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Der Rosenkavalier / Le Chevalier à la rose (IV. 5)

Opéra en trois actes sur un livret de Hugo von Hofmannsthal, Elisabeth Schwarzkopf, Christa Ludwig, Otto Edelmann, Eberhard Waechter, Teresa Stich-Randatl, le Philharmonia Orchestra and Chorus, Chœurs d'enfants de la Loughton High School for Girls et Bancroft’s School, sous la direction de Herbert Von Karajan. Pathé Marconi / EMI 1957. 2 C 165-00459/62 / PM 648 (4 LP).

Der Rosenkavalier / Le Chevalier à la rose EMI 1957

I. Distribution ; II. Notice ; III. Argument.

Face 5, suite acte II.

Le baron se dirige vers la gauche. Un serviteur a ouvert la porte de gauche et Faninal et le notaire se disposent à sortir.  Le Baron fait signe à Faninal de le suivre à trois pas. Faninal se recule avec obséquiosité. LE Baron passe le premier, s’assure que Faninal est bien à trois pas et sort pompeusement par la porte de gauche, suivi de Faninal, du notaire et de son clerc. Le serviteur ferme la porte et sort, laissant ouverts les deux battants de la porte qui donne dans l’antichambre. L’autre serviteur est déjà sorti avec les rafraîchissements. Sophie se tient sur la droite, troublée et honteuse. Marianne, à ses côtés, fait révérence sur révérence, jusqu’à ce que la porte de gauche soit fermée.

OCTAVE
après avoir regardé derrière lui, pour s’assurer que les autres sont bien partis, se précipite vers Sophie, tout tremblant d’agitation
Allez-vous donc épouser cet individu, ma cousine ?

SOPHIE
se rapprochant de lui
Pour rien au monde !
Elle jette un coup d’œil vers Marianne.
Mon Dieu, si seulement je pouvais rester seule avec vous,
pour pouvoir vous supplier, pour pouvoir vous supplier !

OCTAVE
Qu’Est-ce donc que vous voulez me demander ? Dites-le-moi vite !

SOPHIE
faisant encore un pas dans sa direction
Oh, mon Dieu, que vous m’aidiez ! Mais vous ne voudrez pas m’aider, puisque vous êtes son cousin !

OCTAVE
Je l’appelle cousin par courtoisie ;
Dieu soit loué,
je ne l’avais jamais vu de ma vie, avant-hier.
Quelques-unes des servantes de Faninal traversent l’antichambre en courant, poursuivies par les serviteurs de Lerchenau. Le serviteur personnel et l’homme au pansement courent après une jolie petite qu’ils cernent pratiquement à la porte du salon.

LE MAJORDOME :
qui accourt, très agité
Les gens de Lerchenau se sont enivrés à l’eau-de-vie,
et ils se ruent sur nos servantes, vingt fois pires
que des Turcs ou des Croates.

MARIANNE
Allez chercher quelques-uns de nos gens. Où sont-ils donc ?
Elle sort en courant, suivie du Majordome. Ils arrachent leur proie aux deux drôles et l’emmènent. Tout le monde se disperse et l’antichambre reste vide.

SOPHIE
se voyant seule avec Octaveparle librement
J’ai confiance en vous, mon cousin,
plus qu’en personne d’autre au monde,
et vous pourrez m’aider
si seulement vous le voulez bien.

OCTAVE
D’abord, il faut que vous vous aidiez vous-même,
ensuite je pourrai moi aussi vous aider.
Commencez par faire cela pour vous-même
et puis je ferai quelque chose pour vous.

SOPHIE
d’un ton confiant et presque tendre
Qu’est-ce donc que je dois faire ?

OCTAVE
Vous devez bien le savoir !

SOPHIE
le regardant d’un air résolu
Et qu’est-ce donc que vous ferez pour moi ? Dites-le moi !

OCTAVE
Pour le moment, vous devez, à vous seule, faire face pour nous deux !

