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Dijon, Auditorium, 11 janvier 2015, par Eusebius ——

Arianne à Naxos, de Haydn, via Dijon

Marianne Beate-Kielland. Photographie © Espens Mortensen.

Deux jours après Bruges, Jos van Immerseel et son orchestre Anima Æterna nous offrent un remarquable concert. Moins par la programmation de la symphonie no104 « Londres » de Haydn et de la 2e de Beethoven, également en re majeur, que par la rare Ariane à Naxos, écrite en 1789 par Haydn, qui en constitue le centre. Soirée mémorable à plus d'un titre puisqu'intervenant après l'assassinat de l'équipe de Charlie-Hebdo  et de clients d'un magasin casher, qui allait bouleverser la France et le monde libre.

Ainsi, après une (pleine) minute d'un silence absolu, observée par tous avec recueillement, l'introduction de la « Londres », grave et grandiose, à l'unisson prend un sens symbolique, quasi métaphysique.  Le chef, bien que souffrant, et son premier violon solo insufflent une dynamique singulière à l'ouvrage. Les sonorités sont séduisantes, même si les bois paraissent un peu ternes, trop homogènes et quelque peu en retrait. Le modelé de l'Andante est exemplaire et le menuet dansant à souhait. Le Finale, d'une fidélité littérale, semble dépourvu de ce spiritoso, marque du génie de Haydn. L'esprit rustique installé par les bourdons, la carrure franche et naïve paraissent estompés au profit d'une lecture symphonique où la caractérisation des timbres est diluée dans un ensemble fort harmonieux, mais où l'on ne sourit à aucun moment. Dommage.

Ariane à Naxos a fasciné de très nombreux compositeurs, de Monteverdi à Orff en passant, évidemment, par Richard Strauss. Elle pleure son abandon par Thésée dont elle implore le retour, puis se laisse gagner par le désespoir pour, enfin, maudire l'infidèle. La musique de Haydn illustre ces situations avec une vérité psychologique et dramatique une densité stupéfiantes. Écrite pour voix et clavecin ou piano-forte, cette cantate d'une force inouïe (Hob. XXVL b2) a été orchestrée près d'un siècle après par un ami de Brahms, Ernst Frank, dans un style qui pourrait laisser penser que Haydn en est l'auteur. C'est cette version rare1 que nous livre Marianne Beate-Kielland, superbe mezzo norvégienne2.  Son incarnation d'Ariane appelle tous les suffrages : émission chaude, riche, colorée, voix longue et puissante, servie par un sens dramatique extraordinaire. Rien n'est surjoué, la palette expressive la plus large, de la plainte fraîche et émouvante à la révolte finale, toutes les facettes de l'amour sont déclinées avec un égal bonheur. Le sens du détail au service d'un texte d'une grande intelligibilité est constant. Nous sommes durant une vingtaine de minutes proprement suspendus à cette voix fascinante, qui nous touche d'autant plus qu'elle ne recourt à aucun effet.

Le passage le plus célèbre, le Largo « Dove sei mio bel tesoro », dont l'incise suggère celle du « Dove sono » de la Comtesse également abandonnée (des Nozze di Figaro),  est aussi chargé d'émotion. Le récitatif instable, animé, débouche sur le « Misera abbandonata », révolte finale (presto). C'est un emportement d'une force expressive exceptionnelle. L'orchestre, galvanisé par la soliste, se montre au mieux de sa forme, et les bois, maintenant, jouent pleinement leur jeu, particulièrement les clarinettes. Un chef d'œuvre qui mérite, ô combien, d'être connu du plus grand nombre. Pyrotechnie mise à part même si le chant requiert des moyens superlatifs, c'est l'équivalent des plus grands airs de concert de Mozart.

L'impression est si forte que la 2e symphonie de Beethoven3, après l'entracte, malgré une belle lecture, particulièrement celle du Larghetto et du Scherzo, paraît quelque peu scolaire. Le Finale, qui n'en finit pas, est pourtant conduit avec efficacité. Rien n'y fait : c'est Ariane qui restera le moment fort, exceptionnel, de ce concert.

Eusebius
15 janvier 2015
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1. Encore que chantée, il y a un an par Magdalena Kozena à Bruxelles ; Emma Kirkby ainsi que Edna Podles l'ont enregistrée dans sa version originale, avec pianoforte. L'édition de la version orchestrée a été réalisée par Breitkopf & Härtel.

2. Étrangement, cette remarquable mezzo, dont la carrière — un sans faute — est solidement assise, demeure encore peu connue en France où elle est rarement programmée.

3. De quatre ans postérieure, écrite et créée en 1803.


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