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Athénée-Théâtre Louis Jouvet, 10 octobre 2024 — Frédéric Norac

Ubu Roi retrouve sa musique, mais perd de sa truculence

Ubu Roi, Athénée-Théâtre Louis Jouvet.Photographie © Christophe Raynaud Delage.

Entre théâtre de marionnettes et Grand Guignol, la pièce d’Alfred Jarry, créée en 1896 au Théâtre de l’œuvre, haut lieu du théâtre symboliste, est difficile à réussir. Beaucoup de grands metteurs en scène s’y sont cassé les dents. Cette charge sur les dérives horrifiques du pouvoir, parodie farfelue du Macbeth de Shakespeare, exige de la démesure et un grain de folie pour faire mouche. Il y faut des comédiens de poids pour donner vie et crédibilité aux deux personnages principaux, les affreux Père et Mère Ubu, le premier aussi stupide et méchant que la seconde est futée et totalement amorale. Ceux de Pascal Neyron se montrent à la hauteur de l’enjeu, même s’ils ont un peu tendance à surjouer en début de soirée. L’Ubu acrobatique de Paul Jeanson convainc dans les aspects excités du personnage — avec une pirouette incroyable au premier acte, mais manque un peu d’ampleur et surtout de clarté et de projection, ce qui gâte un peu la scène de l’ours. Sol Espèche en revanche se révèle particulièrement fine mouche et, passé un premier acte où elle en fait un poil trop dans le genre « gourgandine », se coule parfaitement dans le rôle. Le reste de la troupe n’appelle que des éloges, depuis le couple royal de Pologne, Jean-Louis Coulloc'h, jouant aussi le Czar et Un noble et Nathalie Bigorre (la Czarine, une autre noble), jusqu’au Capitaine Bordure de Manu Laskar et au Bougrelas d’Elisabeth de Ereno. Les costumes suggèrent bien sûr que la fable vaut aussi pour notre époque. La scénographie de Camille Duchemin, un rideau de tuyaux qui s’écroule pour devenir un sol de colombins un rien scatologiques, la « merdre » sans doute du Père Ubu où s’enfoncent, nobles, ministres, et Ubu lui-même, permet par ses transformations de faire avancer l’action sans rupture et ses lumières créent un véritable climat pour chaque scène. Jouée en direct par les Frivolités parisiennes, la musique de scène originale de Claude Terrasse, reconstituée par Jean-Yves Aizic, offre plus qu’un habillage sonore, elle est un véritable commentaire de l’action et contribue à sa continuité. Les musiciens de l’ensemble sont mis à contribution dans les scènes de foule et permettent au metteur en scène de donner une véritable dimension à la bataille du ive acte dont la confusion est renforcée par les abus de la machine à fumée. Si le comique monte en puissance au fil des actes, c’est plutôt par la réussite de la mise en scène que par la truculence des deux protagonistes qui restent un peu en deçà de l’énormité que suggère le texte. Dans cette version, le lexique ubuesque si caractéristique a un peu perdu de sa force et les célèbres jurons de l’usurpateur de leur verdeur, mais l’ensemble fonctionne plutôt bien et se taille au final un beau succès.

Représentations jusqu’au 20 octobre. Spectacle repris à l’Opéra de Reims, les 23 et 24 novembre.

plume_07 Frédéric Norac
10 octobre 2024
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