SOPHIE
Comment ? Pour nous deux !
Oh, redites-le encore une fois !

OCTAVE
Pour nous deux !

SOPHIE
transportée de joie
Jamais de ma vie je n’ai rien entendu d’aussi beau !

OCTAVE
Pour vous et moi, il faut vous défendre et rester…

SOPHIE
Rester ?

OCTAVE
… ce que vous êtes.
Sophie lui prend la main, se penche et l’embrasse, bien vite avant qu’il puisse la lui retirer ; il l’embrasse sur la bouche.

OCTAVE
Les yeux pleins de larmes,
vous venez à moi, pour vous plaindre.
Effrayée, vous devez vous appuyer sur moi,
votre pauvre cœur est tout désespéré.
Et maintenant, il faut que je me montre votre ami,
mais sans savoir encore comment !
C’est si délicieux et si étrange pour moi
de pouvoir te tenir dans mes bras :
réponds-moi, mais réponds-moi sans parler :
Est-ce de toi-même que tu viens ainsi vers moi ?
Oui ou non ? Oui ou non ?
Tu ne dois pas le dire avec des mots —
l’as-tu fait de ton plein gré ?
Dis, ou bien était-ce seulement par nécessité ?
Était-ce seulement par nécessité que tu m’as tout confié ainsi,
ton cœur et ton adorable visage ?
Dis, ne te semble-t-il pas que quelque part,
dans un beau rêve,
il en fut déjà ainsi ?
Éprouves-tu cela, comme moi ?
Dis, éprouves-tu cela comme moi ?
Mon cœur et mon âme resteront toujours avec toi,
où que tu ailles, où que tu sois,n pour l'éternité.

SOPHIE
Je voudrais me cacher auprès de vous
et ne plus jamais revoir le monde.
Lorsque vous me tenez ainsi dans vos bras,
rien d’affreux ne peut m’effrayer.
C’est là que je veux rester, là !
Et me taire, et, quoi qu’il m’arrive,
cachée comme l’oiseau dans les branches,
rester immobile et sentir : il est près de moi !
Je devrais avoir la peur et l’angoisse dans le cœur,
mais au lieu de cela, il est plein de joie et de bonheur,
et il ne souffre pas.
Je ne peux pas dire cela avec des mots !
Ai-je fait quelque chose de mal ?
Je l’ai fait par nécessité !
Vous étiez près de moi !
C’est vers votre visage,
vers vos jeunes yeux clairs,
que je me suis tournée.
Votre cher visage —
et depuis, je ne sais plus rien,
plus rien de moi-même. Mais restez auprès de moi,
oh, restez auprès de moi.
Vous devez m’accorder votre protection,
tout ce que vous voudrez, j’en serai capable, mais restez auprès de moi !
Vous devez m’accorder votre protection,
mais restez auprès de moi !
Pendant ce duo, Valzacchi et Annina sont entrés sans être vus par les portes dérobées, à gauche et à droite respectivement, et ils ont épiés Octave et Sophie. Silencieusement, sur la pointe des pieds, ils se sont approchés et se sont cachés derrière les deux fauteuils. Sur la dernière note du duo, les deux Italiens bondissent hors de leurs cachettes ; Annina empoigne Sophie et Valzacchi empoigne Octave

VALZACCHI ET ANNINA
criant à tue-tête
Monsieur le Baron de Lerchenau ! Monsieur le baron de Lerchenau !
Octave fait un saut de côté. Valzacchi qui a toutes les peines du monde à le maintenir, s’adresse hors d’haleine à Annina.

FANINAL
Cours serser Sa Grâce !
Vité, mais vité, zé dois réténir cé monsieur !

ANNINA
Si je lâche la demoiselle, elle va se sauver !

