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11 mars 2016, par Flore Estang

La Passion selon Saint- Jean, à Notre-Dame de Paris

Philippe Pierlot.Philippe Pierlot. Photographie © Philip Van Ootegem.

Passion selon Saint-Jean, de Johann Sebastian Bach, sous la direction de Philippe Pierlot, Notre-Dame de Paris, 9 mars 2016.

Issu d'une dynastie de musiciens, se disant lui-même autodidacte (?), Philippe Pierlot associe souplesse et humilité dans sa direction. Le geste ample et délié invite avec douceur les chanteurs à respirer pour émettre leur plus beau son, puisque détendu. Ne dirigeant pas pendant les airs, il laisse aux musiciens du continuo l'autonomie de l'écoute du soliste. Avec une attention bienveillante, il sollicite chanteurs et musiciens, relançant avec vigueur la machine collective si besoin. Le résultat fut brillant et riche en émotions, lors de la représentation de la Passion selon Saint-Jean, ce mercredi 9 mars dans la cathédrale de Notre-Dame de Paris. Ultime représentation de cette œuvre célèbre, le concert de ce soir célébrait Bach après de multiples concerts dédiés à cette pièce, qui se suivent et ne se ressemblent pas. La musique de Bach associée au texte biblique est puissamment expressive en elle-même, mais, en même temps, laisse à chaque ensemble de musiciens, à chaque chef, une autonomie d'interprétation quasiment illimitée, sans trahir l'œuvre du Kantor. Le mystère de sa musique consiste en outre à s'adapter à n'importe quel instrument, ancien ou moderne. Bach au synthétiseur ou en jazz est toujours Bach, le chercheur expliquant ce miracle acquerra tout notre respect. L'intensité mélodique, harmonique et rythmique, associée à la perfection formelle, fait de chaque pièce du Kantor un objet musical unique et précieux.

Réitérant la magie de cet évènement spirituel et musical, le concert de Notre-Dame fut particulier ce soir, car seuls des « élèves » de conservatoire étaient requis pour interpréter la musique du Kantor. Depuis plusieurs années, les conservatoires français de haut niveau associent formation d'excellence des musiciens et prestation de concert, « en situation professionnelle ». Si le Kantor avait eu comme élèves les chanteurs et musiciens présents ce soir, son bonheur aurait sans nul doute été indicible, lui qui se plaignit souvent de la qualité médiocre des élèves dont on lui octroyait la charge, dans le travail astreignant de maître de chapelle, titre honorifique qui signifiait une servitude sans repos à l'office de la messe (entre autres composer une cantate par semaine) et à l'enseignement des jeunes apprentis musiciens et chanteurs de la paroisse.

Régulièrement requise dans les concerts de la cathédrale, la maîtrise (adultes) de Notre-Dame nous a séduit une fois de plus par la qualité de son timbre collectif et la musicalité, la souplesse de la direction du chef améliorant nettement les départs, les envolées lors des aigus ainsi que la précision du texte. Le même choeur dirigé par un chef plus mécanique et raide laisse entendre des interprétations plus inquiètes et de moins bonne qualité. Seul le bonheur musical réunissait ce soir les excellents solistes, chanteurs et instrumentistes, du CNSM de Paris et l'ensemble instrumental baroque du Pôle supérieur de Boulogne-Billancourt. Ayant profité de peu de répétitions dans le lieu du concert (comme d'habitude), le chef a obtenu une parfaite adhésion entre les différents groupes, et une musicalité de haut niveau. Les jeunes chanteurs du CNSM sont à louer pour leur travail et leur prestation, jeune génération formant une relève rassurante dans le milieu baroque français. Soulignons, parmi les interprètes de qualité, la prestation de Jérôme Collet, interprétant le sublime air final de basse accompagné par le chœur. Son timbre frais et sonore, riche en harmoniques, associé à une excellente diction et un calme olympien laissent présager un brillant avenir à cette voix de baryton basse élégante, qui aurait pu interpréter le rôle de Jésus tout entier. Malheureusement, rare bémol de la soirée, le soliste allemand, choisi pour sa diction dans sa langue maternelle, ne remplit pas le contrat de la « belle » voix associée de nos jours au répertoire lyrique. Aucune homogénéité dans le timbre parfois éteint ou aigre selon la tessiture. L'évangéliste fut, lui, tout à fait à sa place. Ce rôle omniprésent du narrateur dans la Passion selon Saint-Jean fut interprété par Constantin Gourbet avec une bonne diction et une expression juste, son timbre clair de baryton martin à l'aise dans toute la tessiture du rôle. Si certains Évangélistes se sont déjà risqués à apprendre leur partie de mémoire, la prestation avec partition de ce jeune baryton pris entre les examens, les concours, les concerts et son début de carrière, fut tout à fait convaincante.

Élément non négligeable, le texte complet, en trois langues, fourni par la cathédrale fut apprécié par le public pour suivre les péripéties de l'action, véritable opéra sans mise en scène sur la montée en croix de Jésus. Les bruissements des pages tournées à l'unisson montraient l'intérêt des spectateurs pour le « livret », tels des mélomanes avertis suivant la partition lors d'une représentation de Lohengrin à Vienne. Le ténor Sahy Ratianarinaivo a séduit également l'auditoire avec ses airs énergiques et un timbre percutant (un peu trop nasal parfois dans l'émission) porté par une belle musicalité. Son ambitus étendu le promet à de belles prestations dans le répertoire lyrique (Tamino, Ferrando en particulier). La soprano Marie Perbost possède une belle technique, un soutien solide, et un timbre clair qui lui permettront sans doute de se produire dans les emplois de Musette (Puccini) ou Suzanne (Mozart). Ses deux airs ont été savoureusement interprétés vocalement (en particulier le second, d'une grande difficulté, après une heure d'attente dans le froid de la cathédrale), mais l'esprit de la musique religieuse pourrait être davantage intégré chez cette jeune fille aux jolies rondeurs. Ses effets de souffle court, parfaits pour l'« Air du froid » du Roi Arthur de Purcell, semblaient moins bien convenir au contexte de la Passion. Enfin, le contre-ténor Paul-Antoine Benos a montré, par sa voix claire et délicate, une interprétation propre des airs pour alto. Cependant, si chez J.S. Bach, la voix d'alto était l'expression de l'âme, l'écriture des airs pour ce timbre particulier requiert une voix sans doute plus chaleureuse que celle de ce haute-contre. Même si, à l'époque de Bach, les castrats étaient encore sur le marché du travail dans le monde lyrique, certains préfèreront une voix féminine grave et vibrante pour interpréter les airs spirituels dédiés à cette tessiture. Une mention spéciale pour le baryton basse Andrès Prunell Vulcano, le bien nommé, à la voix puissante et bien timbrée dans le rôle de Pilate, digne des scènes lyriques, dont la prestation (à la fois soliste et dans les choeurs) a été hautement appréciée.

Les commentaires ci-dessus associant exigence vocale et musicalité, se situent dans un contexte totalement professionnel, c'est dire le haut niveau de prestation de ses artistes d'à peine vingt ans, encore étudiants et déjà maîtres. De très bon niveau, l'orchestre a pris soin de s'accorder entre chaque partie, les instruments anciens, au diapason à 415, se révélant plus instables que les modernes pour « tenir l'accord ». Ajay Ranganathan, le premier violon, sut être efficace et patient dans ce travail préliminaire fastidieux, mais essentiel à la qualité de l'harmonie générale. Un vibrant hommage rendu au Kantor de Leipzig et à sa musique immortelle.

Flore Estang
9 mars 2016
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