Pierre-Henry Frangne et Hervé Lacombe, Musique et enregistrement. « Æsthetica » Presses universitaires de Rennes, Rennes 2014 [342 p. ; ISBN 978-2-7535-3329-5 ; 22,00 €]
Ce livre rassemble les communications présentées au colloque organisé à l'université Rennes 2 les 14,15 et 16 mars 2013.
La quatrième couverture invite le lecteur par une longue citation — qui s'impose — de Glenn Gould :
L'influence de l'enregistrement sur l'avenir de la musique n'affectera pas simplement l'interprète et l'impresario, mais aussi les compositeurs, les ingénieurs, les techniciens, les critiques et les historiens. Par-dessus tout, l'enregistrement affectera l'auditeur vers lequel finalement toute cette activité est dirigée.
C'est en 1966, à peu près entre les débuts de l'enregistrement sonore et aujourd'hui, quand le grand pianiste décide d'abandonner le concert public pour s'enfermer dans les studios. Il est passionné par les possibilités technologiques quant à l'enregistrement du son, de l'image, par la télévision. Mais il a un projet musical, il est un essentialiste qui désire abolir les intermédiaires mécaniques, ou contrebalancer la défectuosité par nature, entre l'idée musicale et sa réalisation. L'enregistrement en multiple prises, permet d'en approcher. Il pose ainsi, ou met en lumière comme jamais il ne l'avait été fait, des questions sur ce qu'est l'enregistrement de la musique classique. Mais cet essentialisme, à l'image des musiciens qui pensent reconstruire la musique du passé, est un excellent angle d'attaque, mais un aspect particulier des problématiques.
La vingtaine de contributions émane de musicologues, ethnologues, philosophes, musiciens, professionnels des studios, ce qui en fait un livre dense, mais aussi d'une cohérence rare pour ce genre d'ouvrage. Malgré la diversité des points de vue, parfois contradictoires, toutes les interventions abordent les mêmes questions que ce soit dans leur genèse ou dans leurs multiples implications.
Que représente l'enregistrement par rapport à la musique vivante ? Un témoignage, y compris témoignage d'évolutions ou calcification muséographique ? Preuve d'événement sonore ? (mais il faut alors confronter le témoignage à la réalité). Son d'ingénieur ou son de musiciens ? L'enregistrement peut aussi être en soi œuvre musicale, comme dans la musique concrète. Quel est le but du concert, la salle ou le disque ? (Karajan est un bon exemple). Qu'en est-il de l'authenticité ? Que représente d'un point de vue sonore le cédé par rapport au microsillon ?
On découvre qu'un objet quotidien comme un cédé, n'est pas musicalement, et socialement évident. Mais les auteurs abordent d'autres types d'enregistrement, comme la musique de film.
Peu jargonnant, ce livre s'adresse tant au public spécialisé qu'au public simplement curieux.
On peut se demander, entre autres après lecture, si la frénésie qui agite le monde autour de nouvelles salles de concert, chaque fin de civilisation est certes avide de représenter sa grandeur fantasque en monuments démesurés, n'est pas aussi un hommage aux ingénieurs du son et à l'industrie du disque, empire lucratif lui aussi naufragé. Entre autres termes, si non seulement les salles de concerts ne deviennent pas des studios d'enregistrement (les bonnes salles sont celles où les musiciens viennent enregistrer), mais encore elles-mêmes des vinyles ou des cédés transfigurés. Pour qui aime les boucles bouclées.
Jean-Marc Warszawski
11 février 2015
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