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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : Un parcours découverte

IV. Entre Bach et Mozart : Allemagne ; France; Italie ; Bohème ; Autriche ; Angleterre ; Espagne et portugal.

La musique instrumentale de Johann Ludwig Krebs (1713-1780) et de Gottfried August Homilius (1714-1785)

HomiliusGottfried August Homilius (1714-1785).

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On a vu qu'en tant que compositeurs, les fils de Bach ne se sont guère consacrés à l'orgue. Heureusement, quelques autres disciples du cantor de Leipzig se sont intéressés à ce domaine, dont deux au moins — car les spécialistes y ajouteraient sans doute les noms de Johann Peter Kellner (1705-1772) et de Johann Philipp Kirnberger (1721-1783) – méritent d'être évoqués ici :

Johann Ludwig Krebs (1713-1780)

Il fut de ceux qui passèrent par la Thomasschule de Leipzig, et resta pendant neuf ans sous la férule de J.S. Bach qui apprécia et loua les compétences acquises par son élève. Sa carrière fut cependant assez modeste et sa production peu abondante aux standards de l'époque. On y compte une poignée d'œuvres de chambre (sonates en trio et sonates pour clavecin et flûte) aussi charmantes qu'habilement écrites, mais c'est son œuvre pour orgue — la part de loin la plus importante de son catalogue — qui retient principalement l'intérêt. On y voit parfois le musicien glisser avec un certain bonheur vers l'esthétique « galante » de son temps, mais on le sent surtout, en « pur produit de l'atelier Bach », imprégné  — jusqu'à en rester prisonnier — de l'enseignement reçu de son maître. « Et c'est là où le bât blesse. Pour reprendre la plaisante image de Bach, l'écrevisse (Krebs) nageait librement dans le ruisseau (Bach) mais, à la disparition de ce dernier, n'a pas su opérer sa mutation. »1  On peut certes être impressionné par un métier aussi accompli. On pourra même se délecter à l'écoute de ses trios, et certains, en découvrant ses chorals, dont certains semblent échappés tout droit de l'Orgelbüchlein, seront peut-être enchantés et éblouis par les capacités de mimétisme du musicien. En revanche, on risque fort de connaître « l'overdose » à l'écoute de ses grands dyptiques et de certaines autres pièces libres (fugues, préludes, fantaisies), car, à côté de quelques réussites, on a là, notamment dans les préludes et fugues, des développements démesurés qui deviennent vite de redoutables monuments d'ennui. Et plus généralement, comme l'écrit Georges Guillard à propos de ces pièces libres, « il est bien délicat, au milieu de tant de références à l'œuvre de Bach, de faire la part entre une simple réminiscence (consciente ou inconsciente), un discret hommage, la rumination de formules admirées, les bégaiements de la mécanique compositionnelle ou le plagiat caractérisé. »2  Nous voilà donc prévenus, mais cela ne doit pas dissuader le mélomane de faire preuve de curiosité, et encore moins de s'intéresser à deux autres pans — plus originaux — de la production du compositeur : ce sont, d'une part, ses œuvres d'orgue avec instrument obligé (hautbois, flûte ou trompette), qui comprennent des chorals et surtout cinq belles fantaisies, parmi lesquelles un vrai chef-d'œuvre (celle en fa mineur avec hautbois) ; et c'est d'autre part, sous le titre de Klavierübung, un petit recueil de treize chorals que Krebs a visiblement conçus pour l'exercice de la piété domestique puisqu'ils peuvent indifféremment se jouer au clavecin ou à l'orgue. Il nous a laissé là un « petit chef-d'œuvre baroque proche, par l'écriture, des Partitas pour orgue de Bach, mais d'esprit déjà galant, [ce qui donne une œuvre] délicieusement chantante, inventive et émouvante, souvent gaie et virtuose, à l'occasion également empreinte d'un léger chromatisme marquant délicatement l'affliction du croyant. »3

Johann Ludwig Krebs, Fantaisie en fa mineur pour hautbois et orgue par Norbert Kaschel et Felix Friedrich.
Johann Ludwig Krebs, Fugue en si mineur sur B. A. C. H.

 

Gottfried August Homilius (1714-1785)

S'il tira le plus grand profit de l'enseignement reçu à Leipzig, celui-ci fut à l'évidence bien moins gravement « irradié » par l'astre Bach. Il eut d'autre part une carrière beaucoup plus brillante que Krebs, accédant dès 1742 à la prestigieuse tribune de la Frauenkirche à Dresde, une ville où sa position ne cessa de s'affirmer puisqu'il allait bientôt y être nommé directeur musical des trois principales églises de la capitale de la Saxe. Dans ses différentes fonctions, il déploya une activité débordante qui s'est surtout traduite par une production d'œuvres vocales sacrées très abondante et d'un haut niveau artistique. Du peu qu'il a consacré au répertoire instrumental, on retient essentiellement son œuvre pour orgue. Il s'agit notamment de trente-huit préludes de choral, des œuvres aux courbes mélodiques séduisantes où Homilius montre une heureuse prédilection pour l'écriture en trio et où il conjugue charme et rigueur sans rien sacrifier de l'enseignement contrapuntique de Bach. Parmi les joyaux de cette série de pièces, le grandiose Christ lag in Todesbanden (no 4), d'une maîtrise impressionnante avec ses vigoureux fugatos ; mais il faudrait en citer d'autres, jusqu'à ce Schmücke dich, o liebe Seele qu'on a longtemps attribué en toute bonne foi à J.S. Bach. Et — toujours dans le domaine de l'orgue- le musicien réserve encore à l'amateur — curieux quelques découvertes intéressantes avec un trio en sol majeur et, plus encore, ses quatorze chorals avec instrument obligé où il invite hautbois, cor ou hautbois d'amour, voire hautbois et trombone réunis, à ajouter leurs couleurs au chant de l'orgue.

Gottfried August Homilius, Schmücke dich, du liebe Seele, par Pastor de Lasala.
Gottfried August Homilius, Trio en sol majeur par Riyehee Hong.
Gottfried August Homilius, prélude de choral sur Über Jesu meine Zuversicht, pour heutbois, trombone et orgue. Bernhard Forster (Hautbois), Heng-Chih Lin (trombone), Renate Kubisch (violoncelle), Lorenzo Da Rio (orgue). Enregistré le 22 mai 2013.

Notes

1. Guillard Georges, dans Cantagrel Gilles (dir.), « Guide de la musique d'orgue s,  Fayard, Paris 2003, p. 486.

2. —, Ibidem, p. 488.

3. Roubinet Michel, dans « Diapason » (384), juillet- août 1992.

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bouquetin

Lundi 1 Février, 2021 0:53