ENSEMBLE
Monsieur le Baron de Lerchenau ! Monsieur le Baron de Lerchenau !
Venez donc voir Mademoiselle votre future ! Avec un jeune gentilhomme !
Venez vite, venez ici ! Ecco!
Le Barpon entre par la porte de gauche et les Italiens lâchent leurs proies, reculent d’un bond et s’inclinent devant le Baron, avec des gestes fort expressifs. Le Baron, les bras croisés, contemple le petit groupe. Un silence menaçant. Sophie se blottit contre Octave.

LE BARON
Eh bien, Mamsell, qu’avez-vous à me dire ?
Sophie garde le silence. Le baron ne se départit pas de son calme.
Allons, décidez-vous.

SOPHIE
Mon Dieu, que dois-je dire ? Vous ne comprendrez pas.

LE BARON
Nous verrons bien !

OCTAVE
Je dois faire savoir à Votre Honneur qu’il est survenu un important changement dans ses affaires !

LE BARON
Un changement ? Eh, pas que je sache !

OCTAVE
C’est pourquoi il faut que vous l’appreniez maintenant ! Cette demoiselle  —

LE BARON
Eh, vous n’êtes pas un paresseux, vous ! Vous savez ce qui est bon,
malgré vos dix-sept ans !
Il faut que je vous félicite !

OCTAVE
Cette demoiselle —

LE BARON
J’ai l’impression de me revoir au même âge !
Malgré moi, ce filou, ce petit freluquet me fait rire.

OCTAVE
Cette demoiselle —

LE BARON
Eh bien, elle est donc muette et elle vous a choisi pour avocat !

OCTAVE
Cette demoiselle —
Il s’arrête pour laisser parler Sophie.

SOPHIE
Non, non, je n’ouvre pas la bouche !
Parlez pour moi !

OCTAVE
Cette demoiselle  —

LE BARON
le singeant
Cette demoiselle, cette demoiselle, cette demoiselle, cette demoiselle !
Mais c’est l’Opéra de Quat'sous, ma parole !
Maintenant, disparaissez, sans quoi je vais perdre patience.

OCTAVE
Cette demoiselle, en deux mots,
cette demoiselle ne vous aime pas.

LE BARON
Ne vous faites donc pas de souci. Elle apprendra vite à m’aimer.
à Sophie
Venez donc là-bas, maintenant :
cela va être votre tour d’apposer votre signature.

SOPHIE
reculant
À aucun prix, je ne vous laisserai m’emmener là-bas !
Comment un gentilhomme peut-il manquer à ce point de délicatesse!

OCTAVE
qui s’est placé entre eux et la porte
Ne comprenez-vous pas l’allemand ? Cette demoiselle a pris sa décision.
Elle vous autorise à rester célibataire
maintenant et toujours !

LE BARON
affectant d’être pressé
Balivernes ! Propos d’écolière !
Cela n’a ni rime ni raison.
Il la prend par la main.
Maintenant, si vous le permettez !
Il essaye, avec un calme affecté, d’entraîner Sophie par la porte du centre que lui indiquent les Italiens à grand renfort de gestes.
Venez ! Allons retrouver Monsieur votre père par-là.
C’est presque plus court ainsi !

OCTAVE
J’espère que vous viendrez plutôt avec moi, derrière la maison,
Il y a là un jardin tout à fait commode.

LE BARON
affectant toujours le calme, il essaye d’entraîner Sophie vers la porte. Il lance par-dessus son épaule.
Jamais de la vie. Cela ne me convient pas, en ce moment.
Nous ne pouvons pas faire attendre le notaire.
Ce serait un affront à la jeune mariée !

OCTAVE
le tirant par la manche
Par tous les diables, vous avez le cuir épais !
Je ne vous laisserai pas non plus passer par cette porte-là !
Sophie s’est dégagée et vient se cacher derrière Octave. Ils se tiennent sur la gauche, presque devant la porte.
Maintenant, je vais vous le crier au visage :
je vous tiens pour un filou,
un chasseur de dot,
un menteur fieffé et un infâme rustre,
un drôle sans scrupules et sans honneur !
Et s’il le faut, je vais vous donner votre leçon ici même !

