Excentrique, caractériel, vaniteux, mentalement fragile (pour ne pas dire plus…) : les qualificatifs ne manquent pas pour caractériser cet autre virtuose du violon formé à Florence qui, avec le recul, apparaît bien comme l'une des figures les plus originales parmi les musiciens italiens du temps de Bach.
Après avoir étudié le violon avec son oncle Antonio, lui-même violoniste et compositeur, Veracini ne tarda pas à se faire une enviable réputation de virtuose puis de compositeur, point de départ d'une carrière assez cosmopolite marquée notamment par de très longs séjours à l'étranger, d'abord à la cour de Dresde entre 1716 et 1723, puis, entre 1733 et 1745, à Londres où il composa surtout des opéras et joua dans la compagnie rivale de celle de Haendel.
À côté de toute une série d'œuvres de musique vocale, aussi bien sacrée que profane, Veracini a écrit un nombre limité de pièces instrumentales, essentiellement des sonates, dont certaines, par leur démesure et cette extravagance qui dérangeait tant les auditeurs de l'époque, se révèlent particulièrement intéressantes.
Parmi les sonates restées manuscrites ou éditées sans numéro d'opus, outre les 12 Sonate Dissertazioni sopra l'Opera Quinta de Corellidans lesquelles, vingt ans après Geminiani, Veracini prolonge l'hommage au maitre vénéré, on citera un peu plus que pour mémoire les 12 sonates pour violon ou flûte à bec et basse continue que notre Florentin offrit au prince électeur de Saxe en 1716 afin de se faire engager à la cour de Dresde. Malgré leurs défauts de jeunesse, ces sonates, qui s'inscrivent scrupuleusement dans le moule corellien de la sonata da chiesa, parviennent à retenir l'intérêt, surtout par leurs largos, volontiers sombres, dont l'écriture originale offre quelques beaux moments d'émotion.
Francesco Maria Veracini, Sonate no 6 en la mineur (1716), par Federico Guglielmo et L'Arte dell'Arco.Mais l'essentiel de Veracini se situe dans ses deux opus publiés respectivement en 1720 et en 1744 et comprenant chacun douze sonates pour violon et basse continue. L'opus 1, composé pendant le séjour à Dresde, alors que le musicien pouvait profiter à plein du confort de cette situation pour mûrir son langage, le montre cette fois maître de son art, annonçant même à plus d'un titre l'emblématique opus 2. Car c'est bien dans celui-ci, avec ses douze sonate accademiche, que Veracini donne la pleine mesure de sa personnalité. Il faudrait même parler de démesure tant ces sonates sont de vastes proportions pour l'époque (jusqu'à vingt minutes de musique pour certaines), et tant elles vont jusqu'au point extrème des déploiements de technique violonistique. Tout cela sans beaucoup de concessions au charme mélodique ou aux autres séductions habituelles chez ses contemporains italiens, mais au contraire avec des harmonies modernes et audacieuses, des profils rythmiques volontiers dérangeants, une ornementation passablement torturée et nombre de raffinements alambiqués. Mieux que toute autre de ses partitions, ces sonates sont le reflet d'une « personnalité fragile et peut-être même mentalement dissociée » dont l'« art est un art de paroxysme, donc de déséquilibre. »1
Francesco Maria Veracini, Sonate opus 1 no 1 en sol mineur (mouvements III à V), Fabio Biondi et Europa Galante.Comme d'autres Italiens (dont Vivaldi et Albinoni), Veracini écrivit pour l'orchestre de Dresde qui à l'époque bénéficiait d'un immense prestige en Europe. Ces six Ouvertures (ou Suites) furent données en 1716 à Venise à l'occasion de concerts solennels organisés en l'honneur du prince-électeur de Saxe. Elles relèvent d'un art de cour dont le jeune et ambitieux musicien s'attache à respecter les codes, mais force est de constater qu'elles sont habilement troussées. De plus, on y relève certains traits ou tournures qui en font « une musique bien plus extravagante et imprévisible que celle d'un Vivaldi. Il est sûr que le prince-électeur dressa l'oreille plus d'une fois » lorsqu'il les entendit.2
Francesco Maria Veracini, Ouverture de la suite no 6 en sol mineur, par L'Arte dell'Arco / Federico Guglielmo.Biographie de Francesco Maria Veracini dans musicologie.org
1. Roger-Claude Tavers, dans « Diapason » (410), décembre 1994.
2. Marc Vignal dans « Le Monde de la musique » (186), mars 1995.
Michel Rusquet
2013
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Samedi 6 Avril, 2024