par Les Frivolités Parisiennes — L’âme du « bush » : Damien Pass aux Lundis musicaux — Huis clos au studio : Cosi fan tutte au TCE — « Ah Dieu ! que la guerre est jolie… » : Louis xiv, Turenne et d’Artagnan — Il Nerone : un « Couronnement de Poppée » parisien ?
Tous les articles de Frédéric Norac
norac@musicologie.org
À propos - contact | S'abonner au bulletin | Biographies de musiciens | Encyclopédie musicale | Articles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale | Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.
ISNN 2269-9910.
Mardi 29 Mars, 2022 2:26