Naharin's Virus. Photographie © Ascaf.
Bien sûr Ohad Naharin vient de Tel-Aviv, ainsi que la moitié de sa troupe. Il a donné son avis dans un journal israélien de centre-gauche sur les massacres de Gaza et le gouvernement d’extrême droite qu’il condamne. Ce que semblent ignorer les tracts distribués à l’entrée du théâtre de Caen appelant au boycott du spectacle. Dans une interview à RFI d’avril 2024, il confirme : Je pense que le fait d’être un militant pacifiste me facilite la tâche. Je respecte les thèmes abordés par les personnes qui défendent la cause palestinienne. Et j’essaie de leur donner de l’espace pour protester. J’essaie de créer un dialogue avec eux partout où nous allons. C’est ainsi. Je ne pense pas que cela aide la cause palestinienne, mais je comprends leurs motivations. La plupart du temps, les revendications portent sur l’occupation et le traitement des Palestiniens par le gouvernement israélien et par les colons. Des choses sur lesquelles je suis complètement d’accord… Je serais peut-être jugé et critiqué, mais je peux le faire. Je n’ai pas peur. Israël est toujours une démocratie à cet égard… Je ne me vois pas comme Israélien ou juif. Je me vois comme un être humain dans cet univers. C’est à travers leur humanité, et non à travers leur citoyenneté, que je vois les gens. Je vois clairement le bien et le mal, j’en parle et j’ai la chance de vivre dans un pays qui le permet.
Pas de référence au covid ici, le virus est autre, car la pièce, dans sa forme actuelle, date de 2014, quand le chorégraphe a décidé d’adjoindre au ballet de 2001 un texte provocateur de Peter Handke, Outrage au public, daté de 1966, qui questionne la notion même du spectacle, la place de l’acteur et du spectateur, en déplaçant l’attention sur ce dernier, sur ses attentes, sur son corps, complété ensuite par une bordée d’insultes encyclopédiques envers lui, avant enfin de le remercier de sa participation.
Et bien sûr, ce virus contamine le spectacle, les séquences dansées tout comme le mur sur lequel se tient l’orateur de la pièce, un danseur caché derrière un costume noir. Sur lequel une danseuse trace d’abord une ligne qui va prendre l’empreinte de son corps, puis celle d’un autre danseur en prologue. Puis la fresque va s’emplir de divers graffitis avant que des lettres immenses ne se dessinent : PLASTELINA, anagramme approximative, mais lisible. Le A du milieu se retrouve bientôt entouré d’un cercle comme sur de nombreux murs du monde, en référence aux aspirations libertaires.
En justaucorps couleur chair moulants, et en collants noirs, la petite vingtaine de participants se font prendre par les différentes musiques, dansées sur un mode individuel tout soudain contaminé par un mouvement collectif brutal. Naharin est le créateur de ce langage corporel ondulé, saccadé ou ralenti, permis par le lâcher-prise. Adagio de Barber faussement classique. Solo de batterie électro aux mouvements électriques. Percussions minimalistes aux mouvements millimétrés et robotiques. Duos sur une longue ballade au piano. Musique orientale festive et frénétique du début qu’on retrouve à la fin sur le mode tournoyant des derviches, du groupe arabe Al Majad.
Naharin's Virus, fresque finale. Photographie © Alain Lambert.
Un spectacle total, original, créatif, intrigant et superbe à la fois, qui permet à la danse contemporaine de se questionner et d’évoluer encore dans un monde chaotique qui nous contamine continuellement.
À voir encore à Vélizy-Villacoublay le 17 mars et à Dijon le 5 avril.
Alain Lambert
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Vendredi 14 Mars, 2025 2:05