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À la mairie du 6e arrondissement de Paris, un violon peut en cacher un autre

Rémy GuettaRemy Guetta. Photographie D.R.

Paris, 25 mars 2016, par Flore Estang ——

Régulièrement, l'association musicale Les Dilettantes, créée par le flûtiste Remy Guetta, propose des concerts à la mairie du sixième arrondissement de Paris. Nommément « amateurs »,  les interprètes ont étonné et ravi le public par leur qualité musicale et technique, dans des répertoires originaux. La conception du programme, riche et variée, réservait une surprise finale.

Interprétées par Remy Guetta soutenu par Laurent Cabanel au piano, les variations de Schubert sur son propre Lied « Trocken Blumen » (extrait du cycle La Belle meunière) révèlent une partition enjouée, voire martiale et un époustouflant final, de caractère plus léger que le fameux cycle de Lieder. Après une introduction dramatique et expressive, le thème en anapeste (deux croches-noire) et dactyle (noire-deux croches) est énoncé puis varié avec une grande maîtrise de l'instrument. Le souffle tranquille, le flûtiste interpréte les traits les plus virtuoses, avec fluidité, mis en valeur par l'acoustique de la salle Collet. Assumés avec maîtrise, les traits acrobatiques de la partie pianistique n'appauvrissent pas la musicalité. Pour valoriser les différentes variations, jusqu'à la jubilation finale, de plus généreux crescendos et des contrastes plus affirmés dans la dynamique auraient pu enrichir la palette expressive des deux interprètes mais l'interprétation des duettistes reste convaincante.

Par sa richesse mélodique et les contrastes expressifs à l'intérieur de chaque mouvement, le Trio pathétique en mineur de Michail Glinka (1804-1857) a également séduit l'auditoire. Pendant un séjour de trois ans en Italie, le compositeur du célèbre opéra Rouslan et Ludmila, a écrit cette pièce pour clarinette, violoncelle et piano, inspiré d'après le présentateur, par le bel canto italien. Cependant, on décèle dès l'introduction une influence schubertienne, à la fois dans le trajet harmonique (le mouvement en mineur rappelle celui fameux du trio en mi♭du musicien autrichien), le rythme et même la mélodie, qui, si elle est chantante, rappelle davantage les Lieder germaniques que les lignes belliniennes. Dans le premier mouvement, les arpèges pianistiques évoquent Schumann, les lignes contrapuntiques des instruments mélodiques rappellent également la musique de chambre de Mozart. Ce trio fut composé pour clarinette et basson, voire violon et violoncelle. La réunion clarinette, violoncelle, piano, enrichit l'ensemble de la rondeur du timbre de l'instrument à vent associée à la chaleur des cordes graves. D'écriture romantique, l'œuvre est riche en rebondissements narratifs. La seconde partie du premier mouvement présente un dialogue entre les deux solistes, très chantant, qui rappelle les œuvres lyriques du pays où séjournait Glinka ; Bellini et Donizetti sont presque cités, la clarinette, chantant ses sentiments et le violoncelle lui répondant. Dans un brillant solo de la clarinette se mêlent à la fois des réminiscences de Casta Diva (Bellini)  et du  Pâtre sur le Rocher (Schubert), alors que les cadences sont, elles, bien mozartiennes. Vif et enlevé, le troisième mouvement, tel un final de concerto, requiert une virtuosité de tous les instrumentistes.

Aleksandr BerlinAleksandr Berlin. Photographie D. R.

En clôture de concert, le duo Aleksandr Berlin et Aleksey Ishchenko a offert au public ravi quatre célèbres mélodies accompagnées de quatre pays d'Europe (une Danse hongroise de J. Brahms, la Rhapsodie de S. Rachmaninov, Czardas de V. Monti et Chanson pour la mère d'A. Dvořák).

Certes, le dicton « on aime ce que l'on connaît déjà » s'applique à ce choix de programme, d'apparence « facile » et accessible pour le public, même profane. Mais l'interprétation fut particulièrement enlevée avec talent. Soutenant énergiquement la partie de violon plus libre, le pianiste Aleksey Ishchenko au rôle ingrat d'« accompagnateur », possède un jeu puissant et expressif, ainsi qu'une belle rigueur rythmique, que ne gêne aucun trait virtuose. Le roulement de tonnerre pianistique pendant la Rhapsodie de Rachmaninov fut impressionnant. Ses dix-huit variations sur un thème de Paganini furent menées de mains de maîtres par le duo. Spécialisé dans le répertoire romantique (Chopin, Liszt, Tchaïkovski, Scriabine), A. Ishchenko ne sacrifie à aucun effet gratuit et restitue au public la sensibilité requise pour l'interprétation, s'effaçant quand il convient derrière la mélodie du violon.

Le violoniste Aleksandr Berlin, exprime avec une ferveur différente les quatre mélodies, accentuant les effets avec l'archet, intensifiant les nuances et le rubato, tenant en haleine le public par l'intensité expressive de son jeu. Même si les positions ne sont pas toujours académiques, les mouvements parfois exagérés, le souffle musical habite ce jeune musicien et personne ne se pose la question d'un doigté ou d'un démanché mettant parfois à mal la justesse. Conquis par la quasi-danse de l'interprète qui virevolte et enrichit son jeu d'une riche palette expressive, de la tendresse la plus suave à la sévérité et au drame, le public en redemande.

Aleksey Ishchenko. Photographie © D. R.

Les deux interprètes dissemblables et complémentaires ont réussi ce pari expressif sur des thèmes devenus presque populaires. Parmi les innombrables interprètes qui inondent chaque année le marché musical, Aleksandr Berlin et Aleksey Ishchenko peuvent être suivis attentivement pour, espérons-le,  la suite de leur longue carrière.

Une bonne surprise après la relative déception hier au festival du violon avec Anton Martynov Salle Adyar, où le concert ressemblait plus à un bon exercice de déchiffrage, d'accumulation de prouesses techniques devenues conventionnelles, et sans réelle aura émotionnelle. Un violon peut en cacher un autre.

 

Flore Estang
25 mars 2016

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