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Magistrales Variations Goldberg, par Beatrice Rana

Béatrice RanaBéatrice Rana. Photographie © D. R.

Montpellier, Festival Radio France Montpellier Région, 11 juillet 2016, par Eusebius ——

Malgré ses 23 ans et sa carrure séduisante, Beatrice Rana, lauréate de prix prestigieux, étoile montante du piano italien, illustre avec bonheur le grand répertoire, le plus souvent athlétique. Même si Bach a été l'un de ses compagnons d'apprentissage, c'est la première fois qu'elle l'aborde au concert, avec l'œuvre la plus magistrale qu'il ait écrite pour le clavier. Italienne, formée essentiellement par des Italiens, dans son pays ou en Allemagne, l'ignorerait-on que l'on pourrait l'imaginer à son jeu, qui allie à la rigueur la lumière et aux chaudes couleurs méditerranéennes.

L'aria initiale, sorte de sarabande de deux fois seize mesures, chacune sur une seule base harmonique, va servir de fil conducteur à ce travail de titan, suivant le principe de la chaconne ou de la passacaille. Elle est jouée retenue, sage, empreinte d'une sorte de fraîcheur naïve. Dès la première variation, surprenante de vie, dynamique, claire, nous avons l'assurance de la découverte d'une interprétation qui ne pourra laisser indifférent. Le toucher, singulier, le plus souvent léger, articulé à souhait sans pour autant parodier le clavecin, la pédale à dose homéopathique lui permettent une lisibilité exceptionnelle, servie par une main gauche, que rien ne distingue de la droite1. Les  indications en tête des 30 variations, ne renseignent que le caractère et la combinaison contrapuntique. Jamais n'apparaît le nom des danses, tant celles-ci relevaient de l'évidence pour l'auditeur du XVIIIe siècle. L'un des premiers mérites de Beatrice Rana est de nous le rappeler par son jeu. La vie rythmique qu'elle impose, exceptionnelle, est d'une beauté chorégraphique : chacune des danses est clairement identifiable, fait rare, et nous rappelle que ces variations ne sont pas seulement un magistral exercice d'écriture. Les polyphonies ont-elles jamais été si lumineuses ? Toutes les parties, intérieures en particulier, sont également claires, limpides et vivantes. Sans jamais la moindre ostentation, elle ose certains phrasés, agogiques, qui semblent libérer la musique d'une sorte de carcan scolaire. La progression est construite avec un art consommé, qui nous fait oublier l'intense travail préparatoire tant le résultat relève de l'évidence. Chaque variation mériterait un commentaire tant sa lecture en est originale. L'intense poésie de la première variation mineure, l'autorité de l'ouverture à la française, la magistrale fugue qui la suit, jamais l'attention ne se relâche tant nous paraît neuve une œuvre que l'on fréquente depuis de nombreuses décennies. La progression, de plus en plus exigeante2 s'achève par la sorte de pied de nez que constitue le quodlibet, fausse trentième variation, rendue impossible par la réitération d'une formule intervallique déjà illustrée. Le retour attendu de l'aria initiale nous permet de mesurer  le chemin parcouru, et, après avoir retenu notre souffle, de laisser exploser notre joie. La conception, la maîtrise de l'architecture forcent l'admiration. La grâce, l'intelligence, une séduction naturelle, la fraîcheur, la délicatesse alliée à une énergie rare nous ravissent. On sort ébloui, non point tant par l'exercice de virtuosité que par l'ascèse spirituelle à la source de ce jaillissement. Un piano proprement génial3 italien par sa lumière et ses couleurs, universel par son intense vie. On se prend à rêver que Beatrice Rana aborde Scarlatti. Une prodigieuse technique, toujours humble servante d'une intelligence musicale exceptionnelle.

Le concert sera diffusé en différé sur France-Musique. Un enregistrement est déjà programmé : promesse d'un bonheur renouvelé.

Eusebius
12 juiller 2016

1. Les croisements dépassent de loin tout ce que l'on a vu auparavant, au service d'une fabuleuse conduite des lignes.

2. Les auditeurs ignorent, ou oublient parfois de ses souvenir, que plusieurs variations sont écrites pour deux claviers, ce qui exige du pianiste de fabuleux moyens techniques et musicaux.

3. Terme que je ne me souviens pas avoir jamais utilisé pour qualifier un interprète.

 

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