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Opéra Comique, 21 juin — Frédéric Norac

« Vertige de l’amour » : Armide de Lully vue par Lilo Baur

Armide Enguerrand de Hys (Artémidore, Le Chevalier danois), Florie Valiquette (Gloire, Sidonie, Lucinde, La Bergère), Lysandre Châlon (Ubalde, Aronte), chœur Les éléments, danseurs. Photographie © S. Brion.

Les temps sont au recyclage. Lilo Baur remonte à l’Opéra Comique Armide de Lully dans le décor même où elle avait mis en scène, il y a deux ans, celle de Gluck. La scénographie de Bruno de Lavenère — un arbre desséché et torturé symbolisant l’aridité de l’amour — a été enrichie d’un travail très approfondi sur les lumières (Laurent Castaingt) et d’un habillage vidéo qui répondent à l’évolution dramatique, renouvelant profondément les aspects visuels de la production. Pour les costumes, Alain Blanchot a opté pour la neutralité de simples collants noirs auxquels quelques accessoires viennent ajouter un élément de caractérisation pour les protagonistes : le manteau rouge et les bottes d’Armide, désignant la reine et la guerrière, la veste de cuir de Renaud puis son peignoir et ses pieds nus. Ainsi au prologue, Gloire et Sagesse apparaissent-elles, l’une en capote militaire et l’autre dans une sorte de soutane, suggérant finement ce qui se cache derrière les deux allégories qui chantent les louanges du souverain.

La lecture se concentre sur les aspects intimes de la tragédie d’Armide, piégée par ses propres artifices et sentant ses pouvoirs de magicienne s’enfuir tandis que sa dépendance à Renaud croit et la dépasse. La direction d’acteurs est d’une extrême subtilité et compense largement l’absence de tout le décorum dont le « kitsch » encombrait la production précédente. Pour les suites de danses, essentielles dans l’opéra de Lully, Lilo Baur s’est associée à Claudia de Serpa Soares, dont les chorégraphies intégrant un petit groupe de six danseurs à l’ensemble choral et aux solistes, animent sans cesse le plateau de mouvements entre pantomime et danse pure. Le clou de cette approche est la grande passacaille des Plaisirs de l’acte V, où l’ensemble se transforme en un magma mouvant de corps entremêlés, dans une débauche de sensualité, dont émergent par instant quelques couples en extase.

Armide Ambroisine Bré (Armide), Cyrille Dubois (Renaud). Photographie © S. Brion.

On retrouve dans la distribution de nombreux noms de la production de 2022. Florie Valiquette et Appolline Raï-Westphal sont de nouveau les suivantes d’Armide et quelques coryphées dans les scènes d’ensemble. La première n’évite pas un rien d’acidité dans le prologue mais s’améliore plutôt au fil de la soirée. Enguerrand de Hys incarne Artémidore et le Chevalier Danois, avec toujours un peu de nasalité dans l’émission et il revient à Lysandre Châlon d’offrir sa superbe basse à Aronte et à Ubalde. Edwin Crossley-Mercer est toujours aussi imposant en Hidraot et La Haine qui ici est confiée à une basse, revient Anas Seguin dont la voix de grand format manque un peu d’homogénéité. Le jeune Abel Zamora, artiste de l’Académie de l’Opéra-Comique, assume avec une jolie voix naturelle mais un peu de tension dans l’extrême aigu la partie très exposée de L’Amant Fortuné à l’acte V. Dans le rôle-titre, Ambroisine Bré s’investit corps et âme. Son mezzo aux aigus un peu métalliques donne beaucoup de personnalité au rôle et on ne lui reprochera qu’une articulation parfois un peu relâchée. Le timbre pénétrant et l’émission immaculée de Cyrille Dubois font merveille dans ce rôle de haute-contre où il faut alterner douceur et héroïsme. Enfin, l’ensemble Les Éléments se révèle un modèle d’homogénéité et de beauté du son, ne sacrifiant jamais la clarté de l’articulation et apportant une contribution remarquable à la dimension théâtrale. Dans la fosse, Christophe Rousset et ses Talents Lyriques font vivre la partition, apportant à ce spectacle très réussi dans son parti-pris « minimaliste », la touche de splendeur orchestrale d’une œuvre qui est incontestablement un des sommets du répertoire baroque et du génie de Lully et de son librettiste Philippe Quinault.

Dernière représentation le 25 juin.

plume_07 Frédéric Norac
21 juin 2024
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Lundi 24 Juin, 2024 18:28