Dijon, Auditorium, 30 mai — Frédéric Norac
Les Traversées baroques, 30 mai 2024 Dijon. Photographie © Edouard Barra.
Pour leur première collaboration avec le chœur de l’Opéra de Dijon, les Traversées baroques avaient choisi un monument de l’histoire de la musique : Les Vêpres de la Vierge. Dans cette œuvre de 1610, Monteverdi, au sommet de son art, semble avoir voulu résumer l’ensemble de son « métier » et a laissé libre cours à son génie de compositeur. Ces Vêpres sont un défi, par la complexité de la structure, la richesse des styles et des formes qu’elles convoquent et les exigences qu’elles supposent, tant du côté du chœur que des solistes et des instrumentistes. Disons-le d’emblée, le défi a été pleinement relevé. Si l’acoustique de l’auditorium, si problématique lorsqu’il sert pour l’opéra, n’est pas absolument idéaale pour ce type de répertoire polyphonique, elle n’aura pas hypothéqué la qualité de l’exécution. En tout début de concert, certains ensembles paraissent un peu massifs, mais, très rapidement, l’oreille se fait et la richesse des plans sonores, les subtilités de l’accompagnement instrumental émergent. Certes la configuration de l’auditorium ne permet que des esquisses de spatialisation, mais elles suffisent à donner un relief certain aux jeux d’écho (par exemple dans « Audi coelum ») et aux effets de répons comme dans la Sonata sopra Santa Maria où le chœur de femmes dans la salle répond à l’ensemble instrumental sur le plateau. Le redéploiement de l’effectif pour les tutti des Psaumes, après chaque séquence concertante, renouvelle la perception selon le placement des pupitres solistes et des groupes instrumentaux.
La cohésion du grand chœur avec l’ensemble est remarquable. Du côté des solistes, on retient un duo de ténors remarquablement apparié. La voix de François-Nicolas Geslot paraît un peu pâle dans sa première intervention, « Nigra sum », mais la délicatesse des nuances le compense largement. Par contraste, les couleurs apparaissent dans les passages où elle s’associe à celle de Vincent Bouchot, qui allie à une solide projection une grande force expressive et une riche variété d’accents. Leur virtuosité impressionne dans le « Duo Seraphim » où Augustin Laudet, membre du chœur vient les renforcer et partout ailleurs ils dominent largement le plateau. Les deux voix de Capucine Keller et Dagmar Saskova se complètent à merveille dans « Pulchra es » où les rejoint une soliste du chœur. Dans ses quelques brèves interventions, la basse Jaromir Nosek s’impose avec un beau timbre sombre. Du côté instrumental, les vents (trois saqueboutes, deux cornets ou flûtes et un hautbois) et les cordes (deux violons, deux violes de gambe et une contrebasse), ainsi que le petit continuo (orgue, harpe et deux théorbes) sont absolument impeccables. Au fil de l’exécution, la matière sonore se fait de plus en plus variée et s’anime jusqu’à un Magnificat final (donné dans sa version à six voix et sept instruments) qui est comme un kaléidoscope sonore tout en délicatesse qui emmène l’auditeur jusqu’à la jubilation finale du Gloria. En introduction avant l’hymne « Ave maris stella », a été ajouté une Toccata e ricercar de Frescobaldi qui permet d’apprécier la justesse de l’orgue de Laurent Stewart. Le tout est mené sans esbroufe, mais d’une main souple et très sûre par Étienne Meyer qui a choisi une approche plus méditative et religieuse que spectaculaire et théâtrale, sans minimiser la magnificence des grands ensembles. Au succès chaleureux que lui fait le public de l’auditorium comble, le chef répond par la reprise du « Nisi Dominus » et annonce, pour 2025, la poursuite de cette collaboration avec le chœur de l’Opéra de Dijon dans une nouvelle expérience autour de Monteverdi et de sa Selva Morale e spirituale.
Frédéric Norac
30 mai 2024
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