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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte. III. Le temps de Bach.

L'œuvre pour orgue de Johann Sebastian Bach

Johann Sebastian Bach

Comment pourrait-on ne pas commencer par les œuvres que Bach a destinées à l'orgue ? C'est par excellence l'instrument auquel on l'identifie ; c'est à ses formidables talents d'organiste virtuose, puis à son immense réputation d'expert en facture d'orgue, beaucoup plus qu'à son génie de compositeur, qu'il dut sa célébrité auprès de ses contemporains; et s'il n'exerça le métier d'organiste que pendant ses quinze premières années d'activité, successivement à Arnstadt, à Mühlhausen et à Weimar, il demeura très attaché jusqu'à la fin à cet instrument. Plus que tout autre en effet, l'orgue lui offrait, sans autre concours que celui des préposés à la soufflerie, toutes les ressources polyphoniques nécessaires à l'expression de son fabuleux génie du contrepoint. De plus, le croyant fervent qu'il était ne pouvait évidemment, dans son rôle de fonctionnaire du culte, trouver instrument plus approprié pour livrer les méditations et « prédications en musique » qui lui tenaient tant à cœur, tout spécialement à travers le choral luthérien qui occupe très naturellement une place centrale dans sa production.

Fait significatif : « Ses premières compositions furent des œuvres pour le roi des instruments, et la dernière, que le maître presque aveugle dicta à son gendre, Altnikol, était un choral d'orgue. »7  Dans l'intervalle, c'est un corpus d'environ 240 œuvres pour orgue qui verra le jour, dont une part majeure lors de son séjour à Weimar. En réalité, le décompte n'en sera sans doute jamais établi de façon précise : hormis les trois recueils gravés du vivant du compositeur (Clavierübung III, Chorals Schübler, Variations canoniques), il s'agissait en général d'œuvres que Bach écrivait pour son propre usage ou pour la formation de ses élèves, et tout cela n'a survécu que grâce à ses fils, disciples et élèves qui se sont employés avec plus ou moins de bonheur à conserver et à exploiter des autographes ou des copies, voire des copies de copies. D'où un feuilleton musicologique aux incessants rebondissements, avec son lot de déclassements pour non authenticité (démontrée ou supposée) de certaines œuvres, mais aussi d'heureuses surprises en cas de découvertes tardives, comme celle du recueil Neumeister exhumé aux Etats-Unis en 1984.

Deux grands volets dans cette abondante production pour orgue : d'abord le vaste corpus des Chorals, puis le cortège des grands Préludes, Fantaisies, Toccatas et Fugues, toutes œuvres que Bach destinait généralement au culte. Et, en marge de cette production, deux séries de pièces résolument profanes : les Sonates en trio et les Concertos pour orgue.

Dans tout cela, on ne trouvera pas souvent d'œuvres visant la séduction facile de l'auditeur, et c'est ce qui peut rendre ce massif aussi intimidant qu'impressionnant. Mais la récompense est au rendez-vous, car « Bach a pour l'orgue la plus belle écriture du monde. Quel que soit le nombre de voix — et cela va de la monodie de la Pièce d'orgue en sol majeur BWV 572 aux six voix du Choral « Aus tiefer Not » BWV 686 —, l'écriture fouette l'inertie de l'orgue, fait dialoguer les différents buffets, se concentre en une méditation sobre et dense, ou au contraire tisonne de joyeuses flambées sonores. »8 Comme l'écrit par ailleurs Gilles Cantagrel, J. S. Bach « montre un amour physique, viscéral de son instrument », un instrument qu'il « maîtrise en un corps à corps charnel et solitaire. »9  Et il n'est pas surprenant que le musicien se soit livré tout entier dans ses œuvres pour orgue : « Tôt apprivoisé, cet instrument polyphonique par excellence, il l'a fait sien, partie intégrante de lui-même et, comme à l'écrivain sa plume, expression naturelle de la plus spontanée de ses pensées. »10

Les chorals - Œuvres diverses pour le culte - Œuvres pofanes

Notes

7. Geiringer Karl, Bach et sa famille : sept générations de génies créateurs (traduction par Marguerite Buchet et Jacques Boitel). Buchet Chastel, Paris 1955, p. 273.

8. Guillard Georges, dans « Le Monde de la musique » (239), janvier 2000.

9. Cantagrel Gilles (dir.) Guide de la Musique d'orgue. « Les indispensables de la musique », Fayard, Paris 2003, p. 48.

10. Cantagrel Gilles op. cit., p. 48.


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