La saison de la folie en Péniche Opéra de Paris [voir notre avant-papier] était inaugurée vendredi dernier avec un spectacle en trois mouvements, avec l'acteur et baryton Paul-Alexandre Dubois en maître d'œuvre et de cérémonie, et bien sûr en fou.
Les Eight Songs for a Mad King de Peter Maxwell Davies, La projection d'un entretien avec une art-thérapeute, puis en création mondiale Les mots bruts d'Alexandro Markéas sur des textes d'aliénés collectés par Michel Thévoz.
Les Eight Songs for a Mad King de Peter Maxwell, pièce de théâtre musical de 1969 sur des textes et la folie du roi George III (également textes de Randolph Stow) est une œuvre rare mais importante de répertoire, pour baryton (le fou), flûte (la reine), violon, violoncelle, piano, clavecin, clarinette, et percussions. S'ouvrant de manière subite par un violent cluster, elle plonge tout d'abord le spectateur dans le demi-sourire de l'absurde, pour l'enfermer peu à peu dans une intense démesure incongrue, effrayante, entre le fantôme de la reine et les dialogues avec les oiseaux renforcés par un concert d'appeaux, avec des réminiscences d'Handel, dans des images, ou éclats poétiques sidérants constamment brisés. Chose inimaginable dans un concert, le fou arrache le violon des mains de l'instrumentiste, accompagne une danse et le brise contre la cage aux oiseaux imaginaires. Le public pousse un « Oh ! », une spectatrice s'esclaffe encore plusieurs fois.
Partition formidablement inspirée, inventive, elle est un défi pour le chanteur-acteur, dans l'exploration des cris, râles, onomatopées, le suraigu, la recherche des harmoniques qui tend à la diphonie. Ovation donc pour Paul-Alexandre Dubois, aussi pour l'ensemble Les Noces : Yua Souverbie (flûte), Francis Prost (clarinette), Naaman Sluchin (violon), Joël Schatzmann (violoncelle), Yannick Deroo (percussions) et Nicolas Krüger (piano et clavecin)
Si l'entretien filmé, tourné et monté avec une simplicité amateur, est une très bonne idée, qui permet de prendre quelque recul avec la violence du théâtre à la manière des intermèdes des temps anciens, il détruit aussi la féérie. On s'y interroge sur les ponts, les ressemblances ou identités entre l'art sophistiqué d'école et les productions compulsives d'aliénés, autour du concept d'art brut. On n'échappe pas aux poncifs de la pulsion originelle ou de l'art comme sublimation, les confusions de l'identification et de la représentation. Mais peut-on dire autre chose sur cette question ?
Les Mots bruts d'Alexandro Markéas, pour voix d'homme, clarinette, percussions, électronique et dispositif vidéo, n'ont ni la folie ni le paroxysme de la première partie. Il s'agit ici avant tout, non pas de mettre la folie en scène, mais des extraits de textes d'internés, écrivant surtout sur leur état, conscients de leur enfermement et s'en insurgeant. Markéas, compositeur penseur ouvert aux sons du monde mène une partition bien ficelée, l'électronique et la vidéo jouant les dédoublements de personnalité, les textes magnifiques et décalés faisant le reste. Mais les moyens techniques de diffusion et de mise en scène sont pauvres, ils produisent paradoxalement pour l'électronique une sorte d'effet gadget et pour la mise en scène une ingéniosité de la misère que connaissent malheureusement beaucoup de théâtreux. Si les textes accrochent, l'ensemble de l'œuvre est un peu pâlichon au regard de la première partie, quand bien même buvons-nous sans perdre une goutte ces étranges écrits. Peut être aurait-on dû inverser l'ordre du programme.
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Lundi 4 Mars, 2024