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14 octobre 2016, par Frédéric Norac ——

Ambronay 2016 : le meilleur pour la fin

AmbronayPhotographie © Bertrand Pichène.

Eeemerging 3e édition

Le 4e et dernier week-end du festival d'Ambronay était aussi celui de la 3e édition du programme Eeemerging (pour European Emerging Ensemble), une initiative soutenue par le programme Creative Europe de l'Union européenne à laquelle participe l'Académie européenne d'Ambronay depuis 2014. Six ensembles étaient en lice cette année pour pouvoir bénéficier du soutien des 7 partenaires de cette initiative dans le lancement de leur carrière. De la compétition, ne se détache pas vraiment de personnalité très marquante, la plupart des jeunes ensembles semblent se perdre dans une recherche à tout crin de l'originalité du répertoire au détriment de celle de l'identité artistique. On exceptera les deux derniers, le jeune Consone Quartet qui donne une interprétation extraordinairement vivante et même vivifiante de l'opus 77 no 1 de Haydn où se sent en permanence un bonheur de jouer, un engagement et une jubilation communicatifs, ce qui leur vaut le Prix du public ex æquo avec l'ensemble Curious Bards.

Consone Quartet Le Consone Quartet à Ambronay. Photographie © Bertrand Pichène.

D'une certaine façon les options des deux ensembles sont assez éloignées des  attendus d'un festival dont le champ reste tout de même celui de la musique ancienne et baroque de la Renaissance au milieu du xviiie siècle. Le répertoire des Curious Bards semble nous ramener en plein milieu des années 1970 et n'est jamais qu'une version améliorée de celui des « folkeux », à la seule différence que les musiciens ont ici une culture instrumentale classique, sortent des meilleurs conservatoires et puisent leur répertoire dans des sources livresques remontant au xviiie voire au xviie siècle, mais leur musique, pour plaisante qu'elle soit, reste assez anecdotique. Le jury « officiel » quant à lui ne s'y est pas trompé et son choix s'est porté sur l'ensemble Prisma qui proposait un programme entièrement consacré au chromatisme avec des pièces de compositeurs rares comme G. P. Cima, Adam Jazebski ou Salomone Rossi.

Sublime, mais un peu court

Du côté des grands concerts de l'abbatiale, ce dernier week-end ne manquait pas d'attraits. La présence de Philippe Jaroussky en « guest-star » d'un concert de l'ensemble Imaginarium lui aura apporté cette étincelle de génie qui manquait jusque là à un programme certes de qualité, mais qui malgré la virtuosité des interprètes et la splendide sonorité de leur chef et premier violon Enrico Onofri restait en première partie dans un registre un peu compassé, mis à part un concerto pour la nuit de Noël de Corelli subtil et lumineux. Autant que le contre-ténor qui prend ses marques dans « Clarae stellae scintillate », RV 270, c'est bien sûr la musique de Vivaldi particulièrement adaptée au tempérament des interprètes qui aura véritablement réveillé la soirée notamment dans un très beau concerto « La notte », sublimé par la flûte poétique de Marco Brilli  ou le très beau « Riposo » où le violon d'Enrico Onofri donne toute sa mesure. La soirée culmine dans un sublime  « Longe mala umbrae terrores », RV 629, où le contre-ténor brille de mille feux par sa virtuosité exceptionnelle, son étendue vocale époustouflante et une expressivité captivante. Pourtant malgré la reprise en bis de la brève partie vocale du concerto de Biber, celle de l'alléluia final du motet précédent et un « Domine Deus » extrait du Gloria RV.589, cette prestation aussi brève qu'intense laisse un peu l'auditeur sur sa faim et touche un peu aux limites de la parcimonie.

