Opéra Comique, 7 février 2024 — Frédéric Norac
Stéphane Degout (L’Homme), choeur Pygmalion. Photographie © Stefan Brion.
Le deuil et la perte sont au cœur de l’œuvre de Schubert. Silvia Costa en a fait le thème même de ce montage d’une heure quarante où elle recycle des œuvres peu connues ou d’autres inachevées du compositeur. Si l’assemblage est habile, on regrette tout de même cette tonalité uniformément funèbre qui détourne souvent le sens de numéros extraits de leur contexte et dont on soupçonne que les surtitres ont été quelque peu tripatouillés pour les faire coller au propos.
« L’autre voyage », c’est évidemment celui de la vie et il commence par l’image d’une Parque qui en tranche le fil. Il se poursuit dans une longue séquence, essentiellement issue de l’oratorio Lazarus, avec quelques fragments du Singspiel Fierrabras, qui évoque tour à tour la découverte d’un cadavre, son autopsie par le protagoniste (qui y reconnaît son propre double) et s’achève sur son enterrement. Viendront ensuite une séquence presque joyeuse évoquant son mariage (bien que la mariée y pleure), celle de la naissance de l’enfant, suivie évidemment de sa perte, et du vieillissement des parents.
Stéphane Degout (L’Homme), Siobhan Stagg (L’Amour), Maîtrise populaire de l’Opéra-Comique. Photographie © Stefan Brion.
Toute la dernière partie tourne de nouveau autour du deuil et de la perte mais dans un registre onirique qui fait se rencontrer le père et l’enfant dans une espèce d’au-delà onirique dont heureusement la « sinistrose » qui plombait l’interminable première séquence a disparu et qui s’achève sur un très beau chœur issu de Sacontala, un opéra inachevé, parmi les plus méconnus du compositeur.
Du côté musical, on se réjouit de découvrir quelques beaux airs d’Alfonso und Estrella, Die Verschworenen (Les Conjurés), Die Zwillingsbrüder (Les frères jumeaux) ou de Rosamunde, chantés par un plateau de haut niveau où se distingue singulièrement Stéphane Degout, très investi dans le rôle du protagoniste. La soprano Siobbhan Stagg, incarnant L’Amour, et le ténor Laurence Kilsby au timbre clair et lumineux, incarnant L’Amitié, ne sont pas en reste et apportent une excellente contribution à l’ensemble. Une jolie séquence où L’enfant (Chadi Lazreq), s’accompagnant lui-même au piano, interprète un extrait de Rosamunde, sous le regard de ses parents, apporte une belle respiration à l’ensemble et bien sûr de nombreux Lieder orchestrés, de somptueux chœurs et quelques pièces orchestrales assurent la liaison et le passage d’une séquence à l’autre.
Stéphane Degout (L’Homme), Siobhan Stagg (L’ Amour), Chadi Lazreq (L’Enfant). Photographie © Stefan Brion.
L’ensemble doit beaucoup de sa cohérence à la direction de Raphaël Pichon à la tête de l’excellent orchestre et des chœurs superlatifs de l’Ensemble Pygmalion qui transcendent les quelques limites d’une musique qui n’est pas toujours des plus inventives (surtout dans les airs d’opéra, plutôt répétitifs) et où, dans les passages orchestraux, se reconnait l’influence beethovénienne mais qui prend toute sa dimension dans les passages choraux.
La mise en scène joue la carte de l’hyperréalisme pour les premières séquences, dans un style qui évoque le Claus Guth du Messie, et utilise de belles images de films amateurs pour évoquer la joie des fêtes familiales (le mariage et le baptême de l’enfant). Elle réussit globalement le pari de faire tenir cette mosaïque en un discours unique et finit par convaincre, malgré quelques lourdeurs. Toutefois, on peut se demander si, avec autant de moyens, il n’eût pas été intéressant de tenter la mise en scène d’une des œuvres lyriques achevées de compositeur, comme l’avait fait en 2006 l’Opéra de Zurich avec Fierrabras, en vue de donner, de son inspiration, une image moins univoque et sûrement plus fidèle.
Prochaines représentations les 9 et 11 février — Spectacle repris à l’Opéra de Dijon les 6 et 8 mars prochain.
Concert diffusé sur France-Musique le 9 mars à 20 h
Frédéric Norac
7 février 2024
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Vendredi 9 Février, 2024 1:26