musicologie

Ils sont prodigieux ! Le National Youth Orchestra of the USA, avec Denis Matsuev, dirigé par Valery Gergiev

NYOThe National Youth Orchestra of the USA et Valery Gergiev. Photographie © Jennepin.

Montpellier, Festival Radio France Montpellier Région, Opéra Berlioz, 22 juillet 2016, par Eusebius ——

Impossible de passer inaperçus : pantalons rouge éclatant, veste bleue, baskets, l'uniforme des jeunes musiciens du National Youth Orchestra of the U.S.A. est original, dû à Fred Bernstein. Ils sont 103, très exactement, ont entre 16 et 19 ans, tous lauréats d'une sélection rigoureuse, suivie d'un stage en résidence, recrutés pour constituer cette formation. Un simple regard permet de constater qu'ils sont représentatifs de ce melting pot américain, d'origines très diversifiées, mais ayant en commun un évident amour de la musique, doublé de qualités proprement exceptionnelles. De nombreuses fondations  soutiennent l'entreprise et permettent leur première tournée européenne. Après Amsterdam, avant Copenhague et Prague, ils sont à Montpellier.

L'opéra Berlioz est plein à craquer : Valery Gergiev et Denis Matsuev, à juste titre, attirent la foule des grands jours. On se prend à rêver. Peut-on imaginer l'aventure de ces jeunes, à peine sortis de l'adolescence, dans une tournée internationale, conduits par l'un des chefs les plus prestigieux, accompagnant un monstre sacré du piano ? Le programme associe deux compositeurs russo-américains : Rachmaninov et Prokofiev, propre à unir et mobiliser toutes les forces. Mais, attention  particulière à notre endroit, c'est le Prélude à l'après-midi d'un faune, de Debussy, qui ouvre le concert.

NYOThe National Youth Orchestra of the USA. Photographie © Jennepin.

Il fut un temps, lointain, où à peu près seuls, les musiciens de culture française étaient capables de retrouver les sonorités debussystes, si singulières. Les temps de l'échange, du partage, de la mondialisation — pourtant un fort vilain mot dans la bouche de certains — sont bien là, antagonistes avec ceux du repli prétendu identitaire, nombriliste et passéiste. Car, sous la direction de Valery Gergiev, infiniment retenue, avec des bois superbes et des cordes frémissantes, le chef d'œuvre emblématique de notre musique retrouve ses couleurs  les plus authentiques. La concentration des musiciens le dispute à celle des instrumentistes des formations les plus chevronnées.  Les mains du chef, qui dirige ici par cœur, sont magiques. Tout le corps est engagé, jusqu'au bout des doigts. Qui est le plus heureux, de Valery Gergiev, de ses jeunes musiciens et d'un public conquis ?

Le troisième concerto pour piano de Rachmaninov est maintenant un classique, illustré par de très nombreux interprètes. Denis Matsuev s'y montre prodigieux d'aisance, de puissance et de sensibilité. De sa banquette abaissée au maximum, il fait partie de ces athlètes qui savent caresser le clavier comme obtenir des triples forte inouïs, frénétiques. Jamais la moindre emphase, à laquelle cèdent  tant de pianistes. La sagesse, la retenue de la première phrase sont surprenantes, jusqu'au passage du thème à l'orchestre. Les progressions sont spectaculaires, parfaitement maîtrisées, à couper le souffle, l'orchestre, réactif et coloré, sonne merveilleusement. Les  phrasés amples, le lyrisme juste le disputent à la frénésie et à la bravoure. Du très très grand piano, on songe aux références mythiques, conscient de vivre un moment inoubliable. Glorieux, jubilatoire, scintillant, tout y passe, on est captivé. Une longue standing ovation salue cette performance, au meilleur sens du terme. Aussi frais qu'au début du concert, Denis Matsuev, avec simplicité et gentillesse offre deux bis. Le premier (La tabatière à musique de Liadov), est d'un rafraichissement  singulier. Le second, démonstratif à souhait est une transcription  d'une pièce du Peer Gynt de Grieg, dans l'antre du roi de la montagne, à la progression prodigieuse.

NYOThe National Youth Orchestra of the USA, Denis Matsuev et Valery Gergiev. Photographie © Jennepin.

Après un bref salut, à peine arrivé à l'estrade, Valery Gergiev surprend par un départ immédiat de la 4e  symphonie de Prokofiev. L'andante est contenu, très intériorisé, et permet d'accentuer le contraste avec l'allegro eroico, martial, avec ses interjections fortes. L'observation attentive des coups d'archets de chaque pupitre est instructive : à l'égal des plus prestigieuses formations, aguerries par une longue pratique collective, tout est millimétré, et d'une incroyable dynamique. Le chef, qui dirige ici avec la partition, est captivant. Le geste est ample, épanoui, mais sobre, tout est porteur de sens. L'indépendance des mains est absolue. La métrique n'est indiquée qu'aux changements de tempo. Des impulsions, des inflexions, des accents, des départs et des respirations, toute la musique est là.  Si l'andante tranquillo est du grand Prokofiev, le moderato enjoué, qui fait parfois penser à Chostakovitch, n'était la suprême élégance, est proprement chorégraphique, le sourire, la danse sont plus présents que jamais. Le finale, après ses splendides unissons, est le mouvement le plus difficile pour les interprètes. Les vents y jouent un rôle essentiel, dans l'énonciation des motifs comme dans leur dialogue ou opposition aux cordes. Humoristique, ample, impérieux, avec ses progressions inexorables, cet ultime mouvement  est une absolue réussite.

Deux extraits des suites de Roméo et Juliette (Masques, Les Capulet et les Montaigu), le premier sortant du silence, le second tellurique, partant des profondeurs, spectaculaire sans jamais tomber dans l'exhibitionnisme, réjouissent un public transfiguré, dont les acclamations sont incessantes.

Eusebius
23 juillet 2016

 

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bouquetin

Samedi 23 Juillet, 2016 17:21