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20 avril 2011, Grimadi Forum, Par Jean-Luc Vannier.

Maillot, Inger, Greco / Scholten : expériences conceptuelles aux Ballets de Monte Carlo

Immersion totale dans un bain de jouvence conceptuel. Ce mercredi 20 avril avait lieu, au Grimadi Forum, la première de trois créations chorégraphiques exécutées par les Ballets de Monte Carlo : l'Opus 50 de Jean-Christophe Maillot, son directeur, In-Exact du chorégraphe suédois Johan Inger et Le corps DU BALLET, création conjointe d'Emio Greco et de Pieter C. Scholten. Difficile, a priori, d'établir un lien programmatique entre ces trois productions. Un indice est pourtant fourni bien avant le début de la performance : signé de Valério Adami, le rideau de scène « dévoile et dissimule » deux corps de danseurs enlacés mais dont on ne distingue que la partie inférieure. « Comme si la ligne horizontale du rideau dessinait l'horizon d'un monde caché dans cette trace de lumière », explique son auteur.  La notion de clivage -perception certes personnelle du rédacteur de ces lignes- paraît constituer le « la » à même de décrypter les trois œuvres. La preuve ? « Pas de solistes », précise avant l'ouverture l'un des chorégraphes s'adressant à mon voisin, critique spécialisé venu de Hambourg.

Opus 50, chorégraphie de ean-Christophe Maillot.. Photo Marie-Laure BrianeOpus 50, chorégraphie de Jean-Christophe Maillot.. Photo Marie-Laure Briane.

Sur une musique originale de Marc Monnet « Epaule cousue, bouche ouverte, cœur fendu » spécialement conçue pour ses « recherches expérimentales », Jean-Christophe Maillot invite à prendre part à un dialogue souvent rugueux entre musique et danse. Dialogue ponctué de crescendos de notes qui s'égrènent dans la violence d'un univers semblant échapper à l'humain. Jusqu'à loger le rythme de la scène dans l'audition des souffles haletants de danseurs. Seul moment, peut-être, où; « entendre et voir » parviennent à se confondre. Dans ce clivage primordial, Dieu dit et l'homme fait : « dansez ! ». Sur ce qui confine à un ordre prononcé par l'un des artistes mimant un joueur de violon, les danseurs s'assemblent et se déchirent. Par trios ou par duos, peu importe puisque tout est césure dans cette scénographie de Philippe Favier: la femme sépare deux hommes, le rouge et noir s'opposent au noir et blanc dans les couleurs des costumes, d'impressionnantes pointes élèvent les corps féminins qui retombent sans crier gare. Haut et bas, bas et haut comme les mesures d'une  partition qui « structure et déstructure à la fois » dans le but de « créer un univers autrement », suggère le compositeur. Dans le « magma diffus » du dernier mouvement, malgré les appels solennels du grand ordonnateur à « s'envoler ! » et au « plaisir ! », son ultime injonction sonne comme le glas : « mourir ». Les artistes endossent avec gravité une combinaison d'un blanc immaculé venue du ciel.

Opus 50, chorégraphie de ean-Christophe Maillot.. Photo Marie-Laure BrianeOpus 50, chorégraphie de ean-Christophe Maillot.. Photo Marie-Laure Briane.

In-Exact du chorégraphe suédois Johan Inger aurait tout aussi bien pu s'intituler In-Out. Là encore, le thème de la séparation domine : tout se joue autour, en dedans et au-dehors d'un cercle de lumière. Cadre imperceptible progressivement investi par des danseurs qui y pénètrent au son d'une musique atonale aux incantations électroacoustiques (Jean-Louis Huhta et Bracken) : entêtant balancement psalmodique où; corps et membres s'articulent et se désarticulent dans une exubérante frénésie rythmique. Au cours du second mouvement, plus lent, un homme recherche le « un » fusionnel avec « l'autre » : une femme, un homme puis une femme. Ce couple évolue bouches collées, garant érotisé de son énergie, sinon de sa survie. Johan Inger précise : « ressentir une certaine sécurité en recherchant une liberté purement individuelle ». S'entame alors une compétition entre interprètes masculins, proche d'une « Street danse » où; les corps se jaugent et les regards se toisent. Au final, le cercle reprend le pouvoir : son ombre menaçante rétrécit l'espace scénique, forçant en quelque sorte les artistes à l'abandonner tout aussi graduellement qu'ils l'avaient pourvu.

In-Exact,  chorégraphie de  Johan Inger. Photo Marie-Laure Briane.

Adieu au corps de ballet, vive le corps DU BALLET ! Le chorégraphe italien Emio Greco et son complice hollandais Pieter C. Scholten concluent cette soirée par l'impressionnante mobilisation d'une trentaine de danseurs et danseuses, solidement agrégés comme une armada évolutive. « Un corps crie et la masse répond » selon les deux chorégraphes qui dirigent cette nuée humaine au son de sauvages onomatopées (Sébastien Gaxie et Pieter C. Scholten). Pas d'identité personnelle susceptible, encore une fois, d'individualiser ou de dissocier: un hiatus a pourtant bien lieu entre des corps n'en formant plus qu'un et l'extérieur. Les artistes se masquent — respect du persona latin au temps du théâtre romain — et portent un collant aux couleurs d'une chair momifiée, factice à l'image de ces mannequins dénudés qui encombrent les réserves des grands magasins de mode parisiens. Energiques jeux de bras, corps remués à outrance sur une voix off : celle d'une lecture engagée du Manifeste du futurisme, rédigé au début du xxe siècle par Filippo Tomaso Marinetti. Une provocation en vue d'éradiquer les bases vieillottes de la culture italienne, appelées à être remplacées par la violence, le mouvement et la vitesse. Message plus politique, prestation plus physique.

Le corps DU BALLET, création d'Emio Greco et de Pieter C. Scholten. Photo Marie-Laure BrianeLe corps DU BALLET, création d'Emio Greco et de Pieter C. Scholten.
Photo Marie-Laure Briane.

Il est pourtant une unité qui va tellement de soi qu'on oublierait presque de la mentionner. Elle mérite d'être soulignée : l'excellence technique des danseurs, leur harmonie d'ensemble rarement prise en défaut, leur implication tendue dans l'événement créatif. Une  « expérience éprouvante », expliquait l'un d'entre eux à l'issue de la performance. Une expérience tout court pour le public enthousiaste.

Nice, le 22 avril 2011
Jean-Luc Vannier


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