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Aux limites de l'hystérie : Les chevaliers de la Table ronde à l'Athénée

Les chevaliers de la Table ronde, Théâtre de l'Athénée. Photographie © Guillaume Bonnaud.

Paris, 16 mai 2016, par Frédéric Norac ——

À l'opéra (qu'il soit bouffe ou sérieux) comme au cinéma, la qualité du scénario est primordiale. Celle de la musique aussi bien sûr mais finalement peut-être moins qu'on pourrait se l'imaginer. On soupçonne un peu à l'issue de ces Chevaliers de la Table Ronde que si celle d'Hervé (Florimond Roger, 1825-1892) principal concurrent d'Offenbach dans le genre bouffe et père putatif du genre, n'a pas résisté au temps, ce n'est pas tant à cause de sa qualité car elle est tout à fait digne d'être écoutée, voire réécoutée, mais de la pauvreté de ses livrets.

Certes le pastiche de Duru et Chivot qui mélange joyeusement personnages du roman arthurien — Merlin, Mélusine, et quatre chevaliers — et figures de La Jérusalem délivrée — Roland, Médor et Angélique — avec des personnages de la comédie bourgeoise, le duc Rodomont, sa femme Totoche et son amant le ministre Sacripant, dans un registre pseudo-héroïque, ne manque pas de drôlerie. On y trouve comme chez Offenbach des situations piquantes bien exploitées, des décalages savoureux, des numéros parodiques très réussis mais, si on compare l'ensemble aux grandes réussites du duo Meilhac et Halévy, il est évident qu'il manque à ce catalogue de situations abracadabrantesques une unité dramatique, susceptible de soutenir l'intérêt du spectateur pendant deux heures.

Les chevaliers de la Table ronde, Théâtre de l'Athénée. Photographie © Guillaume Bonnaud.

Il faudrait beaucoup de finesse pour donner à l'œuvre la cohérence qui lui manque. Pierre-André Weitz dont ce sont quasiment les premières armes en matière de mise en scène se contente de surcharger l'action de gags et de pitreries en tous genres, laissant peu de disponibilité au spectateur pour apprécier la musique. À quelques grands airs près,  sa mise en scène a une fâcheuse tendance à phagocyter l'attention du spectateur auquel elle ne laisse aucun repos. Le résultat donne une impression de tension et d'hystérie qui finit par fatiguer, d'autant plus que chacun ici semble faire assaut de vocifération et d‘outrance dans les passages parlés.

On portera à son crédit une scénographie et des costumes inventifs, quelques bonnes idées comme ce lupanar du 3e acte et ses tableaux « pseudo pornographiques » vivants qui semblent, ainsi que le costume d'amazone de Mélusine, un clin d'œil à l'univers d'Olivier Py  dont il est le décorateur depuis longtemps.

Heureusement, le spectacle est porté par une distribution d'excellent niveau, d'autant plus à louer que la mise en scène très physique vient renforcer les exigences vocales d'une partition où se reconnaissent l'influence du grand opéra et le souvenir du belcanto italien encore très vivace à Paris en 1866. On se souviendra longtemps du numéro d'Ingrid Perruche dans son grand air parodique à vocalises du premier acte et du Duc Rodomont suspicieux de Damien Bigourdan. Voix légère mais conduite avec goût, Manuel Nunez Camelino donne tout le relief souhaitable à Médor tandis que le Roland à l'accent banlieusard et à la voix un peu blanche de Samy Camps offre un des rares moments lyriques de la soirée dans son bel air du Sommeil du 3e acte. Méforme passagère ou inadéquation, Chantal Santon-Jeffery nous a semblé forcer systématiquement ses aigus dans son rôle de femme dominatrice. Du côté des rôles « théâtraux », tout le monde fait preuve d'une inépuisable énergie, à commencer par les quatre chevaliers transformés en rugbymen, tout à fait désopilants dans les passages dansés où l'on croit reconnaître l'influence des chorégraphies de Laura Scozzi pour Laurent Pelly. Tous enfin méritent mention pour leur engagement, du Sacripant d'Antoine Philippe au Merlin d'Arnaud Marzorati en passant par l'Angélique de Lara Neumann et la Fleur de Neige de Clémentine Bourgoin.

Les chevaliers de la Table ronde, Théâtre de l'Athénée. Photographie © Guillaume Bonnaud.

Il est dommage qu'autant de talents et des moyens comme en a rarement disposé la Compagnie des Brigands depuis qu'elle a entrepris la résurrection du rare répertoire de l'opérette bouffe, ne se perdent dans une réalisation au rythme forcé dont les exagérations finissent par neutraliser l'efficacité à force d'accumulation. Le disque qu'a publié en marge des représentations le Palazetto Bru Zane qui a soutenu largement cette production, permettra peut-être une approche plus convaincante de la musique du compositeur « toqué » dont la folie aurait mérité un peu plus de sagesse et d'équilibre chez ses thuriféraires.

Représentations jusqu'au 7 janvier au Théâtre de l'Athénée-Louis Jouvet.

 

Frédéric Norac
Paris, 16 mai 2016

 

Frédéric Norac : norac@musicologie.org. Ses derniers articles : Kalîla wa Dimna : un Orphée politique — Don Giovanni au Théâtre des Champs-Élysées : mort et résurrectionIdylle tahitienne : L'Île du rêve de Reyaldo HahnLe baroque allemand selon Philippe JarousskyBonne fête, Cécile (à Notre-Dame de Paris)23e concours de chant de Mâcon : un palmarès déséquilibré (en collaboration avec Strapontin au Paradis)Tous les articles de Frédéric Norac.

 

 

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Mercredi 21 Décembre, 2016 0:50