Embarquement immédiat avec « Air Chauve-souris » à l'Opéra de Nice qui donnait, vendredi 17 janvier, la première de cette opérette en trois actes de Johann Strauss II créée au Theater an der Wien de Vienne le 5 avril 1874, et ce, dans une nouvelle coproduction avec le Salzburger Landestheater. Dans cette audacieuse adaptation de Robin Belfond qui ne déroge pas à la tradition d'intégrer des éléments d'actualité traités de façon satirique, le Prince Orlofsky devient l'Emir du Qatar Zirabl Orl Tofonist Ben Ofsky — une racine ashkénaze ? —, la fête du second acte se métamorphose en virée aérienne, masquée et champagnisée à bord de l'Airbus 380 privé de l'émir tandis que Frosh, la gardienne de prison, s'incarne à l'acte III dans Mado la Niçoise après le crash du jumbo en goguette sur la cité azuréenne. « Save water, drink champaign » proclame une voix off d'aéroport. Pas celui de Nice, fermé en raison des fortes intempéries.
La Chauve-souris.Opéra-de-Nice. Photographie © D. Jaussein.
Si l'intrigue est globalement respectée, une histoire d'adultère, de chassé-croisé amoureux et de réconciliation alcoolisée, empreinte d'un soupçon de philosophie humaniste, le livret de Karl Haffner et Richard Genée d'après le vaudeville de Meilhac et Halévy Le Réveillon, subit, surtout au début du troisième acte, une interminable et outrancière « nissardisation » des dialogues. Laquelle rompt la dynamique de cette « opérette viennoise, fille de l'opéra-bouffe français ». Au risque par surcroît de dénaturer la mise en scène originale et fantaisiste signée Andreas Gergen et la réduire à la dimension d'un café-théâtre de province. Et ce, en dépit des efforts investis dans les décors par Court Watson et dans les costumes par Regina Schill. Point de Gemütlichkeit (bonhommie, douceur) ni de Schwärmerei (fantasme) à la viennoise sur le plateau de la rue Saint-François de Paule.
La Chauve-souris. Opéra de Nice. Photographie © D. Jaussein.
Nonobstant l'indéniable déploiement, par la direction musicale, d'une énergie littéralement électrisante, le courant n'est pas passé avec l'Orchestre philharmonique de Nice qui peine à répondre aux impulsions soutenues du maestro Bruno Ferrandis. A constater la froideur lors de son entrée dans la fosse ou au moment des rappels à l'issue de la représentation, la phalange niçoise n'a guère manifesté d'enthousiasme — une litote — à travailler avec ce chef pourtant diplômé de la Guildhall School de Londres et de la Julliard School de New York. La célèbre ouverture en pâtit. La musique très agréable et le recueil d'airs, de duos et d'une magnifique polyphonie à l'acte II de Johann Strauss, mêlant poésie et ardeur, ne méritaient pas ce qui ressemble à une mésentente.
La distribution aurait pu sauver cette Chauve-souris de ce désagrément. Ce ne fut malheureusement pas le cas. Les voix manquent d'envergure lyrique et de puissance dans l'émission. Au point de devenir parfois inaudibles. Dans le rôle d'Eisenstein, Fabrice Dalis souffre d'une voix faiblarde et souvent rentrée. Plus comédien que chanteur, le ténor avale ses mots dans son texte parlé. Dans celui de l'amant Alfred, le ténor allemand Christian Baumgärtel s'en sort mieux en termes de diction et justesse de chant, notamment dans son air d'amoureux transi de l'acte I. Tout comme le baryton français Boris Grappe dans le personnage du Docteur Falke dont le timbre agréable sait émouvoir.
La Chauve-souris. Opéra de Nice. Noëlle Perna (Frosch) entourée de danseurs. Photographie © D. Jaussein.
Entendue dans un brillant récital « Jules Massenet et les autres » à l'opéra de Monte-Carlo en décembre 2012, la soprano Sophie Marin-Degor semble plus en difficulté dans le rôle de Rosalinde, écartant systématiquement les suraigus finaux, à l'exception de celui de son premier air à l'acte I. Son « Czarda » à l'hongroise de l'acte II ne manque toutefois pas de charme. Les notes aiguës de sa partenaire Melody Louledjian dans le personnage de la domestique Adèle sont, notamment dans ses vocalises initiales de la première scène, pincées et désagréables. Plus harmonieuse se révèle la prestation vocale de la mezzo-soprano Karine Ohanyan campant un Prince Orlofsky dont la sagesse et le registre protecteur ne sont pas sans rappeler son rôle maternel de Térésa dans une inoubliable Sonnambula avec Annick Massis en février 2013 à l'Opéra de Monte-Carlo. Vocalement et physiquement, les chœurs de l'Opéra de Nice sous la direction de Giulio Magnanini, ne déméritent pas.
La Chauve-souris. Opéra de Nice. Photographie © D. Jaussein.
Pour se faire une petite idée des possibilités à la fois lyriques et désopilantes de « La chauve-souris », le mélomane se reportera utilement à la version donnée au Royal Opera House de Covent Garden pour la Saint-Sylvestre de 1983 et mise en ligne en décembre dernier sur YouTube : dirigés par Placido Domingo avec Kiri Te Kanawa dans le rôle de Rosalinde et d'Herman Prey dans celui de Eisenstein, les artistes s'y amusent — et nous régalent — en intégrant, de Verdi à Wagner en passant par Tchaïkovski et Donizetti, tous les grands airs lyriques afin d'illustrer certaines des situations de l'œuvre. Et la présence de Charles Aznavour en crooner n'en est pas la moindre des surprises !
Nice, le 18 janvier 2014
Jean-Luc Vannier
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