LE BARON
Il met deux doigts dans sa bouche et émet un coup de sifflet strident.
Ce qu’un galopin de dix-sept ans à Vienne
peut déjà débiter comme impertinences !
Mais, Dieu soit loué, on connaît dans cette ville
celui qui se tient devant vous,
tout le monde jusqu’à Sa Majesté Impériale.
On est ce qu’on est et on n’a pas besoin de faire ses preuves.
Alors, faites ce qu’on vous dit et laissez-moi le passage.

Le Baron s’avance vers Sophie et Octave, bien décidé à s’emparer de Sophie et à passer.
Je serais vraiment fâché, quand mes gens arriveront

OCTAVE
Ah, vous osez donc mêler vos gens
à notre querelle !
Maintenant, dégainez, ou bien, à la grâce de Dieu !
Les serviteurs de Lerchenau qui arrivent se troublent soudain, qui cessent d’avancer.
Le Baron fait un pas et attrape Sophie.

SOPHIE
Ah, mon Dieu, que va-t-il donc se passer ?

OCTAVE
Allons, Satan, dégainez ou je vous pourfends de haut en bas.

LE BARON
reculant un peu
Devant une dame, fi donc ! Avez-vous donc perdu le sens ?
Octave furieux, se précipite sur lui. Le Baron dégaine et, en se fendant maladroitement, il reçoit dans le gras du bras la pointe de l’épée d’Octave, mais celui-ci bondit sur la droite et, vif comme l’éclair, il les tient en respect par un mouvement circulaire de son épée. L’Auminier, Valzacchi et Annina s’empressent autour du Baron, le soutiennent et le font assoir sur un tabouret au milieu de la pièce.
Au meurtre ! Au meurtre ! Mon sang ! À l’aide ! Assassin ! Assassin ! Assassin !
Les Italiens et ses serviteurs l’entourent et le cachent au public.
J’ai le sang très chaud ! Un médecin, du linge !
Des pansements ! Je vais perdre tout mon sang en un clin d’œil !
Arrêtez-le. Police ! Police !

LES SERVITEURS DE LERCHENAU
cernant Octave, mais sans grande conviction
Frappons-le tous ! Frappons-le tous !
Des toiles d’araignée ! de l’amadou !
Enlevez-lui son épée !
Qu’il tombe mort ici même !
Tous les serviteurs de Faninal, y compris les femmes et le personnel des cuisines et des écuries, sont entrés par la porte du milieu.

ANNINA
s’approchant des serviteurs pour les haranguer
Le jeune gentilhomme
et la petite fiancée, comprenez ?
étaient secrètement
déjà intimes, comprenez ?
Valzacchi et l’aumônier débarrassent Le baon de son habit, tandis qu’il ne cesse de geindre.

SOPHIE
C’est la plus grande confusion !
Ce fut fulgurant, comme un éclair,
quand il l’a obligé à se battre !
Je sens encore sa main
qui m’étreignait !
Je ne ressens aucune crainte,
 je ne ressens aucune douleur,
seulement le feu de son regard
qui m’a percé jusqu’au fond du cœur !

LES SERVITEURS DE FANINAL
Quelqu’un est-il blessé ? Qui ?
Lui, là-bas ? Le monsieur étranger ?
Lui ? Le fiancé ?
Mettez la main sur le batailleur !
Lequel est-ce qui se bat ?
Lui, là-bas, en habit blanc !
Qui ? Le Chevalier à la Rose ?
À propos de quoi donc ? À propos d’elle !
Empoignez-le ! Terrassez-le !
À propos de la mariée ?
À propos d’une liaison !
Une haine furieuse !
Regardez donc la demoiselle,
regardez donc, comme elle est pâle !

MARIANNE
se frayant un passage jusqu’au Baron qui est environné de gens
Un monsieur si distingué ! C’est un grand malheur
Une blessure aussi grave ! Quelle triste journée !

