26 février 2025 —— Alain Lambert.
22 ans déjà, après les 20 ans en concert parisien en mars 2023, et 5 cédés sortis l’an passé, le Petit Label caennais est toujours vivant, malgré la conjoncture pas facile, le numérique glouton et les subventions en attente. L’occasion d’aborder le présent, après un rapide historique, avec un nouveau projet annuel pour la collection Bruits et le collectif du Lieu Sonore. Avant un panorama des sorties récentes.
Au départ, en 2003, le cédé d’hommage à un jeune musicien disparu, le guitariste Jean François Colson, « 4 » en quartet et en concert, difficile à sortir ailleurs, la décision est prise de le faire ici, à Caen, et d’en éditer en même temps trois autres en janvier 2004, de façon artisanale, avec tirage limité à cent exemplaires numérotés. La moitié pour le label et l’autre pour les musiciens. Puis quelques mois plus tard, la possibilité de faire les pochettes en sérigraphie grâce à l’atelier associatif L’Encrage donne un plus au projet, fort de cinq collections : Kraft pour le jazz, Bleue pour le son et l’improvisé, Blanche pour la poésie en musique, Rouge pour le free, et plus récemment Noire pour la collection Bruits qui sort en 2025 son 4e titre, Alcools du collectif Le Lieu Sonore. De manière à promouvoir toutes les musiques improvisées et expérimentales, sans sectarisme, de la région ou d’ailleurs, venues de Normandie, Paris, Toulouse, Tour, Bordeaux, Lyon, et même des États-Unis, d’Italie, d’Allemagne, du Japon…
Alcools (Pl Bruits 004) est le fruit (fermenté) du collectif caennais Le lieu Sonore, actuellement composé de huit musiciens : Pierre Blin, Thibault Jehanne, Nicolas Talbot, Cécile Ortola-Vanhove, Lorène Pie, Patrice Grente, Pierre Barraud de Lagère et Valentin Fardao dans l’ordre des pistes de l’album. Tous désireux d’explorer « les musiques électro-acoustiques et l’art sonore » et de les promouvoir en concerts avec un orchestre de haut-parleurs (acousmonium). Des ambiances électro-acoustiques pour la plupart, un peu spatiales et éthyliques comme les capsules ici décapsulées, ou mêlant les sons concrets retravaillés par l’ordinateur comme le Madden's bar de Lorène Pie (voir photo) où les chants ont été captés et Duvel (33 cl) de Thibault Jehanne fait en soufflant dans ladite bouteille, sans doute les plus proches du thème choisi cette année. L’ensemble s’écoute avec vif intérêt et grand plaisir.
Le Lieu Sonore à Logre à Caen.Photographie © Photographies Alain Lambert.
Le concert, ou séance acousma, apporte le plus du live en bonnes conditions acoustiques. Pour celui de sortie à Logre, nouveau lieu culturel caennais, le samedi 22 février, les auditeurs étaient entourés de 24 enceintes de toutes formes, et chaque compositeur pouvait spatialiser le son en direct sur la console de mixage.
Une expérience à revivre aux Ateliers Intermédiaires à Caen le 15 mars.
Maalax (PL Son 027) du trio Maalax composé de Bruno Godard au basson, Maxime Métais à la guitare et Samuel Frin au sax Baryton. Le mieux est de les laisser parler de leur démarche sonore et musicale fascinante, minimaliste, puis hypnotique, en trois mouvements : Ce 1er opus éponyme est le résultat d’une exploration commune autour d’une simple note, une seule, la plus grave pour une guitare : le mi grave. De ce point de départ, ce seul mi trituré, répété inlassablement, alternativement, conjointement par les trois instruments, découlent en filigrane des résonances, des harmoniques, des zones de tension et de détente. Bientôt, par différents jeux rythmiques, de répétition, d’additions, de soustractions et d’accélérations, le mélange des trois timbres fait émerger peu à peu des notes différentes, créant ainsi de nouveaux motifs mélodiques que le trio reprend encore et encore, déplace, translate en tous sens jusqu’à saturation, trop-plein, essoufflement. Puis naturellement, le calme revient, la musique s’apaise et une brève conclusion plus sereine ouvre brièvement la porte sur d’autres paysages à découvrir.
Breath & Breath (PL Kraft 069) d’Ana Kap en quartet avec Pierre Millet à la trompette et aux compositions, Betty Jardin au chant et aux textes, Manuel Decocq au violon et Jean Michel Trotoux à l’accordéon. Toujours cette ambiance de musique de rue ou de cirque, mais avec improvisation entre trompette et violon, où la voix câline de la chanteuse vient se lover tout en douceur, apportant un double plus au trio augmenté. Chacun pourra s’y dérouler son film imaginaire pendant les quatorze séquences sans avoir à reprendre son souffle.
Low Swallow (PL Kraft 070) d’Ana Kap en trio tout instrumental, enregistré la veille mais sorti après, avec la même ambiance, en laissant le chant aux seuls instruments. Et aussi, parmi les quatorze titres, des reprises de quelques thèmes anciens du trompettiste du temps de Renza Bô, dans une autre palette sonore, celle du flonflon décalé. Et c’est très bien, un septième album dans la continuité et le renouveau..
Jusqu’à l’égarement (PL Free 011) du trio Kalt conduit par le saxophoniste aussi au synthétiseur semi-modulaire Nicolas Stephan (qui a réalisé en 2023 un vinyle en solo de sax, Nuit, au Petit Label) avec Louis Frères à la basse électrique augmentée ou à la contrebasse, et Maxime Rouayroux à la batterie. Les deux premiers se partagent les compositions et deux sont du trio. Le titre liminaire précise celui de l’album en ajoutant d’un monde fasciste. Un free jazz coloré et inventif pour défendre encore l’idée de liberté, tout en restant parfaitement accessible, ouvert et sans repli sur soi.
Driim (Pl Kraft 068) du quintet Decor-Um, avec encore Betty Jardin au chant et textes, Pierre Millet à la trompette et aux compos, mais dans un contexte musical très différent puisque Patrice Grente est à la contrebasse, Pascal Vigier à la batterie et Jean-François Julien au piano et Fender Rhodes. Si la java n’est pas loin, le jazz est là, plus électrique et bien chaloupé par la batterie et la basse. Le clavier cristallin tisse un écrin aux impros plus amples du trompettiste. L’accord entre voix et trompette est lui encore plus accompli que dans le précédent opus. Un très bel album.
Vous pouvez visiter le site du Petit Label et voir et écouter le travail fait en 22 ans.
Alain Lambert
26 février 2025
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