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Schubert à deux voix et quatre mains : Yeree Suh, Thomas Bauer, Claire Chevallier et Jos van Immerseel

 

Gesellschaft der Schubertianer in Atzenbrugg, aquarelle de Leopold Kupelwieser (1821).

Dijon, Auditorium, 14 novembre 2015, par Eusebius ——

Le compte-rendu du concert d'hier s'achevait par le texte de la première strophe de An die Musik, dont la portée a rarement été plus actuelle. Après l'hommage rendu aux victimes, le programme de ce soir, modifié1 en raison des événements, s'ouvre et s'achève par ce Lied… Sous le choc des tueries parisiennes, d'une violence sans précédent, l'émotion est palpable. Thomas Bauer, avec une ferveur quasi religieuse, en donne une version dont la simplicité naturelle confère une force singulière, accompagné par Jos van Immerseel2.

Yeree Suh est connue pour ses réussites dans le répertoire baroque, et pour son engagement dans la musique moderne et contemporaine. La voix est belle, d'un timbre séduisant, ronde, expressive. Le modelé et le soutien sont remarquables, l'intelligence du texte, manifeste. Jusqu'à l'extatique « Alleluia », la progression de Die junge Nonne est parfaitement maîtrisée. Nacht und Träume est donné d'une voix longue, à la ligne admirable, aérienne, suspendue dans des nuances très contenues, avec de belles couleurs. Enfin, le chef d'œuvre absolu, Gretchen am Spinnrade. Le tempo est allant, trop peut-être, pour permettre la plénitude, l'épanouissement du chant. La passion est là, évidemment, mais, comme dans les précédents, le registre grave est faible et l'articulation insuffisante. Point ne suffit d'avoir étudié en Allemagne pour se délecter de sa langue, pour lui donner son relief, ses accents, ses couleurs. Après la leçon de diction de Thomas Bauer, la succession est difficile. Le piano de Jos van Immerseel accompagne, très enveloppé, cotonneux parfois, toujours en retrait. On reste un peu sur sa faim.

Yeree Suh. Photographie © IMG.

Claire Chevallier et Jos van Immerseel forment un duo exemplaire3. La célèbre Fantaisie en fa mineur est attendue avec impatience. Elle nous réserve quelques moments de grand bonheur,  où l'on reconnaît le contrapuntiste formé à la musique ancienne. Ainsi les passages fugués dont la clarté, la lisibilité, la vigueur et la construction sont extraordinaires. Le piano demeure assez pauvre en couleur, la dynamique est bien présente mais contenue, on s'épanche peu. Le passage élégiaque con delicatezza est …délicieux. Superbe  finale aussi.

Thomas Bauer. Photographie © Opera online

On rencontre rarement les trois mélodies italiennes (« Gesänge ») pour voix de basse et piano de l'opus 83, composées sur des textes de Metastase pour les deux premières4. Écrites pour le célèbre Lablache, auxquelles elles sont dédiées, c'est un ensemble rare qui permet au chanteur de déployer toutes ses qualités dramatiques : cavatine, récitatif et air dramatique, et enfin aria bouffe. Nous ne sommes plus dans l'univers du lied, mais au théâtre. Alors qu'on joue et chante les opéras de Schubert avec une certaine condescendance, cette réussite singulière devrait inciter les barytons-basses à les inscrire à leur répertoire. Toute la Vienne de Salieri et des Italiens y imprime sa marque, Rossini n'est pas loin. La complicité de Thomas Bauer et de Jos van Immerseel est plus grande que jamais, le piano se fait orchestre. Le bonheur est au rendez-vous, chacun au mieux de sa forme. Quitte à me répéter, quel dommage que le public n'ait pas été en mesure de comprendre le sens littéral de ce que chantait et jouait à merveille Thomas Bauer !

La Marche en ut majeur (D 968B/2), publiée avec une autre d'un intérêt moindre peu après la disparition de Schubert, est elle aussi rarement donnée au concert. Pour n'avoir pas la force expressive de la Fantaisie jouée auparavant, c'est une œuvre ample, surprenante car ternaire, dont l'aspect martial est oublié au profit d'une ardeur parfois inquiète ou fragile, avec ses modulations à la tierce.  Pièce sans prétention, donc, qui est l'occasion de poursuivre dans la bonne humeur, même si celle-ci se voile parfois. Claire Chevallier et Jos van Immerseel s'adonnent au plaisir du quatre mains avant que Thomas Bauer nous offre à nouveau An die Musik, avec la même plénitude émouvante.

Eusebius
15 novembre 2015

  1. Les contrôles aux frontières, renforcés, ont conduit à l'annulation du concert symphonique qui devait suivre, les musiciens et leurs instruments étant retenus par ces mesures exceptionnelles. Ainsi, la clarinettiste, Lisa Shkylater, qui devait jouer Der Hirt auf dem Felsen. La marche D 968 B2, pour piano 4 mains y a été substituée, et An die Musik opportunément ajouté.
  2. N'a-t-il pas gravé avec Jos van Immerseel un Winterreise parmi les plus intenses ?
  3. Le concert où ils nous ont offert des pièces pour quatre mains ou deux pianos de Rachmaninov, en mai, fut un moment fort de la saison dernière. Leurs  enregistrements ne laissent pas indifférents.
  4. L'auteur de la troisième, «  Or sù ! non cipensiamo », est resté anonyme.

 

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