OCTAVE
tenant ses assaillants en respect
elui qui m’approchera de trop près
apprendra à prier !
Je puis expliquer
ce qui vient de se passer !

LES SERVITEURS DE LERCHENAU
ayant abandonné tout espoir de s’emparer d’Octave, ils empoignent les servantes qui sont le plus près d’eux et les malmènent
Apportez du linge ! Faites des pansements !
Faites de la charpie avec vos vêtements !
Allons, point de chichis !
Du linge pour Sa Grâce !

SOPHIE
désespérée, crie à Octave
Mon amour,

OCTAVE
de même
Mon amour,
Faninal entre en trombe par la porte de gauche suivie du notaire et de son clerc, qui s’arrêtent dans l’embrasure, terrifiés. Dès que Sophie aperçoit son père, elle court vers la droite se réfugier auprès d’Octave qui re met son épée au fourreau. Les serviteurs de Lerchenau semblent sur le point d’arracher les vêtements des servantes jeunes et jolies. Tout le monde s’agite jusqu’à l’intervention de Faninal.

LE BARON
on ne le voit pas, mais on l’entend très bien
Je peux voir couler le sang avec le plus grand calme,
du moment qu’il ne s’agit pas du mien ! Oh ! Oh !

ANNINA
elle se précipite vers Faninal
Le jeune gentilhomme
et la petite fiancée, Grâce,
étaient secrètement
déjà intimes, Grâce !
Nous, pleins d’empressement
pour Monsieur Le Baron, Grâce,
les avons attrapés,
en toute soumission, Grâce !

MARIANNE
fort occupée à soigner Le baron
Un monsieur si distingué ! C’est un grand malheur !
Une blessure aussi grave ! Quelle triste journée !

LE BARON
s’en prenant à Marianne
Rendez-vous donc utile, sauvez-moi donc la vie !
Oh ! Oh !
Marianne sort en courant et revient hors d’haleine, portant un gros tas de linge, suivi de deux soubrettes avec des cuvettes et des éponges. Elles entourent le Baron, pleines d’énergie et de sollicitude.

FANINAL
après être resté interdit, il se tord les mains et s’écrie
Monsieur mon gendre ! Comment allez-vous ? Dieu du ciel !
Dire qu’il a fallu que cela vous arrive dans mon palais !
Courez chercher un médecin ! En toute hâte !
Même si vous devez tuer sous vous mes dix meilleurs chevaux !
Aucun de ceux qui portent ma livrée
n’a donc su se jeter au milieu d’eux ! Est-ce donc pour cela
que je nourris toutes ces grandes perches de laquais, pour subir un tel déshonneur
dans mon nouveau palais viennois !
s’emportant furieusement contre Octave
J’avais, en vérité, espéré
que la noble présence de Votre Honneur, en ces lieux,
me vaudrait d’autres plaisirs.

LE BARON
Oh ! Oh !

OCTAVE
Veuillez me pardonner.
Cette affaire me désole au-delà de tout.
Mais je suis hors de cause. Quand l’instant sera mieux choisi,
Votre Honneur apprendra comment tout s’est passé
de la bouche de Mademoiselle votre fille.

FANINAL
se contenant à grand peine
J’en serai très obligé.

SOPHIE
Je suis à vos ordres, mon père. Je vais tout vous dire.
Ce monsieur là-bas ne s’est pas conduit comme il l’aurait dû.

FANINAL
Eh là, de qui parlez-vous donc ? De Monsieur votre futur ?
J’espère que non, ce ne serait pas convenable.

SOPHIE
Ce n’est pas le cas.
Je ne le considère nullement comme tel.

FANINAL
de plus en plus irrité
Vous ne le considérez pas ?

SOPHIE
Plus maintenant.
Je vous en demande humblement pardon.

