Par Jean-Marc Warszawski ——
Petit Élisse et Giner Bruno, Entartete Musik : musiques interdites sous le IIIe Reich. « Horizons », Bleu nuit éditeur, Paris 2015 [176 p. ; ISBN 978-2-35884-047-7 ; 20 €]
En mai et juin 1938, en Allemagne, à Düsseldof, une exposition consacrée à la musique dégénérée (Entartete Musik), est organisée par Hans Serverus Ziegler (1893-1978), un haut dignitaire du régime hitlérien, proche de l'idéologue nazi Alfred Rosenberg. Cette exposition avait pour but très symbolique de stigmatiser, après l'avoir fait pour les autres arts, ce qui en musique portait atteinte à la pureté de la supposée « race aryenne », et peut-être pour donner un semblant de cohérence à l'incroyable bricolage délirant de la fuite en avant des théories raciales, socle idéologique du IIIe Reich.
C'est qu'on s'attaque aux œuvres, aux genres, aux personnes, aux Juifs, aux opposants, au jazz, à la musique atonale et moderne, tout en promouvant la musique classique et romantique allemande, mais en condamnant celle de Mendelssohn, l'un de ses plus grands représentants aux antécédents juifs, en condamnant aussi celle d'Anton Webern, pourtant « aryen » partisan du nazisme, en mettant en avant celle du républicain Beethoven, etc.
Élise Petit et Bruno Giner décortiquent dans ce livre la genèse — dès la fin de la Première Guerre mondiale en passant par une République de Weimar un peu idyllique — et l'application de la politique hitlérienne de la musique, entre montages histériques idéologiques, goûts personnels des dignitaires du régime, et rivalités de pouvoir. Autant ce qui est combattu (Juifs et opposants entre autres) que la mise en œuvre de pratiques et d'esthétiques (populaires et savantes) « aryennes », dans la théologie du sol et du sang (portée soit dit en passant par des philosophes comme Martin Heidegger).
Les auteurs s'attardent sur quelques portraits de compositeurs ou chefs d'orchestre engagés pour une raison ou une autre (adhésion idéologique ou arrivisme) dans le nazisme, comme Carl Orff, Hans Pfitzner, Werner Egk, et autres. Le portrait très à charge, de Wilhelm Furtwängler, ne tenant pas compte d'une grande partie de la documentation est assez étonnant au sein d'un ouvrage plutôt soigné de ce point de vue. L'énigme Furwängler serait plutôt de savoir pourquoi on l'a avec autant d'assiduité chargé, alors que dans les conditions qui étaient les siennes il s'est comporté avec dignité, n'a jamais adhéré au parti nazi, n'a jamais épousé les thèses racistes, a défendu des compositeurs interdits, des musiciens juifs qu'il a également aidés. Jusqu'à sa fuite en 1945, il n'avait aucune raison de quitter son pays. Les nouvelles autorités ne souhaitaient peut-être pas que de fortes personnalités accèdent à des responsabilités, leur préférant des individus plus maléables, ayant à faire oublier leur passé, ou des arrivistes serviles, comme Karajan.
L'ouvrage est complété par une bonne vingtaine de biographies de musiciens ayant, dans leur personne et leurs œuvres, été touchés par une idéologie ridicule et une politique invraisemblable aux conséquences tragiques.
Un petit livre, dont la clarté, la qualité factuelle et la vue d'ensemble du sujet en font une bonne référence.
26 octobre 2015
Par Jean-Marc Warszawski
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