Telemann, Ouvertures pittoresques. Arte dei Suonatori (Martin Gester). BIS Records 2012 (BIS 1979), distr. Codaex. Enregistré en octobre 2012 en l'église Michał Archanioł de Wykroty en Pologne.
Trois ouvertures et deux concertos polonais, enregistrés en Pologne en octobre dernier nous sont proposés par Martin Gester dans son dernier enregistrement. Point de Parlement de Musique, mais un ensemble polonais, Arte dei Suonatori, qui s'est récemment illustré dans Haendel et Vivaldi. Martin Gester a conquis depuis plus de vingt ans sa place dans le monde de la musique ancienne avec de nombreux enregistrements et concerts : les récompenses ne se comptent plus.
L'œuvre du prolifique et néanmoins génial fondateur du Collegium Musicum de Leipzig reste largement à découvrir. Et ce disque devrait y contribuer.
Le baroque assagi, parfaitement propre, fini, joué par des interprètes chevronnés ne manque pas de séduction. L'ensemble sonne très bien, servi par une prise de son, naturelle, respectueuse des équilibres et de la profondeur.
Cependant, on demeure en-deçà de ces « coups de pinceau aussi puissants que lui [Telemann] », et l'ensemble virtuose semble se satisfaire d'une expression où les contrastes sont limités, élégants, où les attaques rappellent celles d'ensembles écoutés il y a fort longtemps, dont la dynamique paraît surannée. Vraisemblablement, le parti de raffinement pris par Martin Gester, s'il peut s'admettre dans les ouvertures, ne résiste pas à l'audition des concertos polonais. Ces derniers, inspirés par les musiques populaires écoutées lors de ses voyages en Pologne, au tout début du xviiie siècle, sont devenus des pièces aristocratiques, de salon, alors qu'ils tirent leur originalité de leurs sources vives.
L'écriture de l'ouverture en si bémol majeur, qui peint les Nations, comme tant de ses contemporains, prédécesseurs et successeurs, comporte plus d'un trait humoristique. Ainsi l'ostinato simpliste et pesant des « Moscovites », le grave qui ouvre les « Portugais » appellent-ils une expression quelque peu outrée, parodique. Le chef n'a pas fait ce choix : l'élégance, la distinction seraient-elles exclusives du sourire, de l'humour ?
L'adjonction de percussions (en dehors des castagnettes portugaises) n'ajoute même pas la note pittoresque que l'on serait en droit d'attendre : le choix des timbres et leur jeu confortent cette impression de sagesse, là où on attend la pompe ou la joie débridée, l'allégresse. Si le loure de la Suite tragi-comique et la marche suivante invitent au mouvement, les danses sont ce que la Valse de Ravel est à une valse viennoise.
Seule l'ouverture, jointes d'une suite tragi-comique (sic.) sur laquelle s'achève le disque échappe quelque peu à ce sentiment. L'écriture en est contrastée, descriptive à souhait, et la lecture qu'en donnent les interprètes est une réussite manifeste.
Une plaquette riche, quadrilingue, comme l'éditeur en est coutumier, accompagne cet enregistrement fort agréable, raffiné, d'une grande distinction, mais quelque peu trop sage, aseptisé par le parti pris de la direction, dont on a connu d'autres réussites.
Eusebius
6 juin 2013
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