FANINAL
il commence par marmonner, puis il finit par hurler, hors de lui
Vous ne le considérez pas ! — Plus maintenant ! Me demande pardon ! —
Étendu là, blessé !  — L’autre debout près d’elle ! Le jeune !
hurlant
C’est honteux ! Mon mariage est à l’eau,
et tous les envieux du Wieden et du Leimgruben
en seront fort aises ! Le médecin ! Il va sans doute me mourir sur les bras !
à Sophie, fou de rage
Vous l’épouserez !
Le docteur arrive et s’apprête à panser le Baron. Faninal se tourne vers Octave, mais le respect transforme sa fureur en politesse grinçante

FANINAL
Puis-je, prier Votre Honneur, en toute humilité.
de se retirer promptement de ces lieux
et de ne jamais y reparaître !
à Sophie
Écoutez-moi bien !
Vous l’épouserez ! Et s’il perd tout son sang et qu’il meurt,
vous épouserez son cadavre !
Le docteur, d’un geste rassurant, lui indique que le blessé est hors de danger. Octave cherche son chapeau, que les serviteurs ont foulé aux pieds. Une servante le lui tend avec une révérence. Octave comprend qu’il doit partir, mais il voudrait bien rester et parler à Sophie. Faninal s’incline trois fois dans sa direction, avec une politesse exagérée qui indique parfaitement où il veut en venir. À chacune des révérences de Faninal, Octave répond par un salut tout aussi cérémonieux.

SOPHIE
se hâtant de parler avant qu’Octave soit sorti
Je n’épouserai pas ce monsieur là-bas, qu’il soit mort ou vif !
Je me barricaderai plutôt dans ma chambre !

FANINAL
furieux, s’incline encore deux fois en direction d’Octave qui lui rend la politesse
Ah, tu te barricaderas. Il y a suffisamment de gens dans la maison
pour te porter jusqu’à la voiture.

SOPHIE
Alors je sauterai à bas de la voiture qui m’emmènera à l’église !

FANINAL
tout en continuant son manège avec Octave qui se dirige pas à pas vers la porte, mais sans pouvoir se décider à quitter Sophie en un pareil moment
Ah, tu sauteras de la voiture !Eh bien, je serai assis à côté de toi,
et je saurai bien te retenir !

SOPHIE
À l’autel, je répondrai tout simplement non au prêtre au lieu de oui !
Entretemps, le Majordome a fait évacuer la pièce. La scène se vide. Seuls les serviteurs de Lerchenau restent avec leur maître.

FANINAL
Ah, tu répondras non au lieu de oui.
Je te mettrai au couvent. Aussitôt !
Disparais ! Je ne veux plus te voir ! Mieux vaut tard que jamais !
À perpétuité !

SOPHIE
effrayée
Je vous demande pardon ! Je ne suis pas une enfant ingrate !
Pardonnez-moi, juste pour cette fois-ci.

FANINAL
toujours furieux, se bouchant les oreilles
À perpétuité ! À perpétuité !

OCTAVE
Restez calme, mon amour, par-dessus tout !
Vous aurez de mes nouvelles.
La duègne pousse Octave vers la porte.

FANINAL
au Baron
À perpétuité !

MARIANNE
entraînant Sophie vers la droite
Vat’en donc hors de la présence de ton père !
Sophie sort par la porte de droite que Marianne re ferme derrière elle. Octave est sorti par la porte du milieu. Le Baron entouré par ses serviteurs, la duègne, deux servantes, les Italiens et le docteur, a été installée sur un lit de fortune fait de deux chaises l’une à côté de l’autre. Il est maintenant parfaitement visible.

FANINAL
au Baron
À perpétuité !
Je suis au comble de la joie. Il faut que j’embrasse Votre Honneur !

LE BARON
dont le bras souffre de ces embrassades
Oh, oh ! Jésus Marie !

FANINAL
rageur, tourné vers la porte de droite
Coquine ! Au couvent !
se tournant vers la porte du milieu
En prison !
À perpétuité ! À perpétuité !

LE BARON
C’est bien. C’est bien. Un petit coup de quelque chose à boire !

