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20 février 2015, par Strapontin au Paradis —

Mozart sur instruments d'époque par Kristian Bezuidenhout et le quatuor Cambini-Paris

Le quatuor Cambini-Paris (de g. à d. : Julien Chauvin, Atsushi Sakaï, Pierre-Éric Nimylowycz, Karine Crocquenoy), et Kristian Bezuidenhout, en répétiion au couvent des Récollets de Paris, 18 février 2015. Photographie © Pianissimes.

Au numéro 148 de la rue du Faubourg Saint-Martin, juste à côté de la Gare de l'Est, se dresse l'ancien couvent des Récollets, une bâtisse des XVIIe - XVIIIe siècles, qui abrita longtemps un hôpital militaire, aujourd'hui réaménagé en Centre international d'accueil et d'échanges pour chercheurs et artistes. Le Centre regroupe trois entités : les bureaux de l'ordre des architectes d'Île-de-France, les bureaux de l'association 4D (Dossiers et Débats pour le Développement Durable) et une résidence pour les chercheurs et les artistes, avec des espaces de location pour des manifestations culturelles. C'est dans l'un de ces espaces, une ancienne chapelle dont la charpente rappelle le fond d'un bateau renversé, aux murs décrépits, que sont donnés certains concerts de l'Association Pianissimes, dont le but est de valoriser de jeunes talents.

Le concert du 18 février, consacré à Mozart, nous a permis d'entendre trois œuvres, toutes de la période viennoise, après que le compositeur eut réussi à se libérer du double joug de son père et du prince-archevêque Colloredo.

Le pianoforte Franz Baumbach date d'environ 1790. Photographie © DR.

Pour commencer la soirée, Kristian Bezuidenhout interprète la célèbre sonate en ut mineur (qui forme un ensemble avec la fantaisie K. 475), sur un pianoforte viennois de la fin du XVIIIe siècle, un choix propice pour imaginer la sonorité que Mozart aurait entendu couramment. Il s'agit de l'un des rares instruments d'époque avec un ambitus de cinq octaves, disponibles à Paris. De chaque côté du pupitre, deux bougies allumées créent une atmosphère intime. Par sa petite taille et sa forme, l'instrument ressemble à un clavecin, et sa sonorité, perlée et précieuse, sonne aux premières notes plus délicatement que le clavecin. Il possède deux genouillères qui remplacent les pédales forte et una corda, qui modifient prodigieusement le son, l'enrichissant d'une très large palette de couleurs.

Avec la « pédale » forte, on obtient une résonance plus caractéristique que le piano moderne, et avec una corda, chaque son devient très feutré, jusqu'à quelque chose d'étouffé. Interpréter sur un tel pianoforte, d'une grande fragilité évidente (même s'il est admirablement entretenu, il a tout de même plus de 200 ans !), doit présenter une difficulté pour un musicien de nos jours qui connaît parfaitement le piano moderne. Le pianiste nous a d'ailleurs souligné que cela exige une profonde concentration et un relâchement musculaire — il a beaucoup insisté sur ce point — et c'est seulement quand il a parfaitement imaginé mentalement les sonorités qu'il veut obtenir que l'instrument répond à ses doigts de manière satisfaisante. Cette difficulté est effectivement transparente dans son jeu : parfois, quelques notes manquent, ou les dynamiques ne semblent pas tout à fait fidèles à l'idée de l'artiste.

Franz Baumbach (v. 1750-1806) était un facteur viennois. Son épouse puis ses fils lui ont succédé. La famille a fabriqué des pianos jusqu'en 1900. Photographie @ DR.

Nos oreilles commencent à s'habituer à la délicatesse du son, quand le Quatuor Cambini-Paris propose la pièce suivante, le quatuor « Les Dissonances ». Les cordes en boyaux et les archets originaux de la fin du XVIIIe siècle offrent, comme le pianoforte, un timbre quelque peu éthéré, parfois un peu cuivré. La proximité avec le public (le premier rang ne se trouve pas à un mètre des musiciens !) permet d'entendre toutes les notes, de façon très aérée, mais la résonance des quatre instruments a plus d'ampleur et de profondeur que le pianoforte seul, on sent que désormais, l'air fait vibrer le son, malgré la sécheresse de la salle. En effet, cette magnifique salle, avec son histoire chargée qui lui donne une « âme », favorise l'opération d'une telle magie.

En troisième et dernier lieu, les cinq musiciens jouent ensemble le Concerto pour clavier en la majeur. Il s'agit d'une transcription réalisée par Mozart lui-même, que nous avons entendue pour la première fois. Kristian Bezuidenhout non seulement assure la partie soliste mais joue dans le tutti, comme la basse continue dans la musique baroque. Nous sommes alors convaincus que la tradition baroque était présente sans discontinuité à l'époque de Mozart et que notre pianiste met en pratique ce que Mozart appliquait certainement en exécutant ses propres œuvres. Pour ce premier concert en commun, les cinq interprètes semblent bien s'entendre pour produire des nuances variées liées aux différents sentiments. Nous avons même été très surpris d'une certaine violence qui dominait par moments dans l'interprétation de l'œuvre, nous avons même éprouvé quelque effroi !

En bis, ils interprètent le mouvement lent du Concerto en fa majeur K. 413, comme pour apaiser les esprits du lieu.

Strapontin au Paradis
20 février 2015
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Le prochain concert des Pianissimes aura lieu le 18 mars à 20 heures au Couvent des Récollets, avec Marc Mauillon (baryton) et Anne Le Bozec (piano).

Les Pianissimes : 204, rue Saint-Martin 75003 Paris, 01 48 87 10 90
www.lespianissimes.com


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