Encore un OVNI (ou OSNI : objet sonore non identifié) de l'année 1970, ou presque. Wikipedia (anglophone, pas de page en français !) confirme cette date, l'original français, avec son rabat et l'introduction de Maurice Fleuret, serait paru chez Philips visiblement en janvier, alors que l'original anglais date lui de la fin d'année précédente chez Island.
Gardons cette date symbolique, charnière entre deux décennies, avec au moins trois albums mutants et singuliers, nés de la rencontre entre la musique savante et la musique populaire. « King Kong » avec Franck Zappa et Jean Luc Ponty [voir notre chronique], « Atom Hearth Mother » avec Ron Geesin et Pink Floyd [voir l'analyse de E.Thiry] et enfin, ou d'abord, « Ceremony » avec Pierre Henry et Spooky Tooth.
Sur le rabat en français, en regard avec les photos des six musiciens, Maurice Fleuret, compositeur et critique musical très actif alors dans la promotion démocratique de la musique contemporaine — il sera plus tard à l'origine, en 1981, de la Fête de la Musique — raconte et commente :
Un jour, Pierre HENRY [sic] entend le groupe anglais des Spooky Tooth. Coup de foudre. Coup de musique. Les guitares et l'orgue électriques, la batterie et les deux voix lui ouvrent le chemin d'une collaboration nouvelle avec la musique vivante. Il leur suggère une improvisation concertée sur le texte anglais de la liturgie catholique. Il se jette à son tour sur ses modulateurs, ses filtres et ses phonogènes pour commenter, contrepointer, approfondir et sublimer ce matériau de base de toutes les ressources de son immense palette sonore artificielle. D'où le chant naturel et profond, la grande incantation magique de « Ceremony ».
Car c'est bien le miracle de ce produit de laboratoire, strictement destiné aux haut-parleurs, que de jaillir du plus intime de l'âme collective, comme une danse de possession mystique. Pierre Henry ne rajoute pas, ne greffe pas ses objets sonores sur la chair vive de la musique directe. Il réussit une véritable osmose, au point d'être lui même Spooky Tooth parmi les Spooky Tooth.
Ensuite viennent le titre puis le descriptif des faces :
« CEREMONY » Messe environnement
Face 1. Have Mercy – Jubilation – Confession (Pierre Henry – G. Wright)
Face 2. Prayer – Offering – Hosanna (Pierre Henry – G. Wright)
Réalisation sonore : Pierre Henry
Mais en dehors des crédits photos et impressions, en dehors de l'organiste et chanteur américain Gary Wright aux compositions, aucune mention concernant les autres musiciens dont voici la liste :
Mike Harrison, au chant et aux claviers, Luther Grosvenor à la guitare et au chant, Andy Leigh à la basse et au chant et Mike Kellie à la batterie.
S'il s'agit donc bien, à décrypter le texte de l'édition française, d'un disque de musique savante avant tout, plus qu'un disque de rock progressif, il n'en reste pas moins que c'est une expérience étonnante et fascinante, tant l'osmose annoncée par Maurice Fleuret est bien réelle et réussie.
Loin de ses recherches concrètes, parfois « abstraites », Pierre Henry n'a pas refait non plus la « Messe pour le temps présent » de 1967, feu d'artifice électronique sur les jerks endiablés de Michel Colombier. Ni retrouvé d'ailleurs le même succès commercial.
Ici la musique est sombre et inquiétante, à l'image de l'illustration, surréaliste, de la pochette, non signée ni signalée. Les instruments et les voix, superbement joués et arrangés, sont mis en perspective proche le plus souvent, ou parfois lointaine, par des appels, des échos (Have Mercy), des ruptures, des respirations, des halètements (Jubilation), des résonances graves (Confession, devenu Credo sur le cédé), des sons de corde pincée et des chuintements (Prayer), des scintillements (Offering) et autres percussions concrètes ou sirènes finales (Hosanna).
Quant à la dimension religieuse, dans le livre qu'il lui a consacré chez Fayard en 2003, Michel Chion rapporte que Pierre Henry « met, selon ses propres termes, du « sacré dans sa musique »... comme du sel dans un plat. La cuisine est chose sérieuse, et un ingrédient quelque chose de respectable qui ne se mélange pas à la légère avec n'importe quoi. Pierre Henry est-il ou non croyant ? C'est une affaire qui ne concerne que lui. Ce qui compte est le sens du sacré et du cosmique, du spirituel et de l'organique qui se révèle dans sa musique. »
Malgré le peu de succès commercial et critique, en France du moins, les rééditions en cédé, avec un ordre différent cependant, se trouvent encore. À réécouter et redécouvrir donc.
Pierre Heznry & Spooky Tooth, Prayer.Alain Lambert
2 mai 2013
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Dimanche 24 Mars, 2024