Monteverdi moderniste

Le ténor Paul Agnew que nous avons tant aimé dans les parties de haute-contre des opéras de Rameau s'est définitivement recyclé dans le rôle de chef d'ensemble et c'est avec un programme de Madrigaux consacré à la période de Mantoue (extraits des livres IV, V et VI) qu'il illustre sa vision d'un Monteverdi moderniste et révolutionnaire qui opère à lui seul la transition entre la polyphonie de la Renaissance et la naissance de la monodie baroque en quelques années. Musicalement son ensemble de solistes est irréprochable, mais ses partis-pris de contrastes appuyés, de différentiation des voix parfois jusqu'à leur autonomisation totale finissent par produire par intermittence une image quasi expressionniste de la musique de Monteverdi. Si elle peut séduire par son efficacité dramatique, elle nous a semblé parfois un peu anachronique et à la limite d'un maniérisme quelque peu anti-musical. Avec l'entrée des instruments pour la « Sestina » et les pièces du Livre VI, l'harmonie se réinstalle et le concert peut s'achever dans un registre pacifié.

Concert ÉrrangerLe Concert Érranger sous la direction d'Itay Jedlin pour la Passion selon saint Matthieu. Photographie © Bertrand Pichène.

La beauté de l'imperfection

Tout n'est pas parfait dans la réalisation de la Passion selon saint Matthieu d'Itay Jedlin, tant s'en faut. On note de nombreuses incertitudes chez les instrumentistes du Concert Étranger, notamment chez les violons de l'orchestre I. À côté de moments extraordinairement maîtrisés comme la « turba » qui suit l'arrestation du Christ, d'autres, tel le final de la première partie, semblent flotter dans une totale irrésolution. Du côté des solistes — neuf en tout qui assurent également les parties de chœurs avec un soprano en ripieno —, le niveau est assez inégal.  Assez faible du côté du chœur I dont ni la soprano, ni surtout le ténor, dépassé par la tessiture, ne satisfont aux exigences de leurs parties, il s'améliore nettement chez ceux du choeur II où se font remarquer d'excellents chanteurs dans chaque partie. C'est pourtant à la mezzo du premier chœur, Marine Fribourg, que le chef choisit de confier les plus beaux airs d'alto, laissant la portion congrue au contre-ténor Jan Börner dont la maîtrise vocale est d'évidence bien plus accomplie. En effet, malgré une probité certaine, la chanteuse manque de profondeur de timbre et de maturité. Mais peut-être ce choix relève-t-il d'un désir de créer l'émotion en jouant sur une certaine fragilité, voire sur une sorte de « beauté de l'imperfection ». Ne dit-on pas finalement que Bach ne disposa jamais de solistes vraiment professionnels et à la hauteur des exigences de sa musique ?

Ce n'est pas le cas des deux protagonistes de cette Passion, l'Évangéliste remarquablement éloquent de Vincent Lièvre-Picard et l'extraordinaire Jésus du baryton tchèque Tamas Kral. Le timbre superbe de ce dernier, sa projection inépuisable, sa diction allemande impeccable et son 'autorité confèrent au personnage une dimension proprement surhumaine. On regrette dès lors que le chef lui confie un air de basse dont la tessiture est un peu trop grave pour lui et brise du coup la fascination créée par le laconisme des ses interventions quand deux excellents chanteurs sont disponibles dans chaque chœur.

L'ensemble quoi qu'il en soit  réussit à captiver, sans doute par le sentiment d'aventure que donne ce choix — certes pas tout à fait neuf, mais toujours aussi audacieux — d'un effectif modeste qui valorise les timbres et les couleurs chez les instrumentistes et le propos plus que la performance chez les solistes. Même si l'on peut regretter un certain manque d'étoffe dans les chorals, on doit admettre au final que des trois grands concerts de cet ultime week-end celui-ci restera comme un des plus passionnants dans son imperfection même.

Quelques extraits des concerts d'Eemerging ainsi que le concert de l'ensemble Imaginarium et de Philippe Jaroussky sont disponibles en ligne sur Culturebox

Frédéric Norac
14 octobre 2016

Frédéric Norac : norac@musicologie.org. Ses derniers articles : De la suite dans les idées : la saison 2017 de l'Opéra-Comique — Sur les sommets de la musique du XXe siècle : Messiaen au Pays de la MeijeLes extrapolations d'un historien mal informé : Rossini sous Napoléon de Jean Tulard. Tous les articles de Frédéric Norac.

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