FANINAL
Du vin ? De la bière ? Du sirop au gingembre ?
le docteur affolé fait signe que non
Un si grand seigneur dans ce triste état ! Un si grand seigneur !
Dans mon palais ! Elle l’épousera d’autant plus vite !
Je saurai me faire obéir !

LE BARON
C’est bien !

FANINAL
J’en suis capable !

LE BARON
C’est bien !

FANINAL
Je vous baise les mains pour votre bonté et votre indulgence.
Tout ici est à vous. Je vais courir —  je vais vous chercher
vers la droite
Un couvent est encore trop bon !
au Baron
Ne vous faites pas de souci.
Je sais les réparations que je vous dois.
Il sort rapidement. Presque aussitôt un valet de pied entre avec une carafe de vin et sert Le baron.

LE BARON
seul avec le docteur et les serviteurs
Me voici allongé là ! les choses qui risquent d’arriver à un gentilhomme
dans cette ville de Vienne !
Ce ne serait pas à mon goût ici il faut trop s’en remettre à la grâce de Dieu.
J’aimerais mieux être chez moi !
En voulant boire, il fait un faux mouvement avec son bras blessé.
Oh, oh ! Le démon ! Oh, oh !
Le maudit gamin.
C’est à peine sevré et ça se mêle déjà de ferrailler avec une épée !
C’est un chien d’étranger ! Que je t’attrape seulement !
Ma parole, je t’enferme dans le chenil,
dans le poulailler —  dans la porcherie ! —
Je te dresserai !
Je t’apprendrai à entendre chanter les anges !
Aussitôt tous les serviteurs de Lerchenau arborent des mines menaçantes et se tournent vers la porte par laquelle est sorti Octave.

LES SERVITEURS DE LERCHENAU
Que je t’attrape !
Tu rouleras sous la table.
Attends, je te ferai ton affaire,
sale filou étranger !

LE BARON
aux serviteurs de Faninal qui le servent
Versez-moi à boire, vite !
Le docteur remplit le verre et le tend au Baron qui peu à peu retrouve sa bonne humeur.
Et pourtant, cela me fait rire de voir comment un galopin
de dix-sept ans imagine le monde :
il croit, par Dieu, qu’il me gêne.
Haha ! Au contraire, cela m’arrange ! Pour rien au monde,
je n’aurais voulu manquer les révoltes et les emportements de la demoiselle !
Il n’y a rien au monde qui m’enflamme autant
et qui me rajeunisse aussi complètement, qui m’enflamme autant
qu’une bonne bravade.

LES SERVITEURS DE LERCHENAU
Attends, que je te roue de coups,
sale filou étranger,
attends que je te roue de coups,
et que le diable t’emporte !

LE BARON
Monsieur le médecin, vous pouvez disposer !
Allez me faire un lit tout plein de duvets.
Je viens, mais d’abord je bois encore un peu. Pendant ce temps, filez.
Plein de duvets. Encore deux heures avant le repas !
Annina est entrée par l’antichambre et s’avance discrètement, une lettre à la main. Le Baron
vide son deuxième verre.
Je vais trouver le temps long.
« Sans moi, sans moi
chaque jour te semblera affreux,
avec moi, avec moi,
aucune nuit ne te semblera trop longue ».
Annina se place de façon à ce que le Baron la voie et elle agite mystérieusement la lettre.
Pour moi ?

ANNINA
s’approchant
De qui vous savez.

LE BARON
Qui veux-tu dire par-là ?

ANNINA
tout près
À ne remettre qu’en mains propres et en secret.

LE BARON
Déguerpissez !
Ses serviteurs sortent, après avoir pris la carafe des mains du valet de Faninal et l’avoir vidée.

LE BARON
Montrez-moi cette paperasse !
Il ouvre la lettre de la main gauche et essaye de la lire, en la tenant à bout de bras.
Cherchez mes lunettes dans ma poche.
d’un air soupçonneux
Non, ne cherchez pas ! Savez-vous lire ? Tenez.

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Lundi 9 Décembre, 2024